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La Plume

Supplément du 1er juillet, 1890.



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Joris-Karl HUYSMANS

Voice un auteur donc le propre n’est point d’être lauré, tous les matins, d’épithètes louangeuses par les gazettes officielles. Sa gloire ne se traduit pas encore en photographies aux vitrines, en dénomination de fleurs ou de confitures nouvelles, en affiches polychomes sur les murs. Les criticules salariés de la Grande Presse qui n’ont pas assez d’encre pour écrire des produits d’Ohnet et les signaler à l’attention publique, semblent complètement l’ignorer. S’il édite un roman nouveau soyez sûr qu’il n’aura, pour le faire connaître que a Prière d’insérer de l’éditeur à la quatrième page des journaux, entre l’annonce d’une veille cocotte endommagée qui demande à mettre un reste de coeur en location et l’avis d’un ménage de gardien de la paix en retraite qui sollicite un emploi de concierge.

Ça et là, pourtant, des indépendants comme le salace et acutangle chroniqueur Jean Lorrain, dénoncent un En Rade mais la foule inintellectuelle passe indifférente, préoccupée du Panama, du cours des rentes, et des sauvages du Jardin d’Acclimatation.

Et c’est tant mieux !

Je dis tant mieux parce que je suis de ceux qui pensent qu’une popularité entache une gloire et que le nombre n’applaudit qu’aux sottises.

Aussi bien pourquoi Huysmans serait-il compris de la foule ? Est-ce qu’il y tâche ? Il ne recherche rien de ce qui requiert les masses. Il n’a garde de brouiller les fils ténus d’une intrigue complexe. On ne voit point chez lui des rapts d’héroîne en berline ni des mutations d’enfants, ni des empoisonnements subtils, ni de les crimes palpitants qui font tourner fiévreusement les pages au lecteur secoué jusqu’aux moelles.

Il n’a pas non plus de « fleurbleuisme ». Il ne la fait pas au sentiment. C’est un coeur sec. Un transparent dans la boiserie du réfectoire lui vaut tous les paysages du monde. Il préfère un bout de toile peinte, un décor à la nature et s’il raffole des clairs de lune, c’est de ceux qu’on imite avec la lumière électrique. Quelle blague que l’or des blés ! dit-il, quelque part.

Ne lui parlez pas de voyages. A quoi bon ? Vous dites Londres ? mais une taverne anglaise du quartier à l’Europe par exemple, vous sera tout un Londres plus suggestif, en miniature. Vous dites Munich ? Allez donc vous empiffrer de choucroute et de saucisses dans telle brasserie gothique, hantée d’Alsaciens et l’illusion sera complète parmi l’odeur, des bières mousseuses et la raucité des voix aheurtées.

Pour l’Amour, soyez certains que sa façon de le comprendre n’est pas du tout celle de Monsieur Georges Ohnet et de Mademoiselle Ballandard et que ce qu’il en exprime n’est guère conforme à ce qu’on en a vu étale dans les recueils poétiques primés au concours des Muses Santonnes.

Ses amoureux ne se sustentent pas seulement d’azur ; ils mangent, digèrent, évacuent. Ils n’ont pas pour unique peéoccupation de regarder les étoiles et d’efleuiller les marguerites. Un soin plus humble les retient à terre. Ils sont surtout préoccupés de ne pas rencontrer des chairs molles, pendantes, ni une haleine accentuée. Ils ont des défaillances, des impuissances, des nausées comme les gens en chair et en os.

C’est plaisir de les entendre parler. Dans En Ménage André demande à Jeanne de lui décrire les cabinets d’aisances de son atelier et de lui raconter ce que les ouvrières ensemble se racontent de l’homme.

Des Esseintes revenu des femmes explore les retraits des berges et les kiosques de l’Esplanade des Invalides. La bestialité seule manque à la collection. Cela, sûrement, viendra.

Huysmans prend comme un malin plaisir à contrarier toutes les opinions reçues à effarer le lecteur bonhomme et de compréhension pauvre.

C’est dans A Rebours qu’il faut voir l’étalage brillant de ses paradoxes ingénieux où vit quelle désopilante fantaisie !

Des Esseintes, son héros ; se joue, avec des liqueurs, des symphonies gustatives, il habille une tortue de diamants, etc. En somme, il exécute son métier de névrosé avec une virtuosité rare et dénote, en toute chose, le goût du subtil et de l’inédit qui caractérise son auteur.

Huysmans aime à se donner les allures de l’inventeur, du découvreùr. Partout il quête, furète, tire au jour des choses nouvelles.

Dans les Croquis Parisiens, il découvre la banlieue, les bals du Gros Caillou, la rue de la Chine.

Dans les Soeurs Vatard il découvre les locomotives, l’application des chemins de fer à la littérature, les bondieuseries des alentours de Vaugirard.

Dans En Ménage il découvre la crise juponnière, et dans En Rade le paysan qu’après les façons de bergeries et les pastorales de Madame Sand, il a reconstitué avant Zola. Son livre met en scène de réelles brutes des champs et l’on y chercherait en vain les houlettes, les roses-pompons aux corsages et les moutons enrubannés non plus que la simplicité des premiers âges et la béatitude du coeur chantés dans l’O Fortunatos.

Il y a en outre, dans ce livre, un parralèle curieux entre le paysan et l’ouvrier des villes où ce dernier est avec raison, assuré de toutes les sympathies de l’auteur. Plus à plaindre, est-il, en effet, dans les usines surchauffées, les puits houilliers sans air, avec, pour seules distractions, des boissons frelatées et de périculeuses amours.

Huysmans découvre aussi des génies inconnus, ce qui est le dernier mot, du dilettantisme, le fin du fin. Il a découvert Gustave Moreau, Odilon Redon, Raffaëlli, Verlaine, Mallarmé, Tristan Corbière et tant d’autres. Il est vrai que les gens découverts ne sont pas des génies de bon aloi, à preuve ce mauvais rimeur Théodore Hannon, mais qu’importe ?

Comme tout réaliste qui se respecte, Huysmans est pessimiste; mais, son pessimisme est de nuance particulière qui mieux ressortira si on l’oppose au pessimisme de Bourget par exemple.

Les gens de Bourget sont tristes au milieu des biens de la fortune, au milieu de toutes les richesses, sources de la joie ; ils sont tristes par distinction, par délicatesse d’âme. Ils soupirent après l’au-delà comme des poètes.

Les gens de Huysmans, au contraire, sont tristes de l’impossibilité où ils sont de trouver une gargotte passable, une maîtresse saine et complaisante, une concierge discrète et dévouée. Ils n’ont guère, si l’on peut dire, que des préoccupations physiques. Que le rosbeaf soit tendre, saignant à point, que leur femme soit voluptueuse et le portier affable, ils deviendront, semble-t-il, de bons petits bourgeois ventripotents, satisfaits.

Au fond, son pessimisme, c’est de l’égoïsme de vieux célibataire qui n’aime être dérangé ni dans ses habitudes, ni dans ses affections. Il en veut aux gens qui passent de n’être pas d’une plastique heureuse. Les conversations de café l’écoeurent parce que les mots s n’y sont pas d’or et qu’on n’y discute point de chose artistiques.

Il est aussi plus attentif à la marche de sa digestion qu’à celle du progrès, un mot que l’on commence à reconnaître vide de sens.

Des Esseintes en qui se réflète en grande partie Huysmans, ne se départ de son égoïsme qu’un seul instant. Il s’intéresse, au sort d’un petit galopin des rues, rencontré au hasard de l’une de ses pérégrinations de noctambule et il se met en tête de pourvoir à son bien-être et à son éducation mais c’est avec l’espoir que l’éducation toute spéciale qu’il lui donne portera ses fruits et le mènera tout droit en cours d’assises.

Et rien ne peut donner l’idée du désappointement de ce mentor d’un nouveau genre, quand, ouvrant tous les matins les journaux à l’endroit qui traite des tribunaux, il n’y lit point le nom de son intéressant protégé.

Quant à son patriotisme, il en donne lui-même la mesure en déclarant qu’il se sent plus d’affinités pour un homme de Leipzig que pour un homme de Marseille, ce qui est évidemment pour faire bondir Déroulède. Il est probable qu’il n’applaudit pas davantage aux ébats chorégraphiques des filles de taverne qui, pour fêter le quatorze juillet, se costument en Alsaciennes, afin sans doute d’être pour les membres de la ligue des patriotes, une incarnation vivante de la patrie perdue et d’entretenir ainsi de beaux sentiments dans les coeurs.

Voilà un portrait moral peu flatté n’est-il pas vrai ? et vous êtes tout à fait persuadés maintenant que Huysmans est un écrivain immoral, digne du feu en place de Grève; moi, je reste convaincu qu’il est adorable tout simplement et j’en sais diablement qui sont de mon avis.

Mais l’adorable des idées n’est rien auprès de la façon plus adorable encore dont elles sont mises en oeuvre. Huysmans se flatte de descendre d’une lignée de peintres et le fait est qu’il a l’oeil merveilleusement exercé. C’est un coloriste à outrance. Il exulte dans les descriptions et il en a de si éclatantes, qu’elles brûlent la vue, si j’ose dire.