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La Bièvre. Les Gobelins. Saint-Séverin (1901)



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Revue Biblio-Iconographique

troisième série, 1901.

J.-K. HUYSMANS. La Bièvre, les Gobelins, Saint-Séverin (2).


Tout ce qui sort de la plume de grand écrivain, retiré près du monastère de Ligugé et comme soustrait ainsi volontairement aux banalités du monde, se voit l’objet de la faveur du public extra lettré. Sa Cathédrale était une envolée vers le ciel, semblant détacher à tout jamais l’esprit humain de la terre, ce volume, histoire descriptive et pittoresque de quelques vieux quartiers de Paris bientôt disparus ou défigurés nous le redonne annaliste fidèle, chroniqueur parisien et toujours artiste. Quelle bonne fortune pour un voyant de ce caractère, au style imagé, original autant que l’on sait, de rencontrer un compagnon de route qui le puisse suivre du même pas, excursionnant par les méandres des rues, les antiques masures, les impasses, les échoppes où foissonnent les cabaretiers, les frituriers, les regrattiers, les gueuxet les autres! Ce compagnon de route, alerte, inlassable, vous n’en pouviez douter ni souhaiter meilleur, c’est Auguste Lepère armé de son crayon qui fouille, note, enregistre les moindres traits de physionomie. On suit avec eux la Bièvre, qui disparaît pour reparaître et s’enfoncer dans une ombre « puante »; on s’arrête à la gatté d’un parc; on plonge — au boulevard d’Italie — dans des promenades « semées de boulingrins et de corbeilles ». Pauvre Bièvre, « humble et lamentable esclave » condamnée à se cacher!

Et voici les Gobelins et la manufacture nationale, ses constructions, ses secrets, et la délicieuse promenade à travers les jardins un peu abandonnés à dame nature. Plus loin, la paroisse de Saint-Séverin, au quartier demeuré « miséreux » et mal famé, regorgeant de clapiers, de bouges, à l’aspect « sinistre à la fois et hilare, » aux bâtisses jeunes ou vielles « lancées pêle-mêle dans le tourbillon cocasse des rues » qui autrefois les conduisaient « au galop de leurs pentes ». La rue Saint-Julien-le-Pauvre, actuellement démolie tout d’un côté, vaut qu’on s’y arrête et Lepère n’y manque pas. Huysmans, devant la haine des ingénieurs et architectes pour tout ce qui rappelle un passé plus bric-à-brac et nuancé d’art, ne peut s’empêcher de clore ses promenades sans adresser un adieu à cette « mélancolique et charmante Bièvre qu’ils ont fini par tuer et par inhumer dans un égout ». Saint-Séverin, ajoute-t-il, aura son tour. C’est pourquoi le beau volume, destiné à nous conserver ces dernier vestiges d’antan est d’autant plus précieux. Il faudrait citer: le chemin des peupliers, la ruelle des Gobelins, ce quartier vu du boulevard Saint-Michel, les contreforts des Saint-Séverin, la cour du no. 15, rue de la Bûcherie, les marchands de tabac de la place Maub, l’escalier de la maison du Château-Rouge, la rue de la Parcheminerie, etc. Parmi les 4 hors-texte, remarquons la vigoureuse et lumineuse eau-forte représentant la rue des Prêtres-Saint-Séverin, ainsi que cette autre, superbe d’éclairage et de coloration: la rue Galande.

Au tirage, quelques frottements se sont produits par place et, dans le classement un hors-texte a été transposé. Ce sont faibles mécomptes, difficiles à éviter, à moins que l’artiste n’opère lui-même son tirage avec la vielle press a bras ou ne surveille directement, ainsi qu’autrefois.

Après ce que nous venons de dire, il ne faut pas s’étonner que Lepère, enfant du quartier, ait voulu fixer en un album spécial ses souvenirs par des croquis faits au bord de la Bièvre et dans la paroisse Saint-Séverin.


(2) Paris, Société de Propagation des Livres d’art. (Siège: « Cercle de la Librairie »), 1901; un vol. gr. in-8 de 148 pages, 30 compositions bois dans le texte et eaux-fortes hors texte. — Tirage à 695 exempl. numér. — Impr. A. Lahure, à Paris.