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Les Foules de Lourdes (1906)



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La Revue.

15 novembre 1906.

Foules de Lourdes par J.-K. HUYSMANS.


Le nouveau livre de J.-K. Huysmans, les Foules de Lourdes, renferme un grand nombre de pages où les profanes ne prendront, j’en ai peur, qu’un mince plaisir. Il faut être aussi féru d’hyperdulie que M. Huysmans lui-même pour s’intéresser par exemple aux diverses apparitions dont il nous fait tout d’abord un long historique, pour goûter, comme elle le mérite, la glose sur les cierges dans laquelle il veut bien nous apprendre que leur cire symbolise « la chair très blanche de Jésus »; et leur mèche « son âme très pure ». D’autres chapitres décrivent avec complaisance des plaies et des maladies peu ragoûtantes: scrofuleux, tuberculeux, gâteux, coxalgiques, c’est un défilé dont je vous fais grâce. Par bonheur, on trouve aussi dans les Foules de Lourdes quelques paysages et quelques scènes où nous pouvons mieux apprécier les qualités de cet écrivain, brutal, sans doute, et un peu bien truculent à mon goût, mais dont le style rachète ses criard defauts par ce qu’il a de relief ou même de puissance. Je citerai entre autres le panorama de Lourdes un jour de pluie (p.34), l’arrivée des pèlerins (p.52), le marché (p.223), etc.

Quelque dévot qu’il puisse être, M. Huysmans, on le sait, parle en toute liberté des choses et des gens d’Eglise. Il ne se gêne point ici pour dire que la cathédrale de Lourdes se rapporte à « une esthétiqe de marchand de bouchons », pour appeler le Rosaire « un cirque hydropique », pour dénoncer, dans certaines peintures, « la sentimentalité bébête de l’ouvrier de cercle catholique qui a bu un coup. » Il qualifie d’« édifiantes oies » les femmes du peuple qu’il voit défiler dans la grotte, et, préfère encore ces « têtes de pioche » aux « pieusardes d’un rang supérieur », tout occupées, quand elles se traînent sur les genoux, de regarder autour d’elles si leur cabotinage a quelque succès.

M. Huysmans mêle d’ailleurs, à son ordinaire, le langage des halles avec celui des sacristies. Oyez seulement comme il parle de la confession: « S’il n’y avait que des hommes, la lessive aurait lieu encore assez vite, car les lavandiers expédient d’habitude après un rinçage sommaire, les hommes; mais il y a des femmes! et celles-là veulent qu’après les avoir amidonnées, on les repasse », etc. Le voilà maintenant qui entre à son tour dans le confessionnal. « Je vide ma hotte...Ça y est! C’est étonnant ce qu’une confession allège, ce qu’on se sent frais et dispos après...Il y a vraiment une vertu perceptible, presque tangible, dans le sacrement de la Pénitence! » N’est-ce pas qu’un catholique tout à fait bon teint peut seul écrire de pareilles choses sans se rendre suspect d’ironie?

Lourdes a son revers, comme dit M. Huysmans. « Immense hôpital Saint-Louis, versé dans une gigantesque fête de Neuilly, c’est une essence d’horreur égouttée dans une tonne de graisse, c’est à la fois douloureux et bouffon et mufle. » Mais, si Lourdes a son revers, son « endroit » est « inégalable »; et l’auteur le peint dans certaines pages avec une fervente émotion. Lisez entre autres le passage sur ces cierges de la Grotte qui, dressés pêle-mêle vers la Madone, semblent confondre en une même prière les adorations et les voeux de tout un peuple (p.46-49).

M. Huysmans nous dit au début que sa foi ne repose ni sur sa raison ni sur la perception de ses sens, qu’elle relève d’une assurance acquise par des preuves internes. Fort bien, c’est son affaire. Mais pourquoi, dans la suite du livre et particulièrement dans le chapitre final, veut-il démontrer, par des preuves externes, la réalitê des miracles? Sa logique est loin de valoir sa rhétorique. Et, si sa rhétorique abonde en métaphores très virulentes contre les libres-penseurs, ceux-ci, après tout, ont la consolation de se dire qu’elle ne ménage guère plus les « églisiers »; comme il les appelle, et les « ratichons ».