oblat cover

L’Oblat (1903)



back

Revue Bleue.

7 mars 1903.

LA VIE LITTÉRAIRE


L’Oblat.


L’Oblat, par J.-K. Huysmans; P.-V. Scott, éditeur. — L’Evolution des idées chez quelques-uns de nos contemporains, par Jean Lionnet; Perrin, éditeur.


Ah ! le brave Huysmans, le sympathique oblat, l’admirable écrivain !

Il vient de nous démontrer que, pour être oblat, on n’en est pas moins homme; et nous lui en avons une gratitude infinie. Certes, sa conversion nous suggère de profonds sentiments de respect attendri, comme l’une des manifestations les plus sincères et, par surcroît, s’il faut tout dire, les plus imprévues de la vie littéraire pendant la dernière partie du XlXe siècle. Mais nous ne sommes point du tout avides de voir Huysmans se détacher de plus en plus des contingences et des vulgarités d’ici-bas. Nous supplions Dieu de nous faire une petite concession qu’en sa générosité, bienveillante même aux hommes de lettres, il ne nous refusera pas. Nous le conjurons de ne pas attirer complètement, irrémédiablement à lui notre cher Joris-Karl, l’inoubliable auteur des Soeurs Vatard, et celui même qui t’a créé, ô Folantin ! Nous l’implorons de ne pas laisser se perdre totalement dans les régions, aussi éthérées que brumeuses, de la mystique, ce peintre incomparable de la vie vulgaire, que dis-je, ce grand poète épique de la vulgarité de la vie... Ah ! puissent nos voeux être exaucés ! Puisse Joris-Karl Huysmans demeurer tonjours un peu terre à terre ! Nous aimons d’une sympathie si profonde l’ancien Huysmans, le surprenant naturaliste narquois qui nous amusa tant des plates tristesses, hélas ! inévitables, de notre nauséeuse existence, que nous souffririons trop d’être à jamais séparés de lui. Et le ciel et Joris-Karl lui-même me pardonnent si je suis moins soucieux de nombrer les progrès de Huysmans vers le paradis, que de rechercher, que d’apercevoir en quoi le jeune saint n’a pas dépouillé le vieil homme !

C’est après m’être bien assuré que Folantin persiste en Durtal et que Durtal même petit à petit se dispose à redevenir tout à fait Folantin, mais un Folantin rajeuni et revivifié par sa cure religieuse; c’est alors que j’admire avec sécurité et avec sérénité l’hagiographe issu des gargotes, le mystique surgi des naturalistes, et l’oblat né du bureaucrate. L’estomac s’améliore, les sujets d’observation changent; mais Huysmans reste, et cela nous suffit.

Un nouveau critique, Jean Lionnet, dont il importe de louer sans réserve l’esprit clair, l’aptitude éminente à généraliser prudemment, sûrement, l’indépendance calme et, sans doute, le style raisonnable, discret, que personnifient seulement, si j’ose dire, certaines expressions, certains tours vaguement ecclésiastiques dont il ne serait pas mauvais qu’il se libérât prochainement, M. Jean Lionnet atteste d’abord que l’évolution des idées chez Huysmans fut normale, logique et loyale (nul n’avait jamais douté de cette loyauté et de cette logique), mais ensuite que Huysmans s’étant acheminé à la bonne heure sur les routes de la penitence, de la mortification et de la mysticité, s’étant converti au moment opportun avant la crise d’âge, ne sera point de ceux qui font dire, hélas ! trop justement, que la conversion des écrivains ne manque jamais d’être une désastreuse aventure et que la littérature constamment y perd plus que Dieu n’y gagne. Certes, Jean Lionnet a raison; et Huysmans ne se montrera aucun moment aveuli et piteux comme tant d’autres littérateurs qui n’ont apporté à Dieu que des restes trop de fois réchauffés et accommodés à trop de sauces littéraires. Mais est-il vrai que « Huysmans, audacieux et indisciplinable représentant d’un art tout moderne, non seulement ne semble pas gêné par le catholicisme, mais y puise une force neuve, et une plus heureuse hardiesse » ? Ah ! pardon !

Et marquons nettement ce qu’il importe de ne pas dissimuler. Dans ses romans catholiques, s’il est, en vérité, une chose dont nous nous passerions, je ne dis pas volontiers, mais sans trop nous plaindre, c’est la peinture ou la description des cérémonies du culte ou des exercices de l’âme. Sachons reconnaître que ce n’est pas sans les surcharger qu’elles encombrent les nouveaux ouvrages de Huysmans. Et si l’écrivain ne nous paraît point indigne de l’admiration que nous lui réservions naguère, c’est parce que souvent il veut bien discerner des hommes dans les moines parmi lesquels il se complaît maintenant, et, dans ces moines, rechercher surtout pour les analyser, avec quel relief ! les hommes qu’ils sont. Et si l’écrivain parfois nous paraît mériter mieux encore que l’estime littéraire que nul ne balançait à lui attribuer jadis, c’est lorsqu’il oublie comme par hasard moines et plain-chant, art gothique et travaux de bénédictins pour revenir, d’un pied léger, à la vie de notre temps. Alors, ses peintures sont d’une vigueur sans pareille, d’une jovialité malveillante à laquelle personne assurément ne peut rester insensible. L’art de Huysmans s’est perfectionné encore, nous le jurerions. Mais si sa force s’est renouvelée, s’il est hardi avec plus de bonheur, ce n’est pas à cause, c’est en dépit de sa conversion.

Donc Huysmans, de. plus eu plus dégoûté des moeurs contemporaines et des nourritures parisiennes, s’est évadé du monde moderne pour s’approcher aussi près que possible de Dieu, s’est évadé aussi de la rue de Sèvres pour aller vers quelques abbayes où l’on se purifie en vue de l’avenir, et où l’on peut manger en somme avec une saine sobriété. Le voici au Val des Saints, suivant les offices, conversant avec les moines, s’intéressant à leurs intérêts, faisant de leurs affaires ses propres affaires et devenant oblat parce que sa conviction l’entraîne doucement à l’oblature, et aussi parce que l’influence du milieu s’exerce sur lui et qu’il est assez disposé a consentir pour son salut tous les sacrifices qui n’exigent point un exorbitant héroïsme et qui le laissent à peu près maitre de lui. Il coulerait à l’ombre de l’abbaye bénédictine une vie douce entremêlée de cérémonies religieuses, de voyages à Dijon, de dissertations savantes ni plus ni moins que rétrospectives et d’occupations botaniques, et il préparerait d’autres livres avec quelque embarras, car ce sujet de religion et de mystique s’épuise; mais le gouvernement ne permet pas que se prolongent ses loisirs studieux et pieux, car il expulse les congrégations, ou plutôt, les bénédictins préviennent l’exil possible par l’expatriation. Et Huysmans, privé de ses moines, prend le train pour Paris où il habitera désormais un appartement modeste, mais clair et sec...

Ce retour de J.-K. Huysmans à Paris n’est pas un mauvais effet de la loi sur les congrégations; car, franchement, avec tout cet appareil d’érudition religieuse, il n’y avait plus de roman possible ! On sent bien que toutes les controverses sur la science des Bénédictins dans les temps symboliquement obscurs du moyen âge, que les exposés congruents de vies de saints injustement oubliés, et de hauts faits de saintes qui n’ont pas toute la réputation qu’elles méritent, que les catalogues raisonnés de vieux livres de vieille mystique, que les dissertations de peinture, que la botanique elle-même (car Huysmans dans le désoeuvrement de sa conversion devient botaniste), on sent bien que tout cela et le reste sont superfétatoires, adventices, merveilleusement attrayants d’ailleurs, et prodigieusement « suggestifs », pour employer un mot dont je regrette qu’il soit démodé, car il rend, croyez-moi, de grands services. Ce bon Huysmans, romancier expert, nous déballe cette marchandise parpetits paquets : « Eh bien ! ma bonne madame Bavoil, si nous parlions du plain-chant dans la belle époque ! — Mais certainement, notre ami, et pendant ce temps le fricot pourra cuire à son aise. » Et voilà avec quels procédés on maçonne tout de même un roman de quatre ou cinq cents pages ! En réalité, il y avait dans tous les développements de la conversion de Huysmans le sujet d’un roman, d’un extraordinaire roman. Il a dilué ce qu’il fallait resserrer, et mélangé le roman avec l’essai, avec l’exposé critique et d’ailleurs enthousiaste de toutes les grandes machines dont s’agrémentait la religion dans les temps où l’on savait vraiment être religieux...

Mais on est indulgent à ce défaut, car c’est un défaut de Huysmans, et on voit bien qu’il est de Huysmans ! On pardonne même très volontiers une certaine monotonie qui provient de ce que c’est toujours le bon Joris-Karl qui s’exprime par la bouche de chacun de ses héros. Oui, c’est toujours Huysmans qui parle, soit que nous entendions le Père Felletin, soit que nous soyons admis à la joie d’écouter la sympathique Mme Bavoil, gouvernante et confidente de l’oblat Durtal.

C’est ainsi que le Père Felletin expose des opinions sans charité sur les paysans : « Écoutez ceci, madame Bavoil... Le paysan est privilégié dans ce village; eh bien ! il est si bête... » Ou bien, le Père de Fonneuve fait en ces termes sa profession de foi musicale : « Je refuse de participer, moi et les miens, à ce concert. Il existe une liturgie bénédictine que je ne souffrirai pas de voir sophistiquer par je ne sais quelles turelures... » El on ne sait plus si c’est lui, ou Durtal, ou Huysmans qui s’écrie : « Il nous faut des savants, des lettrés et des artistes, des personnes qui ne soient pas exclusivement des dévots. Pas de marguilliers édifiants et de sacristes pieux ! »

Et lorsque Durtal gémit avec sa verve accoutumée sur les conséquences qu’il subira de la loi sur les congrégations : « Un vrai moine n’a qu’une patrie, son couvent. Qu’il soit en France ou à l’étranger, peu importe, puisqu’il ne devrait pas sortir de sa clôture; l’exil ne le changera donc pas; sauf qu’il boira de la bière au lieu de vin, à table, sa vie sera la même; les novices, eux, se consolent à l’idée de voir du pays : ce sont des enfants que les voyages amusent; mais nous, c’est notre existence par terre, avec le carambolage de cette sacrée loi, c’est le déménagement, le chambard...  » on n’est pas peu surpris alors, d’entendre la bonne cuisinière Bayou répliquer : « Oui, on peut s’apprêter à manger de la vache enragée d’âme ! ! ! » Et tout cela est peut-être bien du réalisme un peu faux !

Mais Huysmans a vu les moines tels qu’ils sont et non tels qu’ils devraient être. Il les a décrits avec une stupéfiante vérité. Il a discerné en eux des hommes, de braves gens qu’une piété extrême n’a pas affranchi des petites faiblesses humaines. Sa fervente conviction religieuse ne l’a point détourné d’être un observateur sans égal. A-t-il trahi, de la sorte, ceux qu’il admire et qu’il aime ? Non pas. En les rapprochant de nous, en les assimilant davantage à notre pauvre humanité, il les a faits tout à la fois et plus sympathiques, et plus vrais, et plus vivants. Il a évité, en artiste maitre de lui, les poncifs de la religiosité. Il a peint, non les moines idéaux et falots dont se peut à la rigueur contenter une littérature anémique, mais les moines véritables de notre temps, de notre pays, de notre monde. Et son livre restera comme un document au plus haut point précieux sur un milieu qu’on observe rarement de près et avec soin, sur un milieu que l’on connaît mal. Ah ! qu’ils vivent, ses moines de toutes catégories et de toutes physionomies, depuis l’Abbé diplomate jusqu’aux petits aspirants enthousiastes; qu’ils vivent, aristocrates ou bien peuple selon leurs origines, atteints de la maladie du scrupule ou se laissant aller pacifiquement vers Dieu, confiants en eux-mêmes, en leur bonne volonté et en leur probe vulgarité native ! Il analyse à merveille leur noblesse morale ou leur grossièreté physique, et chaque trait s’accentue sans qu’il fasse le moindre effort pour cela :

« Dom Ramondoux, le maitre de chant, entra. Il serra la main de Durtal, qui exécrait en lui le redoutable braillard qu’était le chantre...

« Dom Ramondoux était un Auvergnat redondant et jovial. Il avait une encolure de taureau, un estomac cambré sur un ventre en bombe. Ses yeux proéminaient, glauques, sur un nez retroussé à la Roxelane; ses bajoues pendaient et d’énormes bouquets de poils roux jaillissaient des fosses des oreilles et des antres du nez. »

Au moins, voilà un homme ! Et Dom Ramondoux, si laid, est peut-être un brave homme. Ah ! Huysmans aurait pu employer le style lessivé que certains cuistres exigent pour certains sujets, pommader sa phrase, introduire en ses pages ces bondieuseries fadasses qu’il exècre si justement ! Qu’il faut lui savoir gré d’avoir évité cette mysticité de commande et de contrebande ! Et comme, grâce à lui, grâce à sa vision si aiguë, comme on dit, grâce aussi à ses procédés de peinture, à tout ce qui constitue sa manière, comme dans tous ces moines uniformisés par la règle stricte et l’identité des croyances, comme nous voyons persister les individus ! Pour cela, son livre est supérieur à tous les autres sur des sujets analogues... Jamais nous ne fûmes admis ainsi qu’aujourd’hui à l’intimité des cloîtres !

Et jamais mieux nous n’avons compris Huysmans lui-même. Il est, au fond, le héros de son ouvrage; et vraiment, il « ne fait pas de façon », avec nous. Convenons qu’il nous laisse incertains sur les raison les plus profondes de ses élans mystiques et de sa passion effrénée pour les plus pures cérémonies du culte catholique ! Mais il ne s’en fait pas accroire et il ne nous en fait pas accroire. Sa psychologie se définit, se précise, et c’est bien lui qui le veut. Lui est plus vivant encore que tous les personnages qui lui font un pittoresque non moins qu’édifiant cortège. Voici, ah ! le voici bien, notre cher Joris-Karl, notre familier Huysmans, avec toutes ses convictions étroites et furibondes, ses abandons, ses égoïsmes, ses railleries, ses mépris, ses souhaits, ses rêves, son penchant irrépressible à voir toutes choses ainsi qu’elles sont dans la vie contemporaine : la trivialité adultérant toujours l’idéal; nous le voyons aussi avec ses pauvres petites ambitions de tranquillité relative et de relatif confortable, et son sens suprême, admirable, de la caricature qui déforme la réalité, mais tout de même ne la dénature point ! Ah ! Huysmans, Joris-Karl Huysmans, si près, si près de nous !

On sait bien pourquoi il est aussi disposé à frayer avec les « durs à cuire du bon Dieu », « les vieux grognards de la religion » qu’avec les esthètes de la mysticité. C’est d’abord parce que Folantin persiste en Durtal. Le voici geignant sur sa femme de ménage indolente et soiffarde qui aggrave la pitoyable qualité des comestibles par sa façon déréglée de les cuire. Aussi avec quelle joie cordiale il accueille Mme Bavoil, gouvernante en disponibilité de l’abbé Gévrésin, Mme Bavoil dont les talents culinaires ne furent pas inutiles à ses progrès dans le catholicisme. Le tableau de l’arrivée de Mme Bavoil au Val des Saints est un chef-d’oeuvre violemment coloré...

Et Durtal est exclusif en ses goûts, comme toujours nous avons connu Huysmans. Sa passion pour les moines détenteurs de la vraie tradition musicale ne lui permet pas de sottes indulgences pour le reste du clergé et du monde. Le curé séculier « écope » fortement : « Il m’a produit l’effet d’une jeune paysanne assez mal élevée, mais qui ferait ce qu’on appelle en argot parisien sa « tata ». Il a une façon de se tortiller sur sa chaise, de coqueter, de jouer de l’éventail, d’esquisser des gestes de fillette qui appréhende, tout en le désirant, un rapt, qui ne me dit rien qui vaille. » L’évêque Le Nordez est, lui aussi, jugé avec une vigoureuse simplicité : « Je le connais, cet églisier; et je vous assure que nous allons avoir avec lui l’ardélion des cultes : ce que M. Triaurault, si à plat ventre, pourtant, devant le gouvernement, va apparaître tel qu’un évêque indépendant en comparaison de celui-là ! » Quant aux hobereaux, ils sont sommairement condamnés. Que les voici bien, « les gourdes armoriées », « les noblaillons du cru » ! « Le très noble baron des Atours, accompagné de sa famille, entrait. Il jetait un regard protecteur sur ces manants qui s’effaçaient devant lui; sa face de vieux capitaine d’habillement s’abattit, une fois agenouillé, au premier rang des chaises, entre ses dix doigts qui bientôt se déjoignirent, les uns pour tirer la brosse à dents de sa moustache, les autres pour caresser la boule lisse de son crâne. Sa femme était d’une distinction problématique et sa fille d’une laideur sûre; elle ressemblait à la maman, avec quelque chose de plus provincial encore et de plus gnolle. »

Naturellement, les parlementaires qui pourchassent les congréganistes et le plain-chant ne lui inspirent aucune indulgence. Il convient que les séniles malassins du Luxembourg ne valent pas mieux que les pernicieuses malebêtes de la Chambre. Il est sans respect pour les galope-chopines de l’extrême gauche. On sent qu’il n’estimera jamais beaucoup les sénateurrs : « La Chambre avait trouvé dans le Sénat son sosie d’opprobres. Un sous-Trouilot, du nom de Vallé, avait rempli, avec quelques terrines de son eau de vaisselle, l’auge de la rue de Tournon, et les veux glandivores s’étaient ventrouillés dans le purin de cette éloquence et avaient voté, haut la patte, la loi. » — Ah ! Huysmans, facétieux Huysmans !

Et oncques ne vit-on mystique plus pratique. S’il s’en va à Dijon quérir de la chartreuse verte, « le plus pressé, pensait-il en sortant de la gare, c’est d’aller entendre la messe à Notre-Dame; ce après quoi je m’attarderai longuement auprès de la Vierge-Noire, car j’ai bien des heures à tuer. » Par moments, ’’c’est égal, s’écrie-t-il en allumant une cigarette, il convient d’avouer que, comme descendant des oblats des premiers siècles, je suis plutôt débile ». En effet, il est enclin à ne pas trop se prendre au sérieux : « Oui, parlons-en, vous vous fichez de moi, mademoisile l’oblate », dit-il à Mlle de Garambois. En rien d’ailleurs, il ne tolère d’être gêné. Il raille les dangers de son genre de vie, agréable à Dieu : « Oui, l’on devient des ronds-de-cuir pieux et l’office lui-même sent la conserve, avec ses psaumes marinés dans la saumure de leur chant. Mais il ne souffre pas les « enfants de Marie » qui goualent les fariboles du curé et braillent dans l’église des rigaudons... Et pour tout dire, jamais ne le quitte la pensée de cette terrestre existence. Il est adroit à mener, d’ailleurs, la vie en partie double; et le jour où il vient de se faire recevoir oblat, il ne songe qu’à une chose, c’est qu’il a oublié d’avertir la mère Bayou qu’il déjeune à midi au monastère...

Et quand il sait que la congrégation quittera le Val des Saints, il s’attriste à l’idée qu’il devra, lui aussi, déguerpir. Il fait des projets, et la religion, alors, n’est que secondaire : « Je tâcherai de choisir un quartier tranquille, d’y dénicher un logis clair et sec, à bon compte, près d’une chapelle, s’il y a moyen. » Et il s’inquiète : « Arrêter un appartement, c’est facile à dire... Il sera nécessaire de découvrir sa niche dans un vieil immeuble, mais, alors, c’est l’humidité, le manque de jour, l’incommodité des pièces mal distribuées, difficiles à chauffer; c’est la glacière et c’est le cabanon !... »

Tels sont les soucis profonds de cet oblat. Ils touchent et ils égaient. Et les romans de Huysmans nous passionnent encore dans la mesure où, en Durtal, nous reconnaissons Folantin, — Folantin, assagi si possible, de santé moins délabrée, d’une philosophie un peu enrichie, mais grinchant et raillant sans cesse, prêt à sourire douloureusement de tout. Nous éprouverons le plus vif plaisir à retrouver encore Durtal quand, de nouveau, il aura vécu un an ou deux dans Paris.


J. ERNEST-CHARLES.