labas cover

Là-bas (1891)

blue  Chapitre I-III.
blue  Chapitre IV-VI.
blue  Chapitre VII-IX.
blue  Chapitre X-XII.
blue  Chapitre XIII-XVI.
blue  Chapitre XVII-XIX.
blue  Chapitre XX-XXII.

back

CHAPITRE I

Tu y crois si bien à ces idées-là, mon cher, que tu as abandonné l’adultère, l’amour, l’ambition, tous les sujets apprivoisés du roman moderne, pour écrire l’histoire de Gilles de Rais — et, après un silence, il ajouta :

— Je ne reproche au naturalisme ni ses termes de pontons, ni son vocabulaire de latrines et d’hospices, car ce serait injuste et ce serait absurde ; d’abord, certains sujets les hèlent, puis avec des gravats d’expressions et du brai de mots, l’on peut exhausser d’énormes et de puissantes oeuvres, l’Assommoir, de Zola, le prouve ; non, la question est autre ; ce que je reproche au naturalisme, ce n’est pas le lourd badigeon de son gros style, c’est l’immondice de ses idées ; ce que je lui reproche, c’est d’avoir incarné le matérialisme dans la littérature, d’avoir glorifié la démocratie de l’art !

Oui, tu diras ce que tu voudras, mon bon, mais, tout de même, quelle théorie de cerveau mal famé, quel miteux et étroit système ! Vouloir se confiner dans les buanderies de la chair, rejeter le suprasensible, dénier le rêve, ne pas même comprendre que la curiosité de l’art commence là où les sens cessent de servir !

Tu lèves les épaules, mais voyons, qu’a-t-il donc vu, ton naturalisme, dans tous ces décourageants mystères qui nous entourent ? Rien. — Quand il s’est agi d’expliquer une passion quelconque, quand il a fallu sonder une plaie, déterger même le plus bénin des bobos de l’âme, il a tout mis sur le compte des appétits et des instincts. Rut et coup de folie, ce sont là ses seules diathèses. En somme, il n’a fouillé que des dessous de nombril et banalement divagué dès qu’il s’approchait des aines ; c’est un herniaire de sentiments, un bandagiste d’âme et voilà tout !

Puis, vois-tu, Durtal, il n’est pas qu’inexpert et obtus, il est fétide, car il a prôné cette vie moderne atroce, vanté l’américanisme nouveau des moeurs, abouti à l’éloge de la force brutale, à l’apothéose du coffre-fort. Par un prodige d’humilité, il a révéré le goût nauséeux des foules, et, par cela même, il a répudié le style, rejeté toute pensée altière, tout élan vers le surnaturel et l’au-delà. Il a si bien représenté les idées bourgeoises qu’il semble, ma parole, issu de l’accouplement de Lisa, la charcutière du Ventre de Paris, et de Homais !

— Mâtin, tu y vas, toi, répondit Durtal, d’un ton piqué. Il ralluma sa cigarette, puis : le matérialisme me répugne tout autant qu’à toi, mais ce n’est pas une raison pour nier les inoubliables services que les naturalistes ont rendus à l’art ; car enfin, ce sont eux qui nous ont débarrassés des inhumains fantoches du romantisme et qui ont extrait la littérature d’un idéalisme de ganache et d’une inanition de vieille fille exaltée par le célibat ! — En somme après Balzac, ils ont créé des êtres visibles et palpables et ils les ont mis en accord avec leurs alentours ; ils ont aidé au développement de la langue commencé par les romantiques ; ils ont connu le véritable rire et ont eu parfois même le don des larmes, enfin, ils n’ont pas toujours été soulevés par ce fanatisme de bassesse dont tu parles !

— Si, car ils aiment leur siècle et cela les juge !

— Mais que diable ! ni Flaubert ni les de Goncourt ne l’aimaient, leur siècle !

— Je te l’accorde ; ils sont, ceux-là, de probes, et de séditieux et de hautains artistes, aussi je les place tout à fait à part. J’avoue même, et sans me faire prier, que Zola est un grand paysagiste et un prodigieux manieur de masses et truchement de peuple. Puis il n’a, Dieu merci, pas suivi jusqu’au bout dans ses romans les théories de ses articles qui adulent l’intrusion du positivisme en l’art. Mais chez son meilleur élève, chez Rosny, le seul romancier de talent qui se soit en somme imprégné des idées du maître, c’est devenu, dans un jargon de chimie malade, un laborieux étalage d’érudition laïque, de la science de contremaître ! Non, il n’y a pas à dire, toute l’école naturaliste, telle qu’elle vivote encore, reflète les appétences d’un affreux temps. Avec elle, nous en sommes venus à un art si rampant et si plat que je l’appellerais volontiers le cloportisme. Puis quoi ? Relis donc ses derniers livres, qu’y trouves-tu ? Dans un style en mauvais verres de couleur, de simples anecdotes, des faits divers découpés dans un journal, rien que des contes fatigués et des histoires véreuses, sans même l’étai d’une idée sur la vie, sur l’âme, qui les soutienne. J’en arrive, après avoir terminé ces volumes, à ne même plus me rappeler les incontinentes descriptions, les insipides harangues qu’ils renferment ; il ne me reste que la surprise de penser qu’un homme a pu écrire trois ou quatre cents pages, alors qu’il n’avait absolument rien à nous révéler, rien à nous dire.

— Tiens, des Hermies, si ça t’est égal, parlons d’autre chose, car nous ne nous entendrons jamais bien sur ce naturalisme dont le nom seul t’affole. Voyons, et cette médecine Matteï, que devient-elle ? Tes fioles d’électricité et tes globules soulagent-ils au moins quelques malades ?

— Peuh ! ils guérissent un peu mieux que les panacées du Codex, ce qui ne veut pas dire que leurs effets soient continus et sûrs ; du reste, ça ou autre chose... sur ce, je file, mon bon, car dix heures sonnent et ton concierge va, dans l’escalier, éteindre le gaz ; bonsoir, à bientôt, n’est-ce pas ?

Quand la porte fut refermée, Durtal jeta quelques pelletées de coke dans sa grille et se prit à songer.

Cette discussion avec son ami l’irritait d’autant plus qu’il se battait depuis des mois avec lui-même et que des théories, qu’il avait crues inébranlables, s’entamaient maintenant, s’effritaient peu à peu, lui emplissaient l’esprit comme de décombres.

En dépit de leurs violences, les jugements de des Hermies le troublaient.

Certes, le naturalisme confiné dans les monotones études d’êtres médiocres, évoluant parmi d’interminables inventaires de salons et de champs, conduisait tout droit à la stérilité la plus complète, si l’on était honnête ou clairvoyant et, dans le cas contraire, aux plus fastidieux des rabâchages, aux plus fatigantes des redites ; mais Durtal ne voyait pas, en dehors du naturalisme, un roman qui fût possible, à moins d’en revenir aux explosibles fariboles des romantiques, aux oeuvres lanugineuses des Cherbuliez et des Feuillet, ou bien encore aux lacrymales historiettes des Theuriet et des Sand !

Alors quoi ? Et Durtal se butait, mis au pied du mur, contre des théories confuses, des postulations incertaines, difficiles à se figurer, malaisées à délimiter, impossibles à clore. Il ne parvenait pas à se définir ce qu’il sentait, ou bien il aboutissait à une impasse dans laquelle il craignait d’entrer.

Il faudrait, se disait-il, garder la véracité du document, la précision du détail, la langue étoffée et nerveuse du réalisme, mais il faudrait aussi se faire puisatier d’âme, et ne pas vouloir expliquer le mystère par les maladies des sens ; le roman, si cela se pouvait, devrait se diviser de lui-même en deux parts, néanmoins soudées ou plutôt confondues, comme elles le sont dans la vie, celle de l’âme, celle du corps, et s’occuper de leurs réactifs, de leurs conflits, de leur entente. Il faudrait, en un mot, suivre la grande voie si profondément creusée par Zola, mais il serait nécessaire aussi de tracer en l’air un chemin parallèle, une autre route, d’atteindre les en deçà et les après, de faire, en un mot, un naturalisme spiritualiste ; ce serait autrement fier, autrement complet, autrement fort !

Et personne ne le fait pour l’instant, en somme. Tout au plus pourrait-on citer, comme se rapprochant de ce concept, Dostoïevsky. Et encore est-il bien moins un réaliste surélevé qu’un socialiste évangélique, cet exorable Russe ! — En France, à l’heure présente, dans le discrédit où sombre la recette corporelle seule, il reste deux clans, le clan libéral qui met le naturalisme à la portée des salons, en l’émondant de tout sujet hardi, de toute langue neuve, et le clan décadent qui, plus absolu, rejette les cadres, les alentours, les corps mêmes, et divague, sous prétexte de causette d’âme, dans l’inintelligible charabia des télégrammes. En réalité celui-là se borne à cacher l’incomparable disette de ses idées sous un ahurissement voulu du style. Quant aux orléanistes de la vérité, Durtal ne pouvait songer, sans rire, au coriace et gaminant fatras de ces soi-disant psychologues qui n’avaient jamais exploré un district inconnu de l’esprit, qui n’avaient jamais révélé le moindre coin oublié d’une passion quelconque. Ils se bornaient à jeter dans les juleps de Feuillet les sels secs de Stendhal ; c’étaient des pastilles mi-sel, mi-sucre, de la littérature de Vichy !

En somme, ils recommençaient les devoirs de philosophie, les dissertations du collège dans leurs romans, comme si une simple réplique de Balzac, celle, par exemple, qu’il prête au vieil Hulot dans la Cousine Bette : « pourrai-je emmener la petite ? » n’éclairait pas autrement un fond d’âme que toutes ces leçons de grand concours ! — Puis, il n’y avait à attendre d’eux aucune envolée, aucun élan vers les ailleurs. Le véritable psychologue du siècle, se disait Durtal, ce n’est pas leur Stendhal, mais bien cet étonnant Hello dont l’inexpugnable insuccès tient du prodige !

Et il arrivait à croire que des Hermies avait raison. C’était vrai, il n’y avait plus rien debout dans les lettres en désarroi ; rien, sinon un besoin de surnaturel qui, à défaut d’idées plus élevées, trébuchait de toutes parts, comme il pouvait, dans le spiritisme et dans l’occulte.

En s’acculant ainsi à ces pensées, il finissait, pour se rapprocher de cet idéal qu’il voulait quand même joindre, par louvoyer, par bifurquer et s’arrêter à un autre art, à la peinture. Là, il le trouvait pleinement réalisé par les Primitifs, cet idéal !

Ceux-là avaient, dans l’Italie, dans l’Allemagne, dans les Flandres surtout, clamé les blanches ampleurs des âmes saintes ; dans leurs décors authentiques, patiemment certains, des êtres surgissaient en des postures prises sur le vif, d’une réalité subjuguante et sûre ; et de ces gens à têtes souvent communes, de ces physionomies parfois laides mais puissamment évoquées dans leurs ensembles, émanaient des joies célestes, des détresses aiguës, des bonaces d’esprit, des cyclones d’âme. Il y avait, en quelque sorte, une transformation de la matière détendue ou comprimée, une échappée hors des sens, sur d’infinis lointains.

La révélation de ce naturalisme, Durtal l’avait eue, l’an passé, alors qu’il était moins qu’aujourd’hui pourtant excédé par l’ignominieux spectacle de cette fin de siècle. C’était en Allemagne, devant une crucifixion de Mathaeus Grünewald.

Et il frissonna dans son fauteuil et ferma presque douloureusement les yeux. Avec une extraordinaire lucidité, il revoyait ce tableau, là, devant lui, maintenant qu’il l’évoquait ; et ce cri d’admiration qu’il avait poussé, en entrant dans la petite salle du Musée de Cassel, il le hurlait mentalement encore, alors que, dans sa chambre, le Christ se dressait, formidable, sur sa croix, dont le tronc était traversé, en guise de bras, par une branche d’arbre mal écorcée qui se courbait, ainsi qu’un arc sous le poids du corps.

Cette branche semblait prête à se redresser et à lancer par pitié, loin de ce terroir d’outrages et de crimes, cette pauvre chair que maintenaient, vers le sol, les énormes clous qui trouaient les pieds.

Démanchés, presque arrachés des épaules, les bras du Christ paraissaient garrottés dans toute leur longueur par les courroies enroulées des muscles. L’aisselle éclamée craquait ; les mains grandes ouvertes brandissaient des doigts hagards qui bénissaient quand même, dans un geste confus de prières et de reproches ; les pectoraux tremblaient, beurrés par les sueurs ; le torse était rayé de cercles de douves par la cage divulguée des côtes ; les chairs gonflaient, salpêtrées et bleuies, persillées de morsures de puces, mouchetées comme de coups d’aiguilles par les pointes des verges qui, brisées sous la peau, la dardaient encore, çà et là, d’échardes.

L’heure des sanies était venue ; la plaie fluviale du flanc ruisselait plus épaisse, inondait la hanche d’un sang pareil au jus foncé des mûres ; des sérosités rosâtres, des petits laits, des eaux semblables à des vins de Moselle gris, suintaient de la poitrine, trempaient le ventre au-dessous duquel ondulait le panneau bouillonné d’un linge ; puis, les genoux rapprochés de force heurtaient leurs rotules, et les jambes tordues s’évidaient jusqu’aux pieds qui, ramenés l’un sur l’autre, s’allongeaient, poussaient en pleine putréfaction, verdissaient dans des flots de sang. Ces pieds spongieux et caillés étaient horribles ; la chair bourgeonnait, remontait sur la tête du clou et leurs doigts crispés contredisaient le geste implorant des mains, maudissaient, griffaient presque, avec la corne bleue de leurs ongles, l’ocre du sol, chargé de fer, pareil aux terres empourprées de la Thuringe.

Au-dessus de ce cadavre en éruption, la tête apparaissait, tumultueuse et énorme ; cerclée d’une couronne désordonnée d’épines, elle pendait, exténuée, entr’ouvrait à peine un oeil hâve où frissonnait encore un regard de douleur et d’effroi ; la face était montueuse, le front démantelé, les joues taries ; tous les traits renversés pleuraient, tandis que la bouche descellée riait avec sa mâchoire contractée par des secousses tétaniques, atroces.

Le supplice avait été épouvantable, l’agonie avait terrifié l’allégresse des bourreaux en fuite.

Maintenant, dans le ciel d’un bleu de nuit, la croix paraissait se tasser, très basse, presque au ras du sol, veillée par deux figures qui se tenaient de chaque côté du Christ : — l’une, la Vierge, coiffée d’un capuce d’un rose de sang séreux, tombant en des ondes pressées sur une robe d’azur las à longs plis, la Vierge rigide et pâle, bouffie de larmes qui, les yeux fixes, sanglote, en s’enfonçant les ongles dans les doigts des mains ; -l’autre, saint Jean, une sorte de vagabond, de rustre basané de la Souabe, à la haute stature, à la barbe frisottée en de petits copeaux, vêtu d’étoffes à larges pans, comme taillées dans de l’écorce d’arbre, d’une robe écarlate, d’un manteau jaune chamoisé, dont la doublure, retroussée près des manches, tournait au vert fiévreux des citrons pas mûrs. Epuisé de pleurs, mais plus résistant que Marie brisée et rejetée quand même debout, il joint les mains en un élan, s’exhausse vers ce cadavre qu’il contemple de ses yeux rouges et fumeux et il suffoque et crie, en silence, dans le tumulte de sa gorge sourde.

Ah ! devant ce Calvaire barbouillé de sang et brouillé de larmes, l’on était loin de ces débonnaires Golgotha que, depuis la Renaissance, l’Eglise adopte ! Ce Christ au tétanos n’était pas le Christ des riches, l’Adonis de Galilée, le bellâtre bien portant, le joli garçon aux mèches rousses, à la barbe divisée, aux traits chevalins et fades, que depuis quatre cents ans les fidèles adorent. Celui-là, c’était le Christ de saint Justin, de saint Basile, de saint Cyrille, de Tertullien, le Christ des premiers siècles de l’Eglise, le Christ vulgaire, laid, parce qu’il assuma toute la somme des péchés et qu’il revêtit, par humilité, les formes les plus abjectes.

C’était le Christ des pauvres, Celui qui s’était assimilé aux plus misérables de ceux qu’il venait racheter, aux disgraciés et aux mendiants, à tous ceux sur la laideur ou l’indigence desquels s’acharne la lâcheté de l’homme ; et c’était aussi le plus humain des Christ, un Christ à la chair triste et faible, abandonné par le Père qui n’était intervenu que lorsque aucune douleur nouvelle n’était possible, le Christ assisté seulement de sa Mère qu’il avait dû, ainsi que tous ceux que l’on torture, appeler dans des cris d’enfant, de sa Mère, impuissante alors et inutile.

Par une dernière humilité sans doute, il avait supporté que la Passion ne dépassât point l’envergure permise aux sens ; et, obéissant à d’incompréhensibles ordres, il avait accepté que sa Divinité fût comme interrompue depuis les soufflets et les coups de verges, les insultes et les crachats, depuis toutes ces maraudes de la souffrance, jusqu’aux effroyables douleurs d’une agonie sans fin. Il avait ainsi pu mieux souffrir, râler, crever ainsi qu’un bandit, ainsi qu’un chien, salement, bassement, en allant dans cette déchéance jusqu’au bout, jusqu’à l’ignominie de la pourriture, jusqu’à la dernière avanie du pus !

Certes, jamais le naturalisme ne s’était encore évadé dans des sujets pareils ; jamais peintre n’avait brassé de la sorte le charnier divin et si brutalement trempé son pinceau dans les plaques des humeurs et dans les godets sanguinolents des trous. C’était excessif et c’était terrible. Grünewald était le plus forcené des réalistes ; mais à regarder de ce Rédempteur de vadrouille, ce Dieu de morgue, cela changeait. De cette tête ulcérée filtraient des lueurs ; une expression surhumaine illuminait l’effervescence des chairs, l’éclampsie des traits. Cette charogne éployée était celle d’un Dieu, et, sans auréole, sans nimbe, dans le simple accoutrement de cette couronne ébouriffée, semée de grains rouges par des points de sang, Jésus apparaissait, dans sa céleste Superessence, entre la Vierge, foudroyée, ivre de pleurs, et le Saint Jean dont les yeux calcinés ne parvenaient plus à fondre des larmes.

Ces visages d’abord si vulgaires resplendissaient, transfigurés par des excès d’âmes inouïes. Il n’y avait plus de brigand, plus de pauvresse, plus de rustre, mais des êtres supraterrestres auprès d’un Dieu.

Grünewald était le plus forcené des idéalistes. Jamais peintre n’avait si magnifiquement exalté l’altitude et si résolument bondi de la cime de l’âme dans l’orbe éperdu d’un ciel. Il était allé aux deux extrêmes et il avait, d’une triomphale ordure, extrait les menthes les plus fines des dilections, les essences les plus acérées des pleurs. Dans cette toile, se révélait le chef-d’oeuvre de l’art acculé, sommé de rendre l’invisible et le tangible, de manifester l’immondice éplorée du corps, de sublimer la détresse infinie de l’âme.

Non, cela n’avait d’équivalent dans aucune langue. En littérature, certaines pages d’Anne Emmerich sur la Passion se rapprochaient, mais atténuées, de cet idéal de réalisme surnaturel et de vie véridique et exsurgée. Peut-être aussi certaines effusions de Ruysbroeck s’élançant en des jets géminés de flammes blanches et noires, rappelaient-elles, pour certains détails, la divine abjection de Grünewald et encore non, cela restait unique, car c’était tout à la fois hors de portée et à ras de terre.

Mais alors..., se dit Durtal, qui s’éveillait de sa songerie, mais alors, si je suis logique, j’aboutis au catholicisme du Moyen age, au naturalisme mystique ; ah non, par exemple, et si pourtant !

Il se retrouvait devant cette impasse dont il s’écartait alors qu’il en percevait l’entrée, car il avait beau s’ausculter, il ne se sentait soulevé par aucune foi. Décidément, il n’y avait de la part de Dieu aucune prémotion et lui-même manquait de cette nécessaire volonté qui permet de se délaisser, de glisser, sans se retenir, dans la ténèbre des immutables dogmes.

Par instants, après certaines lectures, alors que le dégoût de la vie ambiante s’accentuait, il enviait des heures lénitives au fond d’un cloître, des somnolences de prières éparses dans des fumées d’encens, des épuisements d’idées voguant à la dérive dans le chant des psaumes. Mais pour savourer ces allégresses de l’abandon, il fallait une âme simple, allégée de tout déchet, une âme nue et la sienne était obstruée par des boues, macérée dans le jus concentré des vieux guanos. Il pouvait se l’avouer, ce désir momentané de croire pour se réfugier hors des âges sourdait bien souvent d’un fumier de pensées mesquines, d’une lassitude de détails infimes mais répétés, d’une défaillance d’âme transie par la quarantaine, par les discussions avec la blanchisseuse et les gargotes, par des déboires d’argent, par des ennuis de terme. Il songeait un peu à se sauver dans un couvent, ainsi que ces filles qui entrent en maison pour se soustraire aux dangers des chasses, au souci de la nourriture et du loyer, aux soins du linge.

Resté célibataire et sans fortune, peu soucieux maintenant des ébats charnels, il maugréait, certains jours, contre cette existence qu’il s’était faite. Forcément dans ces heures où las de se battre contre des phrases, il jetait sa plume, il regardait devant lui et ne voyait dans l’avenir que des sujets d’amertumes et d’alarmes ; alors il cherchait des consolations, des apaisements, et il en était bien réduit à se dire que la religion est la seule qui sache encore panser, avec les plus veloutés des onguents, les plus impatientes des plaies ; mais elle exige en retour une telle désertion du sens commun, une telle volonté de ne plus s’étonner de rien, qu’il s’en écartait, tout en l’épiant.

Et, en effet, il rôdait constamment autour d’elle, car si elle ne repose sur aucune base qui soit sûre, elle jaillit du moins en de telles efflorescences que jamais l’âme n’a pu s’enrouler sur de plus ardentes tiges et monter avec elles et se perdre dans le ravissement, hors des distances, hors des mondes, à des hauteurs plus inouïes ; puis, elle agissait encore sur Durtal, par son art extatique et intime, par la splendeur de ses légendes, par la rayonnante naïveté de ses vies de Saints.

Il n’y croyait pas et cependant il admettait le surnaturel, car, sur cette terre même, comment nier le mystère qui surgit, chez nous, à nos côtés, dans la rue, partout, quand on y songe ? Il était vraiment trop facile de rejeter les relations invisibles, extrahumaines, de mettre sur le compte du hasard qui est, lui-même, d’ailleurs indéchiffrable, les événements imprévus, les déveines et les chances. Des rencontres ne décidaient-elles pas souvent de toute la vie d’un homme ? Qu’étaient l’amour, les influences incompréhensibles et pourtant formelles ? — Enfin la plus désarçonnante des énigmes n’était-elle pas encore celle de l’argent ?

Car enfin, on se trouvait là en face d’une loi primordiale, d’une loi organique atroce, édictée et appliquée depuis que le monde existe.

Ses règles sont continues et toujours nettes. L’argent s’attire lui-même, cherche à s’agglomérer aux mêmes endroits, va de préférence aux scélérats et aux médiocres ; puis, lorsque par une inscrutable exception, il s’entasse chez un riche dont l’âme n’est ni meurtrière, ni abjecte, alors il demeure stérile, incapable de se résoudre en un bien intelligent, inapte même entre des mains charitables à atteindre un but qui soit élevé. On dirait qu’il se venge ainsi de sa fausse destination, qu’il se paralyse volontairement, quand il n’appartient ni aux derniers des aigrefins, ni aux plus repoussants des mufles.

Il est plus singulier encore quand, par extraordinaire, il s’égare dans la maison d’un pauvre ; alors il le salit immédiatement s’il est propre ; il rend lubrique l’indigent le plus chaste, agit du même coup sur le corps et sur l’âme, suggère ensuite à son possesseur un bas égoïsme, un ignoble orgueil, lui insinue de dépenser son argent pour lui seul, fait du plus humble un laquais insolent, du plus généreux, un ladre. Il change, en une seconde, toutes les habitudes, bouleverse toutes les idées, métamorphose les passions les plus têtues, en un clin d’oeil.

Il est l’aliment le plus nutritif des importants péchés et il en est, en quelque sorte aussi, le vigilant comptable. S’il permet à un détenteur de s’oublier, de faire l’aumône, d’obliger un pauvre, aussitôt il suscite la haine du bienfait à ce pauvre ; il remplace l’avarice par l’ingratitude, rétablit l’équilibre, si bien que le compte se balance, qu’il n’y a pas un péché de commis en moins.

Mais où il devient vraiment monstrueux, c’est lorsque, cachant l’éclat de son nom sous le voile noir d’un mot, il s’intitule le capital. Alors son action ne se limite plus à des incitations individuelles, à des conseils de vols et de meurtres, mais elle s’étend à l’humanité tout entière. D’un mot le capital décide les monopoles, édifie les banques, accapare les substances, dispose de la vie, peut, s’il le veut, faire mourir de faim des milliers d’êtres !

Lui, pendant ce temps, se nourrit, s’engraisse, s’enfante tout seul, dans une caisse ; et les deux mondes à genoux l’adorent, meurent de désirs devant lui, comme devant un Dieu.

Eh bien ! ou l’argent qui est ainsi maître des âmes, est diabolique, ou il est impossible à expliquer. Et combien d’autres mystères aussi inintelligibles que celui-là, combien d’occurrences devant lesquelles l’homme qui réfléchit devrait trembler !

Mais, se disait Durtal, du moment que l’on patauge dans l’inconnu, pourquoi ne pas croire à la Trinité, pourquoi repousser la divinité du Christ ? On peut aussi facilement admettre le « Credo quia absurdum » de Saint Augustin et se répéter, avec Tertullien, que si le surnaturel était compréhensible, il ne serait pas le surnaturel et que c’est justement parce qu’il outrepasse les facultés de l’homme qu’il est divin.

Ah ! et puis zut, à la fin du compte ! Il est plus simple de ne point songer à tout cela : — Et, une fois de plus, il recula, ne pouvant décider son âme à faire le saut, alors qu’elle se trouvait, au bord de la raison, dans le vide.

Au fond, il avait vagabondé loin de son point de départ, de ce naturalisme si conspué par des Hermies. Il revenait maintenant à mi-route, jusqu’au Grünewald et il se disait que ce tableau était le prototype exaspéré de l’art. Il était bien inutile d’aller aussi loin, d’échouer, sous prétexte d’au-delà, dans le catholicisme le plus fervent. Il lui suffirait peut-être d’être spiritualiste, pour s’imaginer le supranaturalisme, la seule formule qui lui convînt.

Il se leva, se promena dans sa petite pièce ; les manuscrits qui s’entassaient sur la table, ses notes sur le Maréchal de Rais dit Barbe-Bleue, le déridèrent.

Tout de même, fit-il presque joyeux, il n’y a de bonheur que chez soi et au-dessus du temps. Ah ! s’écrouer dans le passé, revivre au loin, ne plus même lire un journal, ne pas savoir si des théâtres existent, quel rêve ! — Et que ce Barbe-Bleue m’intéresse plus que l’épicier du coin, que tous ces comparses d’une époque qu’allégorise si parfaitement le garçon de café qui, pour s’enrichir en de justes noces, viole la fille de son patron, la bécasse comme il la nomme !

Ça et le lit, ajouta-t-il, en souriant, car il voyait son chat, bête très bien informée des heures, le regarder avec inquiétude, le rappeler à de mutuelles convenances, en lui reprochant de ne pas préparer la couche. Il arrangea les oreillers, ouvrit la couverture et le chat sauta sur le pied du lit, mais resta assis, la queue ramenée sur ses deux pattes, attendant que son maître se fût étendu, pour piétiner la place et faire son creux.



CHAPITRE II

Durtal avait cessé, depuis près de deux années, de fréquenter le monde des lettres ; les livres d’abord, puis les racontars des journaux, les souvenirs des uns, les mémoires des autres, s’évertuaient à représenter ce monde comme le diocèse de l’intelligence, comme le plus spirituel des patriciats. A les en croire, l’esprit fusait en baguettes d’artifices et les reparties les plus stimulantes crépitaient dans ces réunions. Durtal s’expliquait mal la persistance de cette antienne, car il jugeait, par expérience, que les littérateurs se divisaient, à l’heure actuelle, en deux groupes, le premier composé de cupides bourgeois, le second d’abominables mufles.

Les uns, en effet, étaient les gens choyés du public, tarés par conséquent, mais arrivés ; affamés de considération ils singeaient le haut négoce, se délectaient aux dîners de gala, donnaient des soirées en habit noir, ne parlaient que de droits d’auteurs et d’éditions, s’entretenaient de pièces de théâtre, faisaient sonner l’argent.

Les autres clapotaient en troupe dans les bas-fonds. C’était la racaille des estaminets, le résidu des brasseries. Tout en s’exécrant, ils se criaient leurs oeuvres, publiaient leur génie, s’extravasaient sur les banquettes et, gorgés de bière, rendaient du fiel.

Aucun milieu autre n’existait. Il devenait singulièrement rare, le coin intime où l’on pouvait, à quelques artistes, causer à l’aise, sans promiscuités de cabarets et de salons, sans arrière-pensée de traîtrises et de dols, où l’on pouvait ne s’occuper que d’art, à l’abri des femmes !

Dans ce monde des lettres, en somme, aucune aristocratie d’âme ; aucune vue qui fût effarante, aucune pente d’esprit qui fût et rapide et secrète. C’était la conversation habituelle de la rue du Sentier ou de la rue Cujas.

Sachant, par expérience aussi, qu’aucune amitié n’est possible avec des cormorans, toujours à l’affût d’une proie à dépecer, il avait rompu des relations qui l’eussent obligé à devenir ou fripouille ou dupe.

Puis, à vrai dire, il n’y avait plus rien qui le liât à ses confrères ; jadis, alors qu’il acceptait les déficits du naturalisme, ses nouvelles étoupées, ses romans sans portes et sans fenêtres, il pouvait encore discuter d’esthétique avec eux, mais maintenant !

Au fond, prétendait des Hermies, il y a toujours eu entre toi et les autres réalistes une telle différence d’idées qu’un accord péremptoire ne pouvait durer ; tu exècres ton temps et eux l’adorent ; tout est là. Fatalement, tu devais, un jour, fuir ce territoire américain de l’art et chercher, au loin, une région plus aérée et moins plane.

Dans tous tes livres, tu es constamment tombé à bras raccourcis sur cette queue de siècle ; mais dame, on se lasse à la longue de taper sur du mou qui s’affaisse et se relève ; tu devais reprendre haleine et t’asseoir dans une autre époque, en attendant d’y découvrir un sujet à traiter qui te plût. Cela explique bien facilement ton désarroi spirituel pendant des mois et cette santé qui t’est subitement revenue lorsque tu t’es emballé sur Gilles de Rais.

Et c’était vrai, des Hermies avait vu juste. Le jour où Durtal s’était plongé dans l’effrayante et délicieuse fin du Moyen Age, il s’était senti renaître. Il commença de vivre dans le pacifiant mépris des alentours, s’organisa une existence loin du brouhaha des lettres, se cloîtra mentalement, pour tout dire, dans le château de Tiffauges auprès de Barbe-Bleue et il vécut en parfait accord, presque en coquetterie, avec ce monstre.

L’histoire supplanta chez lui le roman dont l’affabulation, ficelée dans des chapitres, empaquetée à la grosse, forcément banale et convenue, le blessait. Et cependant, l’histoire ne semblait être qu’un pis aller, car il ne croyait pas à la réalité de cette science ; les événements, se disait-il, ne sont pour un homme de talent qu’un tremplin d’idées et de style, puisque tous se mitigent ou s’aggravent, suivant les besoins d’une cause ou selon le tempérament de l’écrivain qui les manie.

Quant aux documents qui les étayent, c’est pis encore ! Car aucun d’eux n’est irréductible et tous sont révisables. S’ils ne sont pas apocryphes, d’autres, non moins certains, se déterrent plus tard qui les controuvent, en attendant qu’eux-mêmes soient démonétisés par l’exhumation d’archives non moins sûres.

A l’heure actuelle, dans le raclage têtu des vieux cartons, l’histoire ne sert plus qu’à étancher les soifs littéraires des hobereaux qui préparent ces rillettes de tiroirs auxquelles l’Institut décerne, en salivant, ses médailles d’honneur et ses grands prix.

Pour Durtal, l’histoire était donc le plus solennel des mensonges, le plus enfantin des leurres. L’antique Clio ne pouvait être représentée, selon lui, qu’avec une tête de sphinx, parée de favoris en nageoire et coiffée d’un bourrelet de mioche. La vérité, c’est que l’exactitude est impossible, se disait-il ; comment pénétrer dans les événements du Moyen Age, alors que personne n’est seulement à même d’expliquer les épisodes les plus récents, les dessous de la Révolution, les pilotis de la Commune, par exemple ? Il ne reste donc qu’à se fabriquer sa vision, s’imaginer avec soi-même les créatures d’un autre temps, s’incarner en elles, endosser, si l’on peut, l’apparence de leur défroque, se forger enfin, avec des détails adroitement triés, de fallacieux ensembles. C’est ce que Michelet a fait, en somme ; et bien que cette vieille énervée ait singulièrement vagabondé dans les hors-d’oeuvre, s’arrêtant devant des riens, délirant doucement en des anecdotes qu’elle enflait et déclarait immenses, dès que ses accès de sentiment et ses crises de chauvinisme brouillaient la possibilité de ses présomptions, alitaient la santé de ses conjectures, elle était néanmoins la seule, en France, qui eût plané au-dessus des siècles et plongé de haut dans l’obscur défilé des vieux récits.

Hystérique et bavarde, impudente et intime, son histoire de France était cependant, à certains endroits, soulevée par le vent du large ; ses personnages vivaient, sortaient de ces limbes où les inhument les cinéraires anas de ses confrères ; peu importait dès lors que Michelet eût été le moins véridique des historiens, puisqu’il en était le plus personnel et le plus artiste. Quant aux autres, ils furetaient maintenant dans les paperasses, se bornaient à piquer sur leurs plaques de liège des faits divers. A la suite de M. Taine, ils gommaient des notes, les collaient les unes à la suite des autres, ne gardaient, bien entendu, que celles qui pouvaient soutenir la fantaisie de leurs contes. Ces gens-là se défendaient de toute imagination, de tout enthousiasme, prétendaient ne rien inventer, ce qui était vrai, mais ils n’en maquillaient pas moins, par la sélection de leurs documents, l’histoire. Et puis, comme leur système était simple ! On découvrait que tel événement s’était passé en France dans quelques communes et l’on concluait aussitôt que tout le pays pensait, vivait de telle façon, à tel jour de telle année, à telle heure.

Ils étaient non moins que Michelet de valeureux faussaires, mais ils n’avaient ni son empan, ni ses visions ; c’étaient les petits merciers de l’histoire, des camelots, des notulateurs qui pointillaient sans donner un ensemble, comme font maintenant les peintres qui punaisent les tons, comme les décadents qui cuisinent des hachis de mots ! Et c’est bien autre chose encore lorsqu’il s’agit des biographes, se disait Durtal. Ceux-là, ce sont les épileuses. Des gens ont écrit des livres pour démontrer que Théodora était chaste et que Jan Steen ne buvait point. Un autre a épucé Villon, s’est efforcé de démontrer que la grosse Margot de la ballade n’était pas une femme mais bien l’enseigne d’un cabaret ; pour un peu, il représentait le poète ainsi qu’un homme bégueule et continent, judicieux et probe. On eût dit qu’en écrivant leurs monographies, ces historiens appréhendaient de se déshonorer en touchant à des écrivains ou à des peintres dont la vie avait été cahotée par des bourrasques. Ils eussent sans doute désiré qu’ils fussent des bourgeois comme eux ; le tout équipé d’ailleurs à l’aide de ces fameuses pièces que l’on épluche, que l’on détorque, que l’on trie.

Cette école de la réhabilitation, toute-puissante aujourd’hui, exaspérait Durtal ; aussi était-il bien certain de ne pas sombrer avec son livre sur Gilles de Rais dans la monomanie de ces affamés de la bienséance, de ces enragés de l’honnêteté. Pas plus qu’un autre, avec ses idées sur l’histoire, il ne pouvait prétendre à peindre un Barbe-Bleue exact, mais il était sûr au moins de ne pas l’édulcorer, de ne pas l’amollir dans des bains de langue tiède, de ne pas en faire ce médiocre dans le bien ou dans le mal qui plaît aux foules. Pour prendre son élan, il possédait, en guise de tremplin, une copie du mémoire au Roi des héritiers de Gilles de Rais, les notes qu’il avait prises sur le procès criminel de Nantes dont plusieurs expéditions sont à Paris, des extraits de l’histoire de Charles VII, de Vallet de Viriville, enfin la notice d’Armand Guéraut et la biographie de l’abbé Bossard. Et cela lui suffisait pour dresser debout la formidable figure de ce satanique qui fut, au quinzième siècle, le plus artiste et le plus exquis, le plus cruel et le plus scélérat des hommes.

Une seule personne était au courant de son projet de livre, des Hermies, qu’il voyait maintenant presque tous les jours.

Il l’avait connu dans une maison des plus étranges, chez Chantelouve, l’historien catholique, qui se vantait de recevoir à sa table tous les mondes. Et, en effet, c’était une fois par semaine, l’hiver, dans son salon de la rue de Bagneux, le plus bizarre ramas de gens : des cuistres de sacristie et des poètes de caboulots, des journalistes et des actrices, des partisans de la cause de Naundorff et des placiers en sciences louches.

Cette maison était, en somme, située sur la lisière du monde clérical qui s’y rendait un peu comme en un mauvais lieu ; l’on y dînait de façon tout à la fois biscornue et fine ; Chantelouve était cordial, d’esprit grassouillet, d’entrain pressant. Il inquiétait bien un peu les analystes par un regard de bagne qui passait quelquefois sous les verres fumés de son binocle, mais sa bonhomie tout ecclésiastique désarmait les préventions ; puis la femme, à peine jolie mais bizarre, était très entourée ; elle demeurait cependant silencieuse, n’encourageait pas les propos assidus des visiteurs, mais elle était, ainsi que son mari, dénuée de bégueulisme ; impassible, presque hautaine, elle écoutait, sans broncher, les paradoxes les plus monstrueux, souriait, l’air absent, les yeux perdus au loin.

Dans une de ces soirées où il fumait une cigarette, tandis que la Rousseil, récemment convertie, hurlait des stances au Christ, Durtal avait été étonné par la physionomie, par la tenue de des Hermies qui tranchaient durement sur le débraillé des défroqués et des poètes, entassés dans le salon et la bibliothèque de Chantelouve.

Au milieu de ces faces sournoises ou préparées, il apparaissait comme un homme singulièrement distingué, mais méfiant et rétif. Grand, fluet, très pâle, il fronçait des yeux rapprochés d’un nez fureteur et bref, des yeux qui avaient le bleu foncé de la pierre divine et son éclat sec. Ses cheveux étaient blonds, sa barbe, rasée sur les joues et taillée sous le menton en pointe, tournait au ton du liège. Il y avait en lui d’un Norvégien maladif et d’un Anglais rêche. Vêtu d’étoffes fabriquées à Londres, il semblait étriqué dans un complet quadrillé, de couleur morne, serré à la taille, montant très haut, cachant presque la cravate et le col. Très soigné de sa personne, il avait une manière à lui de retirer ses gants et de les faire imperceptiblement claquer en les roulant ; puis il s’asseyait, croisait ses longues jambes en thyrse en se penchant tout d’un côté, à droite, retirait de sa poche gauche, collée au corps, une blague japonaise plate et gaufrée, qui contenait son papier à cigarette et son tabac.

Il était méthodique, en garde, froid comme une corde à puits devant les inconnus ; son attitude supérieure et avec cela gênée s’ajustait à ses rires blêmes et coupés court ; il suscitait de sérieuses antipathies à première vue et il pouvait les justifier par des mots vénéneux, des mutismes méprisants, des sourires rigoureux ou narquois. Il était respecté chez les Chantelouve, il y était surtout craint, mais quand on le connaissait, on s’apercevait que, sous le verglas de cette mine, couvait une bonté réelle, une amitié peu expansive, mais capable d’un certain héroïsme, en tous cas, sûre.

Comment vivait-il ? était-il riche ou seulement à l’aise ? Personne ne le savait ; et lui-même, très discret envers les autres, ne parlait jamais de ses affaires ; il était docteur de la Faculté de Paris, car Durtal avait vu, par hasard, son diplôme, mais il parlait de la médecine avec un mépris immense, avouait s’être jeté, par dégoût d’une thérapeutique vaine, dans l’homéopathie qu’il avait délaissée à son tour, pour une médecine Bolonaise qu’il dénigrait.

A certains moments, Durtal ne pouvait douter que des Hermies n’eût pratiqué la littérature, car il la jugeait avec la certitude d’un homme du métier, démontait la stratégie des procédés, dévissait le style le plus abstrus avec l’adresse d’un expert qui connaît, en cet art, les plus compliqués des trucs. A Durtal qui lui reprochait, un jour, en riant, de cacher ses oeuvres, il répondait avec une certaine mélancolie : je me suis châtré l’âme à temps d’un bas instinct, celui du plagiat. J’aurais pu faire du Flaubert aussi bien sinon mieux que tous les regrattiers qui le débitent ; mais à quoi bon ? J’ai préféré phraser des médicaments occultes à des doses rares ; ce n’est peut-être pas bien nécessaire, mais c’est moins vil !

Où il était surprenant, par exemple, c’était dans l’érudition ; il se révélait prodigieux, savait tout, était au courant des plus anciens bouquins, des plus séculaires coutumes, des découvertes les plus neuves. A force de s’acoquiner avec les extraordinaires épaves de Paris, il avait approfondi des sciences diverses et hostiles ; car lui, si correct et si froid, on ne le rencontrait qu’en compagnie d’astrologues et de kabbalistes, de démonographes et d’alchimistes, de théologiens et d’inventeurs.

Las des avances faciles et des improbables bonhomies des artistes, Durtal fut séduit par cet homme aux abords rentrés, aux détentes strictes et dures. L’excès des amitiés à fleur de peau qu’il avait subies justifiait cette attirance ; ce qui était moins explicable, c’est qu’avec ses goûts des relations excentriques, des Hermies se fût pris d’affection pour Durtal qui était, en somme, un sobre d’âme et un esprit rassis et sans outrance ; mais il avait sans doute éprouvé le besoin de se retremper, à certains moments, dans une atmosphère plus perspirable et moins chauffée ; puis aucune de ces discussions littéraires qu’il aimait n’était possible avec ces agités qui délibéraient infatigablement, ne pensant qu’à leur génie, ne s’intéressant qu’à leurs découvertes, qu’à leur science !

Comme Durtal enfin isolé chez ses confrères, des Hermies ne pouvait rien attendre, ni des médecins qu’il dédaignait, ni de tous ces spécialistes qu’il fréquentait.

Il y avait eu, en somme, rencontre de deux êtres dont la situation était presque la même ; mais cette liaison qui, d’abord restreinte et longtemps demeurée sur la défensive, venait enfin de se resserrer dans le tutoiement et de s’affermir, avait été surtout avantageuse pour Durtal. En effet, sa famille était depuis longtemps morte et ses amis de jeunesse étaient ou mariés ou perdus ; depuis son départ du monde des lettres, il était réduit à la solitude la plus complète. Des Hermies dénoua son existence qui, repliée sur elle-même, s’ankylosait dans l’isolement. Il lui renouvela sa provision de sensations, lui fit faire peau neuve d’amitié, l’emmena chez l’un de ses amis qu’en effet Durtal devait aimer.

Des Hermies, qui parlait souvent de cet ami, finit par dire un jour : il faudra pourtant que je te le fasse connaître. Il aime tes livres que je lui ai prêtés et il t’attend ; toi qui me reproches de ne me plaire qu’avec des natures cocasses ou obscures, tu verras en Carhaix un homme presque unique. C’est le catholique intelligent et sans cafardise, le pauvre sans envie et sans haine.



CHAPITRE III

Durtal était dans la situation d’un grand nombre de célibataires qui font nettoyer leur ménage par un concierge. Ceux-là seuls peuvent savoir combien des lampes d’un faible tonnage absorbent de pleines burettes d’huile et combien une bouteille de cognac pâlit et s’épuise, sans diminuer. Ils savent aussi que le lit d’abord hospitalier se fait insociable, tant le concierge respecte ses moindres plis ; ils apprennent enfin qu’il faut se résigner à toujours nettoyer son verre si l’on a soif, à toujours réédifier son feu, si l’on a froid.

Le concierge de Durtal était un vieillard à moustaches, dont la chaude haleine exhalait le puissant arome du trois-six. C’était un homme indolent et placide qui opposait une incontinence d’inertie aux objurgations de Durtal déclarant que son ménage devait être terminé, tous les matins, à la même heure.

Les menaces, les suppressions de pourboires, les injures, les prières avaient échoué ; le père Rateau soulevait sa casquette, se grattait les cheveux, promettait, sur un ton ému, de s’amender et, le lendemain, venait plus tard.

Quel animal ! gémissait Durtal, ce jour-là. Il regardait sa montre, au moment où une clef tournait dans la serrure, et une fois de plus, il constatait que le concierge arrivait, dans l’après-midi, après trois heures.

Il allait falloir subir le vacarme de cet homme qui, somnolent et pacifique dans sa loge, devenait terrible, un balai au poing. Des allures martiales, des instincts guerriers se révélaient subitement chez ce sédentaire assoupi, dès l’aube, dans la tiède vapeur des mirotons. Il se muait en un insurgé qui montait à l’assaut du lit, chambardait les chaises, jonglait avec les cadres, bouleversait les tables, cognait le pot à eau et la cuvette, traînait, ainsi que des vaincus par les cheveux, les brodequins de Durtal par leurs lacets, enlevait le logis comme une barricade, plantait, en guise de drapeau, son torchon dans un nuage de poudre, sur les meubles morts.

Durtal se réfugiait alors dans celles de ses pièces qu’il n’attaquait point ; ce jour-là, il dut abandonner son cabinet de travail dans lequel Rateau commençait la lutte et s’enfuir dans sa chambre à coucher. De là, il apercevait encore, par la portière laissée ouverte, le dos de l’ennemi qui, un plumeau au-dessus de la tête, coiffé comme d’une couronne de Mohican, entamait la danse du scalp, autour d’une table.

Si je savais seulement l’heure à laquelle monte cette buse, ce que je m’arrangerais pour être sorti ! Se disait-il, en grinçant des dents, car maintenant Rateau empoignait ses outils de frotteur et ratissait le parquet et sautait à cloche-pied et patinait sur une brosse, en rugissant.

Victorieux, en nage, il apparut dans le cadre de la porte et s’avança pour réduire la chambre où se trouvait Durtal. Celui-ci dut rentrer dans le cabinet pacifié, avec son chat qui, crispé par ce bruit, suivait son maître, pas à pas, et revenait, en se frottant le long de ses jambes, dans les pièces, à mesure qu’elles étaient libres.

Des Hermies sonna sur ces entrefaites. — Je mets mes bottines et nous filons, s’écria Durtal. Tiens, — il passa la main sur la table et la ramena gantée d’une mitaine grise — regarde, cette brute-là secoue tout, se bat contre on ne sait quoi et le résultat le voici : il y a encore plus de poussière qu’avant lorsqu’il est parti !

— Bah, fit des Hermies ; mais c’est très bon, la poussière. Outre qu’elle a un goût de très ancien biscuit et une odeur fanée de très vieux livre, elle est le velours fluide des choses, la pluie fine mais sèche, qui anémie les teintes excessives et les tons bruts. Elle est aussi la pelure d’abandon, le voile d’oubli. Qui donc peut la détester sinon certaines personnes au sort lamentable desquelles tu devrais quelquefois penser ?

T’imagines-tu, en effet, la vie des gens qui demeurent à Paris, dans un passage. Tiens, figure-toi un phtisique qui crache le sang et s’étrangle dans une chambre située à un premier étage sous les vitres en dos d’âne d’un passage, celui des Panoramas, par exemple. La fenêtre est ouverte, il monte de la poussière saturée de tabac refroidi et de sueur tiède. Le malheureux étouffe, supplie qu’on lui donne de l’air ; l’on se précipite sur la croisée... et on la referme car comment l’aider à respirer, si l’on ne le soustrait pas à la pulvérulence du passage, en l’isolant ?

Hein, cette poussière qui stimule les hémoptysies et les toux est moins bénigne que celle dont tu te plains ? — Mais, tu es prêt, nous descendons ?

— Et quelle rue prenons-nous ? demanda Durtal.

Des Hermies ne répondit point. Ils quittèrent la rue du Regard où demeurait Durtal, descendirent la rue du Cherche-Midi jusqu’à la Croix-Rouge.

— Allons jusqu’à la place Saint-Sulpice, dit des Hermies, et après un silence :

En fait de poussière, considérée alors comme rappel des origines et souvenance des fins, sais-tu qu’après notre mort, nos charognes sont dépecées par des vers différents, suivant qu’elles sont obèses ou qu’elles sont maigres ? Dans les cadavres des gens gras, l’on trouve une sorte de larves, les rhizophages ; dans les cadavres des gens secs, l’on ne découvre que des phoras. Ceux-là sont évidemment les aristos de la vermine, les vers ascétiques qui méprisent les repas plantureux, dédaignent le carnage des copieuses mamelles et le ragoût des bons gros ventres. Dire qu’il n’y a même pas d’égalité parfaite dans la façon dont les larves préparent la poudre mortuaire de chacun de nous !

A propos, c’est ici que nous nous arrêtons, mon cher. Ils étaient arrivés au coin de la rue Férou et de la place. Durtal leva le nez et sur un porche ouvert dans le flanc de l’église Saint-Sulpice, il lut cette pancarte : on peut visiter les tours.

— Montons, fit des Hermies.

— Pourquoi faire ? Par ce temps !

Et Durtal désigna du doigt des nuages noirs qui fuyaient, tels que des fumées d’usines, dans un firmament limoneux, si bas, que les tuyaux en fer-blanc des cheminées semblaient entrer dedans et le créneler, au-dessus des toits, d’entailles claires.

— Outre que je n’ai pas envie de tenter l’escalade d’une série désordonnée de marches, que veux-tu examiner là-haut ? Il bruine et la nuit tombe ; non, par exemple !

— Qu’est-ce que cela te fait de te promener là ou autre part ? Viens, je t’assure que tu verras des choses dont tu ne te doutes guère.

— Enfin, tu as un but ?

— Oui.

— Il fallait donc le dire ! — Et, à la suite de des Hermies, il s’engouffra sous le porche ; un petit fumignon d’essence, pendu à un clou, éclairait, au fond du caveau, une porte. C’était l’entrée des tours.

Longtemps ils grimpèrent dans les ténèbres d’un escalier en pas de vis. Durtal se demandait si le gardien n’avait pas délaissé son poste, quand une lueur rougeoya sur le tournant du mur et ils se heurtèrent, en pivotant, contre un quinquet, devant une porte.

Des Hermies tira un cordon de sonnette ; la porte disparut. Ils avaient au-dessus d’eux, à la hauteur de la tête, sur des marches, les pieds éclairés d’une personne perdue dans l’ombre.

— Tiens, c’est vous, monsieur des Hermies ; — et décrivant un arc de cercle, un corps de femme âgée se pencha dans la lumière. — Ah ! bien, c’est Louis qui sera content de vous voir !

— Et il est là ? fit des Hermies qui serra la main de cette femme.

— Il est dans la tour ; mais vous ne vous reposez pas un peu ?

— Non, en descendant, si vous le voulez bien.

— Alors, montez jusqu’à ce que vous aperceviez une porte à claire-voie, oh ! que je suis bête, vous le savez aussi bien que moi !

— Mais oui... mais oui... a tout à l’heure ; que je vous présente, en passant, mon ami Durtal.

Durtal s’inclina, ahuri, dans l’ombre.

— Ah ! Monsieur, Louis qui désirait tant faire votre connaissance, comme cela se trouve !

— Où me mène-t-il ? se disait Durtal qui tâtonnait de nouveau, derrière son ami, dans le noir, suivant les courtes lueurs jaillies des barbacanes, retombant dans la nuit, rencontrant, au moment où il se perdait, des filets de jour.

Cette ascension ne finissait pas. Ils aboutirent enfin à la porte à barreaux, poussée contre. Ils entrèrent, se trouvèrent sur un rebord de bois, au-dessus du vide, sur la margelle en planche d’un double puits ; l’un, creusé sous leurs pieds, l’autre élevé au-dessus d’eux.

Des Hermies, qui paraissait être là dedans chez lui montra, d’un geste, les deux abîmes.

Durtal regarda.

Il était au milieu d’une tour qu’emplissaient, du haut en bas, des madriers énormes en forme d’X, des poutres assemblées, frettées par des barres, boulonnées par des rivets, réunies par des vis grosses comme le poing. Durtal ne voyait personne. Il tourna sur la console, le long du mur, se dirigea vers la lumière qui pénétrait par les auvents inclinés des abat-sons.

Penché sur le précipice, il discernait maintenant, sous ses jambes, de formidables cloches pendues à des sommiers de chêne blindés de fer, des cloches au vase de métal sombre, des cloches d’un airain gras, comme huilé, qui absorbait, sans les réfracter, les rayons du jour.

Et, au-dessus de sa tête, dans l’abîme d’en haut, en se reculant, il apercevait de nouvelles batteries de cloches ; celles-là, frappées dans leur fonte d’une effigie d’évêque en relief, allumées, au dedans, à la pause, à l’endroit usé par le battant, d’une lueur d’or.

Rien ne remuait ; mais le vent claquait par les lames couchées des abat-sons, tourbillonnait dans la cage des bois, hurlait dans la spirale de l’escalier, s’engouffrait dans la cuve retournée des cloches. Soudain, un frôlement d’air, un souffle silencieux de vent moins aigre lui fouetta les joues. Il leva les yeux, une cloche rabattait la bise, entrait en branle. Et tout à coup, elle sonna, prit son élan, et son battant, semblable à un gigantesque pilon, broya dans le bronze du mortier des sons terribles. La tour tremblait, la margelle sur laquelle il se tenait trépidait comme le plancher d’un train ; un grondement, continuel, énorme, roulait brisé par le fracassant éclat des coups.

Il avait beau explorer le plafond de la tour, il ne découvrait personne ; il finit pourtant par entrevoir une jambe lancée dans le vide qui culbutait l’une des deux pédales de bois attachées au bas de chaque cloche, et, se couchant presque sur les madriers, il aperçut enfin le sonneur, retenu par les mains à deux crampons de fer, se balançant au-dessus du gouffre, les yeux au ciel.

Durtal fut stupéfié, car jamais il n’avait vu une telle pâleur et une si déconcertante face. Cet homme n’avait pas le ton de cierge des convalescences, ni le ton mat des parfumeuses auxquelles les odeurs ont décoloré le derme ; ce n’était pas encore la chair poussiéreuse, tournée au gris, des porphyriseurs des tabacs qu’on prise ; c’était le teint livide exsangue des prisonniers au Moyen Age, le teint maintenant ignoré de l’homme interné jusqu’à sa mort dans un cachot pluvieux, dans un noir in-pace, sans air.

L’oeil était bleu, proéminent, en boule, l’oeil à larmes des mystiques, mais il était singulièrement contredit par une moustache en chiendent sec de Kaiserlick ; cet homme était tout à la fois dolent et militaire, presque indéfinissable.

Il lança un dernier coup de pied sur la pédale de sa cloche et, d’un recul de reins, reprit son équilibre. Il s’essuya le front, sourit à des Hermies.

— Ah bien, dit-il, vous étiez là !

Il descendit et lorsqu’il sut le nom de Durtal, sa face s’éclaira ; il lui prit la main.

— Vous pouvez dire, Monsieur, que vous étiez attendu. Il y a assez longtemps que notre ami vous cache, tout en parlant constamment de vous.

— Venez, reprit-il, d’un ton joyeux, que je vous fasse visiter mon petit domaine ; j’ai lu vos livres, il n’est pas possible que vous n’aimiez pas, vous aussi, les cloches ; mais c’est d’un peu plus haut qu’il les faut voir. Et il sauta dans un escalier, tandis que des Hermies poussait Durtal devant lui, fermait la marche.

Pendant que l’ascension reprenait dans la mèche à vrille :

— Mais pourquoi ne m’as-tu pas dit que ton ami Carhaix, — car c’est lui, n’est-ce pas, — était sonneur ? demanda Durtal.

Des Hermies ne put répondre, car ils débouchaient, à ce moment, sous la voûte en pierre de taille de la tour et Carhaix, s’effaçant, les laissait passer. Ils se trouvaient dans une pièce ronde percée au centre, à leurs pieds, d’un grand trou, cerclé d’une balustrade de fer, corrodée par la cendre orangée des rouilles.

En s’approchant, l’oeil plongeait jusqu’au fond de l’abîme. C’était la vraie margelle en moellons d’un véritable puits ; et ce puits semblait être en réparation, car l’échafaudage croisé des poutres qui soutenait les cloches paraissait être dressé, du haut en bas du tube, pour étayer les murs.

— Approchez sans crainte, dit Carhaix, et dites-moi, Monsieur, si ce ne sont point là de belles filleules ! — Mais Durtal l’écoutait à peine ; il se sentait mal à l’aise dans ce vide, attiré par ce trou béant d’où s’échappait, en de lointaines bouffées, le tintement moribond de la cloche qui oscillait sans doute encore, avant que de rentrer immobile, dans un complet repos.

Il se recula.

— Vous n’avez pas envie de visiter le haut des tours ? reprit Carhaix, en désignant un escalier de fer, scellé dans la muraille même.

— Non, ce sera pour un autre jour.

Ils redescendirent et Carhaix, maintenant silencieux, ouvrit une nouvelle porte. Ils s’avancèrent dans une immense remise qui contenait des statues colossales et cassées de saints, des apôtres patraques et lépreux, des Saint Mathieu amputés d’une jambe et perclus d’un bras, des Saint Luc escortés d’une moitié de boeuf, des Saint Marc bancroches et privés d’une partie de barbe, des Saint Pierre érigeant des moignons dépourvus de clefs.

— Autrefois, dit Carhaix, il y avait ici une balançoire ; c’était plein de gamines ; l’on a abusé comme de tout... au crépuscule, il se passait, pour quelques sous, des choses ! Le curé a fini par faire enlever la balançoire et fermer la pièce.

— Et cela ? fit Durtal, apercevant dans un coin un énorme fragment de métal rond, une sorte de demi-calotte géante, veloutée de poussière, treillissée par de légères toiles semées, ainsi que des éperviers granulés de boulettes de plomb, de corps repliés d’araignées noires.

— Ça ! ah, Monsieur ! — Et l’oeil perdu de Carhaix se récupéra et prit feu ; ça, c’est le cerveau d’une très vieille cloche qui rendait des sons comme il n’y en a plus ; celle-là, monsieur, elle sonnait du ciel !

Et subitement il s’emballa.

— Voyez-vous, des Hermies a dû vous le dire, c’est fini, les cloches ; ou plutôt c’est les sonneurs dont il n’y a plus ! à l’heure qu’il est, ce sont des garçons charbonniers, des couvreurs, des maçons, d’anciens pompiers, ramassés pour un franc sur la place, qui font la manoeuvre ! ah ! il faut les voir ! Mais c’est pis que cela ; si je vous racontais qu’il y a des curés qui ne se gênent pas pour vous dire : racolez dans la rue des soldats ; pour dix sous, ils feront l’affaire. Oui, si bien qu’il y en a un dernièrement, à Notre-Dame, je crois, qui n’a pas retiré sa jambe à temps ; la cloche est revenue à toute volée dessus et l’a coupée nette, comme un rasoir.

Et ces gens-là, ils dépensent des trente mille francs pour des baldaquins, ils se ruinent pour des musiques, il leur faut du gaz dans leur église, un tas de tra-la-la, est-ce que je sais, moi ? Quant aux cloches, ils lèvent les épaules, lorsqu’on leur en parle. Savez-vous, monsieur Durtal, que nous ne sommes plus à Paris que deux accordants, moi et le père Michel qui n’est pas marié et qu’on ne peut, à cause de ses moeurs, attacher régulièrement à une église. Cet homme-là, c’est un accordant qui n’a pas son pareil ; mais, lui aussi, il se désintéresse ; il boit et, saoul ou pas saoul, il travaille et après cela, il reboit et il dort.

Ah ! oui, que c’est bien fini ! — Tenez, ce matin, Monseigneur a fait sa tournée pastorale en bas. A huit heures, il fallait sonner son arrivée ; les six cloches que vous avez vues ici, marchaient. Nous étions attelés à seize, dessus. Eh bien, c’était une pitié ; ces gens-là ils brimballaient comme des propres à rien, ils ruaient à contre-temps, ils sonnaient la gouille !

Ils descendirent, Carhaix gardait maintenant le silence.

— Les cloches, fit-il en se retournant et en fixant Durtal de ses yeux dont l’eau bleue entrait en ébullition ; mais, monsieur, c’est la véritable musique de l’église, cela !

Ils débouchèrent au-dessus même du parvis, dans la grande galerie couverte sur laquelle sont posées les tours. Alors Carhaix sourit et montra tout un jeu de minuscules clochettes, installé entre deux piliers, sur une planche. Il tirait les ficelles, agitait le frêle cliquetis des cuivres, écoutait, ravi, les yeux hors du front, la moustache rebroussée d’un coup de lèvres, le léger saut des notes que buvait la brume.

Et subitement, il rejeta ses ficelles. C’était jadis ma toquade, dit-il, j’avais voulu former ici des élèves, mais personne ne se soucie d’apprendre un métier qui rapporte de moins en moins, car on ne sonne même plus les mariages et personne maintenant ne monte aux tours !

Au fond, reprit-il en descendant, moi, je ne peux me plaindre. Les rues d’en bas m’ennuient ; ça me brouille quand je mets les pieds dehors ; aussi, je ne quitte mon clocher que le matin, juste pour aller chercher des seaux d’eau au bout de la place, mais ma femme s’ennuie à cette hauteur ; puis, c’est terrible ; la neige pénètre par toutes les meurtrières, elle s’amasse, et quelquefois l’on gît, bloqué, quand le vent souffle en foudre !

Ils étaient arrivés devant le logement de Carhaix.

— Entrez donc, Messieurs, dit la femme qui les attendait sur le pas de la porte ; vous avez bien gagné un peu de repos. Et elle désigna quatre verres qu’elle avait préparés sur la table.

Le sonneur alluma une petite pipe de bruyère, tandis que des Hermies et Durtal roulaient des cigarettes.

— Vous êtes bien ici, dit Durtal, pour parler. Il se trouvait dans une pièce énorme, taillée en pleine pierre, voûtée, éclairée près du plafond par une fenêtre en demi-roue. Cette pièce, carrelée, mal couverte par un méchant tapis, était très simplement meublée d’une table ronde de salle à manger, de vieilles bergères en velours d’Utrecht d’un bleu d’ardoise, d’un petit buffet sur lequel s’entassaient des faïences bretonnes, des pichets et des plats, et en face de ce buffet en noyer verni, d’une petite bibliothèque de bois noir qui pouvait contenir une cinquantaine de livres.

— Vous regardez les bouquins, dit Carhaix qui avait suivi des yeux Durtal. Oh ! monsieur, il faut être indulgent, je n’ai là que des outils de mon métier !

Durtal s’approcha ; cette bibliothèque paraissait surtout composée d’ouvrages sur les cloches ; il lut des titres :

Sur un très antique et très mince volume en parchemin, il déchiffra une écriture à la main, couleur de rouille : de Tintinnabulis, par Jérôme Magius (1664), puis, pêle-mêle, un Recueil curieux et édifiant sur les cloches de l’église, par Dom Rémi Carré. Un autre Recueil édifiant et anonyme ; un Traité des cloches, de Jean-baptiste Thiers, curé de Champrond et de Vibraye, un pesant volume d’un architecte du nom de Blavignac, un autre moins gros intitulé : Essai sur le symbolisme de la cloche, par un prêtre du clergé paroissial, à Poitiers ; une Notice de l’abbé Barraud, enfin toute une série de plaquettes, couvertes de papier gris, brochées sans couvertures imprimées et sans titres.

— Ce n’est rien, fit Carhaix avec un soupir ; les meilleurs manquent : le De campanis Commentarius, d’Angelo Rocca, et le de Tintinnabulo, de Pacichellius ; mais dame, c’est rare, et puis c’est si cher quand on les trouve !

Durtal embrassa d’un coup d’oeil les autres livres ; c’étaient pour la plupart des ouvrages pieux : des bibles latines et françaises, des Imitations de Jésus-christ, la Mystique de Goerres en cinq tomes, l’histoire et la théorie du symbolisme religieux de l’abbé Aubert, le dictionnaire des hérésies de Pluquet, puis des vies de Saints.

— Ah ! Monsieur, il n’y a pas de littérature ici, mais voyez-vous, c’est des Hermies qui me prête les livres qui l’intéressent.

— Bavard, lui dit sa femme, laisse donc Monsieur s’asseoir. — Et elle tendit un verre plein à Durtal qui savoura le pétillement parfumé d’un véritable cidre.

En réponse à ses compliments sur la valeur de ce breuvage, elle lui raconta que ce cidre venait de Bretagne, qu’il était fabriqué à Landévennec, leur pays, par des parents.

Elle fut ravie quand Durtal lui affirma qu’il avait jadis passé une journée dans ce village.

— Oh bien, nous sommes vraiment connaissances, conclut-elle, en lui serrant la main.

Engourdi par la chaleur d’un poêle dont le tuyau zigzaguait en l’air et fuyait par un carreau de tôle substitué à l’une des vitres de la fenêtre ; détendu, en quelque sorte, par cette atmosphère lénitive que dégageaient Carhaix et cette brave femme, au visage débile mais ouvert, aux yeux apitoyés et francs, Durtal se laissa vagabonder, loin de la ville. Il se disait, regardant cette pièce intime et ces bonnes gens : si l’on pouvait, en agençant cette chambre, s’installer ici, au-dessus de Paris, un séjour balsamique et douillet, un havre tiède. Alors, on pourrait mener, seul, dans les nuages, là-haut, la réparante vie des solitudes et parfaire, pendant des années, son livre. Et puis, quel fabuleux bonheur ce serait que d’exister enfin, à l’écart du temps, et, alors que le raz de la sottise humaine viendrait déferler au bas des tours, de feuilleter de très vieux bouquins, sous les lueurs rabattues d’une ardente lampe !

Il se prit à sourire de la naïveté de son rêve.

— C’est égal, vous êtes joliment bien ici, dit-il, comme pour résumer ses réflexions.

— Oh ! pas si bien que cela, fit la femme. Le logement est grand ; car nous avons deux chambres à coucher aussi vastes que cette pièce et des racoins, mais c’est si incommode et c’est si froid ! Et pas de cuisine ! Reprit-elle, montrant sur un court palier un fourneau qu’elle avait dû installer dans l’escalier même. Puis, je deviens vieille et j’ai du mal maintenant, quand je vais aux provisions, à remonter autant de marches !

— Il n’y a même pas moyen de planter un clou dans cette cave, dit le mari ; la pierre de taille les tord quand on veut les enfoncer et les rejette ; enfin, moi, je suis fait au logis, mais elle, elle rêve d’aller finir ses jours à Landévennec !

Des Hermies se leva. Ils se serrèrent la main et le ménage Carhaix fit jurer à Durtal qu’il reviendrait.

— Quelles excellentes gens ! s’écria-t-il, lorsqu’il se trouva sur la place.

— Sans compter que Carhaix est précieux à consulter, car il est documenté sur bien des choses.

— Mais enfin, voyons, comment, diable, un homme qui est instruit, qui n’est pas le premier venu, exerce-t-il un métier qui est un métier de manoeuvre... d’ouvrier, en somme ?

— S’il t’entendait ! — Mais, mon ami, les campaniers du Moyen Age n’étaient point de misérables hères ; il est vrai que les sonneurs modernes sont bien déchus. Quant à te dire pourquoi Carhaix s’est épris des cloches, je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est qu’il a fait en Bretagne des études au séminaire, qu’il a eu des scrupules de conscience, ne s’est pas cru digne du sacerdoce, et qu’à Paris où il est venu, il a été l’élève d’un maître sonneur fort intelligent et très lettré, le père Cilbert, qui avait dans sa cellule, à Notre-Dame, des vieux plans de Paris si rares. Celui-là n’était pas non plus un artisan, mais bien un collectionneur enragé des documents relatifs au vieux Paris. De Notre-Dame, Carhaix a passé à Saint-Sulpice où il est installé depuis plus de quinze ans déjà !

— Et toi, comment l’as-tu connu ?

— En qualité de médecin d’abord ; puis, je suis devenu son ami, depuis dix ans.

— C’est drôle, il n’a pas cette allure de jardinier sournois qu’ont les anciens élèves des séminaires.

— Carhaix en a, pour quelques années encore, dit des Hermies, comme se parlant à lui-même. Après quoi, il sera temps qu’il meure. L’Eglise, qui a déjà laissé introduire le gaz dans les chapelles, finira par remplacer les cloches par de puissants timbres. Alors, ce sera charmant ; ces mécaniques seront reliées par des fils électriques ; ce seront de vraies sonneries protestantes, des appels brefs, des ordres durs.

— Eh bien, ce sera le cas pour la femme de Carhaix de retourner dans le Finistère !

— Ils ne le pourraient, car ils sont très pauvres ; et puis Carhaix dépérirait s’il perdait ses cloches ! C’est tout de même curieux cette affection de l’homme pour l’objet qu’il aime ; c’est l’amour du mécanicien pour sa machine ; on finit par aimer, autant qu’un être vivant, la chose qui vous obéit et que l’on soigne. Il est vrai que la cloche est un ustensile à part. Elle est baptisée ainsi qu’une personne, et ointe du chrême du salut qui la consacre ; d’après la rubrique du Pontifical, elle est aussi sanctifiée, dans l’intérieur de son calice, par un évêque, de sept onctions faites en forme de croix, avec l’huile des infirmes ; elle doit ainsi porter aux mourants la voix consolatrice qui les soutient dans leurs dernières affres.

Puis elle est le héraut de l’Eglise ; la voix du dehors comme le prêtre est la voix du dedans ; ce n’est donc pas un simple morceau de bronze, un mortier posé à la renverse et qu’on agite. Ajoute que, semblables aux anciens vins, les cloches s’affinent, en vieillissant ; leur chant devient plus ample et plus souple ; elles perdent leur bouquet aigrelet, leurs sons verts. Ça explique un peu comment on s’y attache !

— Diable, mais tu es fort sur les cloches, toi !

— Moi, répondit des Hermies, en riant, mais je ne sais rien ; je répète ce que j’ai entendu dire à Carhaix. Au reste, si ce sujet t’intéresse, tu pourras lui demander des explications ; il t’apprendra le symbolisme de la cloche ; il est inépuisable, ferré là-dessus comme pas un.

— Ce qui est certain, fit Durtal rêveur, c’est que moi qui habite un quartier de couvents et qui vis dans une rue dont l’air est plissé, dès l’aube, par l’onde des carillons, lorsque j’étais malade, la nuit, j’attendais l’appel des cloches, le matin, ainsi qu’une délivrance. Je me sentais alors, au petit jour, bercé par une sorte de dodelinement très doux, choyé par une caresse lointaine et secrète ; c’était comme un pansement si fluide et si frais ! j’avais l’assurance que des gens debout priaient pour les autres et par conséquent pour moi ; je me trouvais moins seul. C’est vrai, au fond, c’est surtout fait pour les malades affligés d’insomnie, ces sons-là !

— Non seulement pour les malades, mais les cloches sont aussi le bromure des âmes belliqueuses. L’inscription que portait l’une d’elles « paco cruentos », « j’apaise les aigris », est singulièrement juste quand on y songe !

Cette conversation hanta Durtal qui, le soir, alors qu’il fut seul chez lui, se prit à rêvasser dans sa couche. Cette phrase du sonneur que la véritable musique de l’Eglise, c’était celle des cloches, lui revint telle qu’une obsession. Et sa rêverie subitement reculée de plusieurs siècles évoqua, parmi de lents défilés de moines au Moyen Age, la troupe agenouillée des ouailles qui répondait aux appels des angélus et buvait comme le dictame du vin consacré les gouttes flûtées de leurs sons blancs.

Tous les détails qu’il avait autrefois connus des séculaires liturgies se pressèrent : les Invitatoires des Matines, les carillons s’égrenant en des chapelets d’harmoniques bulles sur les rues tortueuses et serrées, aux tourelles en cornets, aux pignons en poivrières, aux murs percés de chantepleures et armés de dents, des carillons chantant les heures canoniales, les primes et les tierces, les sextes et les nones, les vêpres et les complies, célébrant l’allégresse d’une cité par le rire fluet de leurs petites cloches ou sa détresse, par les larmes massives des douloureux bourdons !

Et c’étaient alors des maîtres sonneurs, de vrais accordants, qui répercutaient l’état d’âme d’une ville avec ces joies ou ces deuils de l’air ! — et la cloche qu’ils servaient, en fils soumis, en fidèles diacres, s’était faite, à l’image même de l’Eglise, très populaire et très humble. A certains moments, elle se dévêtait, ainsi que le prêtre se dépouille de sa chasuble, de ses sons pieux. Elle causait avec les petits, les jours de marchés et de foires, les invitait, par les temps de pluie, à débattre leurs intérêts dans la nef de l’église, imposant, par la sainteté du lieu, aux inévitables débats des durs négoces, une probité qui demeure à jamais perdue !

Maintenant les cloches parlaient une langue abolie, baragouinaient des sons vides et dénués de sens. Carhaix ne se trompait pas. Cet homme qui vivait, en dehors de l’humanité, dans une aérienne tombe, croyait à son art, n’avait plus par conséquent de raison d’être. Il végétait, superfétatif et désuet, dans une société que les rigaudons des concerts amusent. Il apparaissait, tel qu’une créature caduque et rétrograde, tel qu’une épave refluée sur la berge des âges, une épave surtout indifférente aux misérables soutaniers de cette fin de siècle qui, pour attirer les foules en toilettes dans le salon de leurs églises, ne craignent pas de faire entonner des cavatines et des valses sur les grandes orgues que manipulent, en un dernier sacrilège, maintenant, les usiniers de la musique profane, les négociants en ballets, les fabricants d’opéras-bouffes.

Pauvre Carhaix, se dit-il, en soufflant sa bougie. Encore un qui aime son époque autant que des Hermies et autant que moi ! Enfin, il a la tutelle de ses cloches et certainement, parmi ses pupilles, sa préférée ; en somme, il n’est pas trop à plaindre, car, lui aussi, il a sa petite toquade, ce qui lui rend probablement, comme à nous, la vie possible !