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Le Tour de France

Numéro 14, 15 avril 1905


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C’EST à Victor Hugo, à de Montalembert, à Viollet-le-Duc, à Didron, que nous devons le réveil de louanges dont se pare maintenant l’art gothique, si méprisé par le XVIIe et le XVIIIe siècles, en France. A leur suite, les chartistes s’en sont mêlés et ont parfois exhumé des layettes d’archives, des actes de naissance portant le nom des « maitres de la pierre vivel » qui bâtirent les cathédrales ; les recherches continuent dans les cimetières à paperasses des provinces ; quelle est à l’heure actuelle, le résultat de ce mouvement que détermina le Romantisme ?

Celui-ci : tous les architectes, tous les archéologues, depuis Viollet-le-Duc jusqu’à Quicherat, n’ont vu dans la basilique ogivale qu’un corps de pierre dont ils ont expliqué contradictoirement les origines et décrit plus ou moins ingénieusement les organes. Ils ont surtout noté le travail apparent des âges, les changements apportés d’un siècle à un autre ; ils ont été à la fois physiologistes et historiens, mais ils ont abouti à ce que l’on pourrait nommer le matérialisme des monuments. Ils n’ont vu que la coque et l’écorce, ils se sont obnubilés devant le corps et ils ont oublié l’âme.

Et pourtant l’âme des cathédrales existe ; l’étude de la symbolique le prouve.

La symbolique qui est, suivant la définition de Littré, la science d’employer une figure ou une image comme signe d’une autre chose, a été la grande pensée du moyen âge et, sans elle, rien de ces époques lointaines ne s’explique. Sachant très bien qu’ici-bas tout est figure, que le visible ne vaut que par ce qu'il recouvre d'invisible, l’art du moyen âge s’assigna le but d’exprimer des sentiments, des pensées avec les formes matérielles, variées, de la vitre et de la pierre et il créa un alphabet à son usage. Une statue, une image put être un mot et des groupes, des alinéas et des phrases ; la difficulté est de les lire, mais le palimpseste se déchiffre. Des livres tels que le « Miroir du Monde » de Vincent de Beauvais, le « Spéculum Ecclesiae » d’Honorius d’Autun, si bien mis en valeur par M. Male, le Spicilège de Solesmes, les apocryphes, la Légende dorée, nous donnent la clef des énigmes.

L’on comprendra cette importance attribuée à la symbolique, par le clergé, par les moines, par les architectes, par les imagiers, par le peuple même au XIIIe siècle, si l’on tient compte de ce fait que la symbolique provient d’une source divine, qu’elle est la langue parlée par Dieu même.

Elle a, en effet, jailli comme un arbre touffu du sol même de la Bible. Le tronc est la Symbolique des Écritures, les branches sont les allégories de l’architecture, des couleurs, des pierreries, de la flore et de la faune, les hiéroglyphes des Nombres.

Si ces diverses branches peuvent donner lieu à des interprétations plus ou moins sûres, il n’en est pas de même de la partie essentielle, de la symbolique des Écritures qui, elle, est claire et tenue pour exacte par tous les temps. Qui ne sait, en effet, que l’ancien Testament est la préfiguration du Nouveau, que la religion Mosaïque contient en emblèmes ce que la religion catholique nous montre en réalité ? L’histoire sainte est une ensemble d’images ; tout arrivait aux Hébreux en figures, a dit saint Paul ; le Christ l’a rappelé maintes fois à ses disciples et il a presque toujours, lorsqu’il s’adressait aux foules, usé de paraboles, c'est-à-dire d'un moyen d'indiquer une chose pour en désigner une autre.

Il n’est donc point surprenant que le moyen âge ait suivi la tradition que lui avaient transmise les Pères de l’Église et appliqué à la maison de Dieu leurs procédés.

Cela dit, nous devons ajouter qu’en sus de cette préoccupation d’enclore dans une cathédrale, les vérités du dogme, sous les apparences des contours et les espèces des signes, le moyen âge a voulu traduire, en des lignes sculptées ou peintes, les Légendaires et les évangiles apocryphes, être en même temps aussi qu’un cours d’hagiographie et de pieux fabliaux, un sermonnaire narrant au peuple le combat des vertus et des vices, lui prêchant la sobriété, le travail, la nécessité évoquée par la parabole des vierges sages et des vierges folles, d’être toujours prêt à paraître devant Dieu, le menant, peu à peu, tout en l’exhortant le long de la route, jusqu’au jour de la mort qu’il lui découvrait brutalement, dès l’entrée même de la basilique, dans les tableaux du Jugement dernier et du pèsement des âmes.

La cathédrale était donc un macrocosme ; elle embrassait tout ; elle était une bible, un catéchisme, une classe de morale, un cours d’histoire et elle remplaçait le texte par l’image pour les ignorants.

Nous voici loin avec ces données, de l’archéologie, de cette pauvre anatomie des édifices !

Voyons maintenant, en usant de cette science des symboles, ce qu’est Notre-Dame de Paris, quelle est la signification de ses divers organes, quelles paroles elle profère, quelles idées elle décèle.

Ses pensées et son langage ne diffèrent pas de ceux de ses grandes soeurs de Chartres, d’Amiens, de Strasbourg, de Reims. — Tout au plus cache-t-elle une arrière-pensée qui sent un tantinet le fagot et que j’expliquerai plus loin ; — nous pouvons donc, pour elle comme pour les autres, l’étudier, en lui appliquant les théories générales du symbolisme.

Occupons-nous d’abord de l’intérieur. Durand, évêque de Mende, qui vécut au XIIIe siècle, c’est-à-dire à l’époque même où fut construite Notre-Dame, nous enseigne que ses tours représentent les prédicateurs, et cette assertion se confirme par la signification assignée aux cloches qui rappellent aux chrétiens, avec leurs prédications aériennes, les vertus qu’il leur faut pratiquer, s’ils veulent parvenir aux sommets des tours, images de la perfection que cherchent à atteindre, en s’élevant, les âmes. Suivant une autre exégèse formulée, dans le Spicilège de Solesmes, par le pseudo Méliton, évêque de Sardes, les tours représenteraient surtout la vierge Marie et l’Église veillant sur le salut de la ville qui s’étend sous elle.

Le toit est l’emblème de la charité ; les ardoises sont les chevaliers qui défendent le temple contre les païens, figurés par les orages ; les pierres des murailles, soudées entre elles, certifient d’après Durand de Mende, l’union des âmes, et suivant Hugues de Saint-Victor, le mélange des laïques et des clercs.

Et ces pierres, liées par le ciment, synonyme de la charité, forment les quatre grands murs de la basilique, les quatre Évangélistes, selon Prudence de Troyes, et selon d’autres écrivains, les quatre vertus principales : la Justice, la Force, la Prudence, la Tempérance.

Les fenêtres sont les emblèmes de nos sens qui doivent être fermés aux vanités de ce monde et ouverts aux dons du ciel ; elles sont garnies de vitres, laissant passer les rayons du soleil, du Soleil de Justice qui est Dieu ; elles sont encore les Écritures qui éclairent, mais repoussent le vent, la neige, la pluie, similitudes des hérésies.

Quant aux contreforts, ils symbolisent la force morale qui nous soutient dans la poussée des tentations.

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Notre-Dame a trois portails, en l’honneur de la Trinité sainte ; et celui du milieu, dénommé portail royal, est divisé par un pilier sur lequel repose une statue du Christ qui a dit de Lui-même, dans l’Évangiles : « Je suis la porte ». Tranchée de cette façon, la porte indique les deux voies que l’homme est libre de suivre.

Et cette allégorie est complétée par l’image du Jugement dernier qui se déroule, au-dessus des chambrales, avisant le pécheur du sort qui l’attend, suivant qu’il s’engagera dans l’une ou dans l’autre de ces deux routes.

Pour résumer en quelques lignes ces données, nous pouvons dire que l’âme chrétienne, partie du sol, du bas des tours, avec la foi dans les vérités primordiales de la religion, stipulées par les groupes des trois porches : la Trinité, que le nombre même de ces porches avère, la croyance en la Divinité du Fils et la Maternité divine de la Vierge, racontée par les statues et les figures, s’élève peu à peu, en pratiquant les vertus désignées par les grands murs, jusqu’au toit, symbole de la Charité qui couvre une multitude de péchés, qui est la vertu par excellence, selon saint Paul.

Il ne lui reste plus dès lors, pour atteindre le Seigneur et se fondre en Lui, qu’à gravir les tours dont les sommets représentent les cimes de la vie parfaite.

Et cet abrégé de la théologie mystique que la façade de Notre-Dame nous enseigne, nous le retrouvons, condensé en d’autres termes, exprimé par d’autres mots, dans son intérieur, par l’ensemble de la nef, du transept et du choeur, ces trois degrés de l’ascèse, la vie purgative, énoncée par les ténèbres de l’entrée, loin de l’autel ; la vie contemplative qui s’éclaire en avançant vers le choeur ; la vie unitive qui ne se réalise que dans la partie attribuée à Dieu, là, où convergent les feux allumés par le Soleil de Justice, dans les vitraux des roses.

La forme intérieure de Notre-Dame est comme celle de la plupart des grandes basiliques, cruciale. Cette forme a été par Jésus même, lorsque dans le deuxième chapitre de l’Evangile, selon saint Jean, il affirme que si les Juifs détruisaient le temple, ils le rebâtirait en trois jours et indiquait par cette parabole son propre corps. Il révélait ainsi aux générations futures les dispositions que devaient, après le martyre de la croix, adopter les nouveaux temples.

Prenons-le donc après sa mort — sa tête est le choeur, ses bras tendus sont les deux bras du transept, ses mains percées sont les portes ouvertes au bout des deux allées de ce transept, ses jambes sont la nef, ses pieds troués sont les portes du grande porche. Dans nombre d’églises, mais plus visible qu’à Notre-Dame, l’axe même du sanctuaire dévie, simulant ainsi qu’à Reims, par exemple, l’attitude du corps affaissé sur le bois du supplice.

Les piliers, s’ils s’élèvent au nombre de douze, sont les douz apôtres ; les colonnes signifient les dogmes, d’après saint Nil, les Evêques et les Docteurs, suivant Durand de Mende et les chapiteaux sont les paroles de l’Ecriture ; le pavé est le fondement de la foi et de l’humilité ; le jubé qui a été détruit, était l’image de la montagne sur laquelle prêchait le Christ. La longueur de Notre-Dame personnifie encore la longanimité de l’Eglise dans les revers ; sa largeur : la charité qui dilate les âmes ; sa hauteur ; la récompense future.

Le choeur et le sanctuaire symbolisent le ciel, tandis que la nef est l’emblème de la terre et comme l’on ne peut franchir le pas qui sépare les deux mondes que par la croix, on plaçait jadis dans toutes les églies, en haut de l’arcade grandiose qui réunit la nef au choeur, un crucifix colossal.

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L’ignorance des architectes et l’indifférence des curés ont depuis longtemps fait disparaître de Notre-Dame, comme de presque toutes les basiliques du reste, cette croix gigantesque qui avait cependant sa raison d’être !

Le signe marquant la division des deux mondes, ne subsiste plus maintenant à Notre-Dame que grâce à la grille qui entoure le choeur et limite les deux zones. Saint Grégoire-le-Grand y voit, en effet, la ligne tracée entre la partie réservée à Dieu et celle affectée à l’homme.

Quant à l’autel, il est le Messie même, le lieu où il appuie sa tête sur la croix, la table de la cène, le gibet sur lequel il répandit son sang, le sépulcre qui renferme son corps ; et il est aussi l’Eglise, et ses quatre coins sont les quatre coins de l’Univers qu’Elle régit.

Or, derrière cet autel, se creuse l’abside dont la forme est demi-circulaire et cette sorte de conque est le calque de la couronne d’épines qui cerna le chef du Christ. D’habitude, la chapelle du fond est dédiée à la Vierge, pour témoigner par cette place même, la plus éloignée du fond de l’église, qu’Elle est le dernier refuge des pécheurs, mais, ici, où la cathédrale lui est vouée tout entière, Elle n’a pas de chapelle, au bout du chevet et la place qu’Elle n’occupe point est tenue par un oratoire où l’on garde les réserves du Saint-Sacrement.

La Vierge est encore manifestée par la sacristie d’où le prêtre qui est le suppléant du Fils, sort, après s’être habillé des vêtements sacerdotaux, comme Jésus sortit du sein de sa Mère, après s’être couvert d’un vêtement de chair.

Il faut toujours le répéter, toute partie d’une cathédrale est la traduction d’une vérité théologique, et dans l’architecture scripturale, tout se tient.

Notre-Dame de Paris, pour la récapituler, n’est qu’une des pages du grand livre de pierre écrit au XIIIe siècle sur notre sol et elle ne fait qu’enseigner dans l’Ile de France les mêmes doctrines de la théologie mystique qu’enseignent en même temps, dans la Beauce, dans la Picardie, dans la Champagne, ses soeurs de Chartres, d’Amiens, de Reims, en nous bornant à en citer trois ; elle se sert du même idiome qu’elles et cette unanimité de doctrine et d’expression se comprend si l’on considère que les artistes n’ont jamais été, à cette époque, que les interprètes de la pensée de l’Église. Ainsi que le fait justement remarquer M. Male, dans son substantiel volume sur L’Art religieux au XIIIe siècle », dès 787, les Pères du second Concile de Nicée déclaraient que la composition des images n’était pas laissée à l’initiative des artistes ; elle relevait des principes posés par l’Église et la tradition religieuse et les Pères ajoutent encore : « l’art seul appartient aux artistes, l’ordonnance et la disposition nous appartiennent. »

Il y eut donc immuabilité d’enseignement et de langue et les maîtres maçons et les imagiers n’eurent qu’à se conformer aux principes de la symbolique que leur indiquaient les moines ou les prêtres.

Mais ce dialecte hermétique, clair pour ceux qui le parlaient et pour les artistes qui l’entendaient, était-il compris du peuple ?

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Nous pouvons le croire, d’après les quelques renseignements que nous possédons ; Yves de Chartres nous affirme, en effet, que le clergé apprenait la science des symboles au peuple et il résulte également des recherches de Dom Pitra, qu’au moyen âge, l’oeuvre du pseudo Méliton, qui contient une clef des allégories employées par l’Église, était populaire et connue de tous.

Cette symbolique officielle, si l’on peut dire, était donc accessible à tous les croyants, mais il en est une autre qui figure à Notre-Dame de Paris, une symbolique occulte, compréhensible seulement pour quelques initiés ; celle-là dérive de ce que l’on nomme les sciences maudites, très pratiquées au moyen âge. A-t-elle été insérée, à l’insu du clergé qui n’y vit goutte, sur certaines parties de la façade, ou les formules en furent-elles dictées aux imagiers par un prêtre adepte de l’astrologie et de l’alchimie, on ne le saura jamais ; ce qui semble le plus probable, c’est que les dresseurs de thèmes généthliaques et les souffleurs de cornues ont cru découvrir, après coup, dans des sujets purement religieux, des intentions qui n’y étaient pas.

Toujours est-il que Notre-Dame de Paris est peut-être une des seules cathédrales en France où de semblables secrets auraient été cachés sous le voile apparent des Écritures.

Deux des portails de la façade, le portail royal, celui du milieu, et celui de Sainte-Anne et de Saint-Marcel qui longe le quai, sont ceux devant lesquels se sont réunis, au moyen âge et depuis, les adeptes de l’astrologie et les philosophes de la chrysopée.

Au portail royal, quatre figures sont censées représenter les symboles de la pierre philosophale ; elles sont contenues dans quatre médaillons qui se font vis-à-vis, deux par deux et qui sont encastrés, non dans le portail même, mais dans les contreforts. Ils sont là, très en évidence, séparés de tout l’ensemble décoratif de la porte. Ils représentent : à gauche, le premier, en partant du haut, Job sur son fumier rongé par des vers que l’on voit et entouré d’amis ; le second : un personnage étêté et manchot qui traverse, appuyé sur un bâton ou sur une lance, un torrent. Dans sa monographie de la cathédrale de Paris, M. de Guilhermy déclare qu’il est impossible d’identifier cette figure. Il est, en effet, difficile de savoir de quel nom ce bonhomme s’appelle. Il a l’attitude de saint Christophe, franchissant, appuyé sur son bâton, une rivière, et l’arc et les flèches que l’on aperçoit à ses pieds seraient bien ses attributs, car il fut avant que d’être décapité, tué à coups de flèches et devint même, à cause de ce genre de supplice, le patron des arbalétriers, mais la place en haut du médaillon, pour y loger l’Enfant Jésus sur ses épaules, manque et d’ailleurs nul indice n’existe d’une statuette brisée, près du dos et de la tête cassée du Saint. Ce n’est donc point le Christophore, et ce passant garde jusqu’à nouvel ordre l’anonymat.

De l’autre côté, maintenant, à droite, en partant toujours du haut, nous trouvons Abraham prêt à sacrifier son fils et dont un ange arrête le bras, lequel bras a disparu, ainsi qu’Isaac tout entier et une bonne partie de l’ange — enfin près d’une tour, un guerrier casqué et vêtu d’une cotte d’armes, protégé par un bouclier, qui lance contre le soleil un javelot. Celui-là serait Nemrod qui, d’après une ancienne tradition, serait monté sur une tour pour livrer bataille au ciel et à ses habitants.

Si nous nous plaçons au point de vue de la symbolique chrétienne, ces bas-reliefs ne suscitent aucune difficulté d’interprétation ; les sujets, sauf celui du faux saint Christophe, sont clairs, et les enseignements lucides ; mais, il faut bien l’avouer, ils sont étrangement mis à part ; ils ne présentent aucun sens dans l’ensemble sculpté du portail ; ils constituent, en somme, des phrases isolées, sans rapports entre elles.

Si nous acceptons le point de vue de la symbolique spagyrique, nous pouvons reconnaître avec le vieil hermétiste Gobineau de Montluisant, que Job est une image de la pierre philosophale qui passe par les épreuves avant que d’atteindre son degré de perfection ; qu’Abraham est l’alchimiste, le souffleur ; Isaac, la matière à jeter dans le creuset ; l’ange, le feu qui sert à opérer la transmutation de la matière en or. Restent le pseudo-Christophe et le Nemrod, mais les grimoires de l’alchimie ne nous renseignent guère sur le sens précis de ces figures.

D’autre part, les astrologues qui désignent, de temps immémorial, ce portail sous le nom de porche de l’astrologie, ont toujours vu dans les tableaux qu’il représente, une image de la Vierge astronomique et dans le Christ, accompagné de ses apôtres, la figure du soleil qui monte à l’horizon, entouré des signes du zodiaque. Que cette opinion soit fondée ou non, il faut avouer qu’elle a eu raison de se produire, car c’est à elle que nous devons d’avoir conservé une partie du porche. Et, en effet, en août 1793, la Commune avait décrété la destruction de tous ces simulacres de la vieille superstition religieuse ; et ce fut le citoyen Chaumette qui réclama en faveur de la science, déclarant que ce portail constituait un cours d’astronomie et avait servi à Dupuis pour établir son système planétaire — et le portail fut sauvé. Ce portail royal était et est donc encore revendiqué par les partisans de l’astrologie et les hermétistes. — Le portail voisin de Sainte-Anne et de Saint-Marcel l’était et l’est encore par les alchimistes seuls.

A les entendre, le récipé, le secret de la sublime pierre des sages est inscrit sous la statue qui se dresse sur le trumeau, tranchant en deux la porte. Cette statue portraiture un Évêque, debout, mitré et crossé, bénissant d’une main ses visiteurs et foulant aux pieds un dragon sort d’une sorte de chapelle funéraire où une femme morte est assise dans un linceul enveloppé de flammes.

La lecture de cette scène est très simple. Il suffit d’ouvrir les Bollandistes. La légende de saint Marcel, neuvième évêque de Paris, raconte, en effet, que ce saint délivra la ville d’un horrible dragon qui avait établi son gîte dans le cercueil d’une femme adultère, décédée, sans avoir eu le temps de se repentir et sans avoir reçu les sacrements ; le saint frappa de sa crosse le monstre, lui entoura le cou de son étole, l’emmena à quelques lieues de Paris, dans un désert, et, là, lui intima l’ordre, auquel d’ailleurs il obéit, de ne jamais plus retourner dans la ville.

La version des alchimistes est autre. Dans son cours de philosophie hermétique, Cambriel explique ainsi cette figure :

Sous les pieds de l’Évêque, sur le socle même de sa statue, de chaque côté, deux ronds de pierre sont sculptés. Les ronds de droite seraient les images de la nature métallique brute, telle qu’on l’extrait de la mine, les ronds de gauche négligés comme les premiers par la symbolique chrétienne, seraient la même nature métallique mais purifiée ; et celle-là se rapporterait à la figure humaine, assise, dans la chapelle sépulcrale, et qui a pris naissance dans le feu dont son linceul s’entoure. De cette fournaise tombale qui serait l’oeuf philosophique, placé dans l’athanor, le dragon, né à son tour de la figure humaine, serait en s’élevant hors du fourneau, en plein air, sous les pieds du saint, le dragon babylonien dont parle Nicolas Flamel, autrement dit, le mercure philosophal, le lait de la Vierge, la substance même qui change par une projection le plomb en or.

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Dans cette interprétation, saint Marcel ne nous bénirait plus, mais il ferait un geste de circonspection, qui signifierait : taisez-vous, gardez le secret si vous l’avez compris.

Que ces explications soient erronées ou exactes, peu importe ; ce qu’il faut retenir c’est que, plus que ses congénères, Notre-Dame de Paris est mystérieuse, plus savante peut-étre, mais moins pure, car elle est à la fois catholique et occulte et elle greffe sur la symbolique chrétienne les secrets de la kabbale.

En tous cas, ces discussions ne prouvent-elles pas que, sauf de nos jours, Notre-Dame fut toujours envisagée, telle qu’un traité de symbolisme, s’exprimant à mots couverts, parlant, à l’exemple du Christ, en paraboles ? Les archéologues, les architectes l’ont disséquée, ainsi que ferait un médecin d’un cadavre ; c’est très bien, l’anatomie de son corps est désormais connue ; les romanciers, comme Victor Hugo ont fait d’elle un décor plus ou moins véridique pour y loger des personnages fabriqués de toutes pièces, et cependant le poète a été le seul, alors, qui ait eu une vague intuition de la symbolique du moyen âge, lorsqu’il a écrit sa comparaison fantaisiste de la façade royale, trouée d’une grande fenêtre flanquée de deux petites, ainsi que le prêtre est flanqué, pendant la messe, du diacre et du sous-diacre, à l’autel. Il reste désormais à décrire, autrement qu’en un rapide abrégé, ses aîstres spirituels, sa vie intérieure, son âme, en un mot. La vraie monographie de notre cathédrale serait celle-là ; mais le positivisme architectural ne fait que s’accroître, et, malheureusement, le clergé s’éloigne de plus en plus des questions qu’il aurait pourtant intérêt à ne pas dédaigner.


J.-K. HUYSMANS.