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A vau-l’eau (1882)



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Le Livre.

10 mars 1882.

A vau-l’eau, par J.-K. HUYSMANS. Portrait à l’eau-forte de l’auteur, par Am. Lynen. 1 vol. Bruxelles, Henry Kistemaeckers, 1882.


Avant de dire quelques mots de l’ouvrage lui-même, nous tenons à faire la part de l’excellent éditeur, qui a fait cette édition de bibliophile avec tout le soin possible : ce qui ne surprendra personne ; car tout livre sorti de cette importante maison bruxelloise porte avec soi un cachet d’originalité qui fait rechercher les éditions de Kistemaeckers par de vrais amateurs.

Ceci dit, examinons de sang-froid et impartialement le livre de M. Huysmans. Ce volume devait s’appeler primitivement M. Folantin ; il est devenu maintenant A vau-l’eau; M. folantin reste toujours le sujet de cette nouvelle étude naturaliste. M. Folantin est un petit employé de ministère, ratatiné, méthodique, minutieux, pointilleux, ayant eu tous les désenchantements ou plutôt n’ayant jamais eu un enchantement. Ce pauvre M. Folantin, en a-t-il eu des malheurs ! Tout jeune,il allait à Bullier, mais il « boîtait, était timide et n’avait pas d’argent. » Plus tard, il a plus d’argent, mais l’amour est parti. « Une fois, il s’était cru heureux ; il avait fait connaissance d’une fillette qui travaillait ; celle-là lui avait bien distribué des à-peu-près de tendresse, mais, du soir au lendemain, sans motifs, elle l’avait lâché, lui laissant un souvenir dont il eut de la peine à se guérir. » Ici, c’est son feu qui ne veut pas prendre ; là, c’est un « désolant fromage » de Roquefort qu’un garçon de restaurant sert au pauvre employé. « M. Folantin chipota ce fromage, plia sa serviette, se leva... » Mais les malheurs de M. Folantin ne se bornent pas à cela. « Un soir qu’il chipotait des oeufs qui sentaient la vesse, le concierge lui présenta une lettre de faire-part ainsi conçue : » Enfin, à la dernière page du livre, toute la malechance de l’employé de ministère apparait dans tout son éclat. Après une pénible aventure, M. Folantin rentre chez lui un soir. Il fair froid, il est dégouté : « Tiens, je n’ai pas d’allumettes, se dit-il, en fouillant ses poches, dans l’escalier. » Voilà qui n’est pas drôle! Pas d’allumettes à chipoter pour un homme aussi chipoteur que ce M. Folantin. C’est sur ce nouveau malheur, couronnement de bien d’autres, que finit le livre.

M. Huysmans sera sans doute bien étonné lorsque nous lui dirons qu’il n’a fait que parodier une jolie nouvelle de Champfleury, Le Cabaret de ma tante Péronne. Qu’il relise ce livre, il y verra M. Folantin, qui dans Champfleury se nomme M. Proche, et il pourra constater que les réaslistes avaient beaucoup d’esprit sinon un grand luxe de style et de détails.

Nous ne discutons pas le talent de M. Huysmans, qui est trè réel, très originale et très curieux à étudier; nous contestons seulement le système que nous croyons déplorable. M. Huysmans, qui a fait de bons romans naturalistes — nous pourrions en citer au moins deux — a sans doute voulu faire dans sa nouvelle oeuvre la charge de genre auquel il doit ses succès: ce serait de l’ingratitude. Peut être est-ce simplement aussi l’exagération d’un principe qui a produit cet étrange ouvrage ?

V.