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Pages Catholique (1900)


blue  Préface.

blue  En Route.

blue  La Cathédrale.

blue  Préface de la 15e édition d’En Route.

blue  Préface du Petit Catéchisme liturgique de l’abbé Henri Dutilliet.



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PRÉFACE

I

LA publication de ce recueil vise un double but: satisfaire le désir d’un grand nombre de catholiques et achever de dissiper certains doutes.

On a souvent regretté que, pour des motifs d’ordre divers, les derniers ouvrages de M. Huysmans ne pussent trouver place dans toutes les bibliothèques.

En voici un du moins qui fera exception, par la séverité qui a présidé à sa composition, par la qualité des morceaux qu’il renferme. C’est ainsi que, dans une forêt dense, on pratique certaine coupe qui permet de voir pl us de ciel et de respirer librement. Devons-nous ajouter que le romancier s’est fait son propre bûcheron, avec une bonne volonté qui n’a d’égale que celle de Lamartine dans ses Lectures pour tous?

Ce premier résultat obtenu, nous en espérons un second. Ceux qui doutent encore de la conversion de M. Huysmans finiront peut-être par y croire, quand ils auront, sous les yeux, non plus isolément, mais rapprochées et comme fondues, les pages où cette foi s’affirme.

Tout écrivain peut sans doute tromper l’opinion, mais il ne la trompera ni entièrement, ni longtemps. Les lecteurs exercés reconnaissent tout de suite s’il y a un écart entre l’expression et la pensée, et dans quelle mesure il est coupable. La masse plus lente à s’éclairer aboutit cependant aux mêmes conclusions. M. Huysmans est, sous ce rapport, de ceux qui ne craignent ni le flair des uns, ni l’enquête tardive des autres. Rarement, en effet, l’auteur et l’homme se sont identifiés davantage. C’est à peine si le romancier se distingue des types qu’il a créés. Sa sincérité est la forme même de son talent: il lui doit ses qualités et ses défauts, ses admirateurs et ses ennemis. Or, si elle nous intéresse, comme un fait psychologique, dans l’ensemble de ses productions, elle nous émeut du jour où la grâce l’a conquis et où il raconte sa vie nouvelle. Que certaines irrévérences et bizarreries de langage aient pu suspendre ou égarer le jugement de plusieurs, il n’y a rien d’étonnant; mais ceux qui s’en tiennent à l’esprit plus qu’à la lettre et qui savent combien les voies de Dieu sont parfois peu classiques, ne s’y sont pas trompés. On ne joue pas à ce point le repentir! On ne fait pas jaillir artificiellement de telles larmes! Décrire, avec cette précision, les effets de certains sacrements, c’est les avoir ressentis, à deux genoux, comme un croyant. Et il faut être encore pratiquant pour se plaire aux mystiques, pour se nourrir de la liturgie, pour s’approprier la pensée des saints, pour glorifier I’Eglise avec des accents qui n’appartiennent qu’à ses fils.

Cette démonstration sortira d’elle-même du livre que nous publions. De là son titre de: Pages catholiques, qui en marque le caractère et en souligne la portée. On nous permettra d’y joindre, avec la biographie résumée de l’auteur, une courte appréciation de ses oeuvres qui servira de préface.



II

L’ironie particulière à M. Joris-Karl Huysmans, sa recherche des coins intimes et ses goûts invétérés d’artiste s’expliquent assez par ses origines. Il est né le 5 février 1848, Paris, au no 11 de la rue Suger, d’une famille de peintres hollandais. Son père, Godfried Huysmans, était en effet de Bréda.

Son oncle professa la peinture à l’académie de cette ville, puis à celle de Tilburg.

On peut admirer, au Louvre, quelques paysages d’un ancêtre signés Cornélis Huysmans.

Si Montalembert a pu dire: "Je suis le premier de mon sang qui n’ait guerroyé qu’avec la plume, mais que ma plume elle-même devienne un glaive!" M. Huysmans pourrait se vanter de n’avoir changé de vocation qu’en apparence, car sa plume vaut un pinceau.

Il reçut le baptême dans cette église de Saint-Séverin qu’il décrira plus tard, à plusieurs reprises, avec "sa futaie de palmiers dont un fruit tombe en une goutte de sang, en un rubis de veilleuse, devant le tabernacle (1)".

Nous rappelons qu’il fut, comme François Coppée, élève de la pension Hortus et externe au lycée Saint-Louis. Tristes années qu’il n’évoque, çà et là, même dans ses pires ouvrages, que pour opposer l’éducation laïque aux maisons congréganistes et déclarer hautement l’excellence de ces dernières. On trouve, dans A Rebours, tout un éloge des collèges dirigés par les Jésuites et de la méthode qu’on y suit. "Il (des Esseintes) se rappela ce joug paternel qui s’accommodait mal des punitions... entourait l’enfant d’une surveillance active, mais douce, cherchant à lui être agréable... un joug paternel, quiconsistait à ne pas abrutir l’élève, à discuter avec lui, à le traiter déjà en homme, tout en lui conservant le dorlotement d’un bambin gâté (2)." Il commença ses études de droit pour les interrompre aussitôt et entrer au ministère de l’Intérieur, où il est resté 32 ans. Un autre converti l’y avait précédé, en 1838; mais tandis que Louis Veuillot acceptait l’emploi de chef de bureau, après avoir écrit Rome et Lorette, M. Huysmans dut résigner ses fonctions, au lendemain de la Cathédrale.

Il est chevalier de la Légion d’honneur, depuis le mois de septembre 1893 . C’est à Paris qu’il a toujours demeuré et si l’on excepte quelques voyages aux pays des Primitifs, en Allemagne, en Belgique et en Hollande, et dans ces derniers temps, plusieurs excursions dans les cloîtres de Saint-Wandrille, de Saint-Maur de Glanfeuil et de Solesmes, on peut dire que rarement Parisien a été plus fidèle à la même rive, au même quartier, que dis-je? à la même maison. Qui ne connaît, pour en avoir lu cent fois la description, le no 11 de la rue de Sèvres, ancien couvent de Prémontrés "aux gigantesques corridors, au large escalier dans lequel un régiment défilerait à l’aise, aux caves taillées en ogive, pareilles à des églises". M. Huysmans s’est établi, à l’aile opposée, dans un appartement presque aérien où sur des murs tendus d’andrinople, se détache, malgré l’exiguité du lieu, tout un monde de gravures, de bibelots et de livres. C’est là qu’il a composé la plupart de ses oeuvres. C’est là qu’il à reçu tour à tour les gens de lettres et les hommes d’église. C’est là que quelques amis jouissaient, chaque dimanche, de sa conversation pleine d’humour et de son coeur simple et bon. Ils devront bientôt le chercher ailleurs. Quand ces lignes paraîtront, M. Huysmans sera un déraciné de plus: il aura émigré en Poitou, dans cet ermitage qu’il vient de faire construire, à Ligugé, entre un monastère bénédictin et des bois, pour y écrire les livres de ses rêves: la Vie de sainte Lydwine et l’Oblat.



III

On peut partager, en trois étapes, la vie littéraire de M. Huysmans. La première comprend les débuts qui remontent à l’année 1874. C’est d’abord le Drageoir aux Epices que Théodore de Banville compare à "Un joyau de savant orfèvre". Puis des romans se succédent: Marthe, les Soeurs Vatard, En ménage, avec une nouvelle: Sac au dos, insérée dans les Soirées de Médan. L’auteur, en effet, s’est rangé à la suite d’Emile Zola, sans toutefois l’imiter, car, tout soumis qu’il soit aux doctrines du maître, il les applique à sa manière. Il a l’oeil plus aigu, la main plus patiente, la langue plus raffinée. Ajoutez à cela un pessimisme de détail, une sorte de jeu maladif à trouver tout en défaut, le ridicule jeté complaisamment sur les moindres actes de la vie.

A vau l’eau, paru vers cette époque, résume bien cet état d’esprit. Qu’on s’imagine un vieil employé qui maudit la destinée, à propos d’une lampe qui fume ou d’un plat manqué: tel est M. Folantin, un Schopenhauer de bureau, de chambre garnie et de table d’hôte.

Malgré le talent qu’ils renferment et bien que le vice y soit toujours présenté sous les couleurs les plus moroses, ces premiers ouvrages et la plupart de ceux qui suivront encourent, sans qu’on y puisse contredire, la réprobation des théologiens et des moralistes.

A Rebours inaugure la deuxième étape et se distingue de la manière précédente par les idées, le cadre et le plan. Plus d’action au sens classique du mot, mais un long monoIogue coupé de descriptions et de critique d’art. Si la vision des choses n’a pas changé, l’esprit du moins est nouveau. L’auteur commence à secouer le matérialisme qui pesait sur son oeuvre et il doit ce courage au dégoût que le monde lui inspire et au sentiment de l’art qui ne l’a jamais quitte. Pour la première fois aussi l’idée chrétienne apparaît, agrandissant du même coup l’horizon de l’auteur et purifiant son style, comme dans ce passage: "Il (Des Esseintes) vit, en quelque sorte, du haut de son esprit, le panorama de 1’Eglise, son influence héréditaire sur l’humanité, depuis des siècles; il se la représenta désolée et grandiose, énonçant à l’homme l’horreur de la vie, l’inclémence de la destinée, prêchant la patience, la contrition, l’esprit de sacrifice, tâchant de panser les plaies, en montrant les blessures saignantes du Christ, assurant des privilèges divins, promettant la meilleure part du paradis aux affliges, exhortant la créature humaine à souffrir, à présenter à Dieu, comme un holocauste, ses tribulations et ses offenses, ses vicissitudes et ses peines. Elle devenait véritablement éloquente, maternelle aux misérables, pitoyable aux opprimés, menaçante pour les oppresseurs et les despotes."

Ce n’est pas que M. Huysmans ait jamais poursuivi la Religion et ses prêtres d’une haine de sectaire, mais il était indifférent et passait à côté de ce qui l’attirera désormais.

Chose étonnante! ce livre d’inspiration si complexe d’où procède la littérature décadente et qui restera comme le bréviaire de la névrose contemporaine, est aussi le point de départ de toute une évolution catholique. En Route sera le développement d’un germe deposé dans A Rebours et Durtal peut être défini: un des Esseintes convalescent que la grâce a touché.

Tandis que les dilettantes se bornaient à cataloguer les fantaisies du duc Floressas: l’orgue à bouche, les accords de parfums, les serres d’orchidées et la tortue glacée d’or, Édouard Drumont et Barbey d’Aurévilly ramassaient sans peine la philosophie éparse dans ce poème et la formulaient puissamment.

Le premier y découvrait "cette poignante inquiétude sur la destinée de l’âme humaine, cette souffrance de ne plus croire que démentaient de la façon la plus expressive certaines attaques contre ceux qui croient." Et il terminait cet article par cette déclaration: "N’est-il pas curieux de voir cette question religieuse être l’unique, la constante préoccupation de toutes les intelligences de quelque valeur? Le catholicisme était fini, au dire de certains, et on ne parle que de lui!..." (Le Livre, 10 juin 1884).

Barbey d’Aurévilly est plus explicite encore. Il prend place parmi les "Prophètes du passé", quand il écrit, dans un feuilleton du Constitutionnel portant la date du 29 juillet 1884:

"C’est à une prière qu’aboutit A Rebours" et après l’avoir citée: ’Ah! le courage me fait défaut et le coeur me lève. Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l’incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s’embarque dans la nuit, sous un firmament que n’éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir", le merveilleux écrivain ajoute:

"Est-ce assez humble et assez soumis! Baudelaire, le satanique Baudelaire, qui mourut chrétien, doit être une des admirations de M. Huysmans... Eh bien, un jour, je défiai l’originalité de Baudelaire de recommencer les Fleurs du Mal et de faire un pas de plus dans le sens épuisé du blasphème. Aujourd’hui, je serais bien capable de porter à l’auteur d’A Rebours le même défi. Après les Fleurs du Mal, dis-je à Baudelaire, il ne vous reste plus logiquement que la bouche d’un pistolet ou les pieds de la croix... Mais l’auteur d’A Rebours les choisira-t-il ?"

Regrettons que Barbey d’Aurèvilly soit mort avant d’avoir eu la consolation et la fierté d’applaudir au choix de M. Huysmans.

Nous ne ferons que citer En Rade et Certains, en signalant, dans le premier ouvrage, une monographie des paysans de Seine-et-Marne des plus vigoureuses, et dans le second une campagne qui est devenue une victoire, en faveur de Gustave Moreau, de Monet, de Pissaro et de Wisthler.

Il nous tarde d’arriver à Là-Bas qui complète A Rebours et annonce En Route. L’auteur y a rassemblé toute une série de documents sur le satanisme tel que le passé l’a pratiqué, tel que le présent le perpétue sous nos yeux. Il se promène du XVe siècle au XIXe, du château de Tiffliuges, qui fut le repaire de Gilles de Rais, aux endroits mystérieux où se célèbre aujourd’hui la messe noire, et partout on croit entendre non pas un érudit qui déchiffre des textes, mais un témoin oculaire qui a souffert de ce qu’il raconte et dont le frisson est contagieux.

Des protestations accueillirent de toutes parts cet Enfer d’un autre Dante.

Les incroyants accusèrent M. Huysmans de cléricalisme; les catholiques crièrent au scandale. Il est certain qu’en affirmant et en détaillant sa croyance aux esprits, M. Huysmans rompait du même coup avec la libre-pensée. Le surnaturel est en effet tout d’une pièce, et Tertullien a raison de dire que le démon est le singe de Dieu.

Il n’est pas moins certain non plus que pour mieux atteindre son but qui était de détourner ses contemporains de ces odieuses pratiques, M. Huysmans a multiplié des peintures qu’il faut condamner avec énergie.

Ces réserves nettement articulées, il convient d’ajouter que si l’histoire religieuse de M. Huysmans est une chaîne, A Rebours en est le premier anneau et Là-Bas le second.

Au positiviste d’hier a succédé un spiritualiste qui, loin de rester dans le vague de son nouveau symbole, tend à le préciser davantage et à le mettre en harmonie avec celui de l’Église.

C’est ce qu’Edmond Biré constatait lui-même, dans la Revue de France du 9 mai 1891, en faisant ressortir la figure de Carhaix, le bon sonneur qui aime ses cloches comme le berger ses brebis. Que nous sommes loin du monstrueux profil de Quasimodo et qui donc, une fois monté aux tours de Saint-Sulpice, en voudrait redescendre, tant est douce la compagnie de cet humble à la foi robuste, qui remplit ses fonctions comme un sacerdoce!

Encore quelque temps et Durtal, vaincu par l’exemple, de se soumettre à cette Religion autour de laquelle "il rôdait constamment" et qui avait agi sur lui "par son art extatique et intime, par la splendeur de ses légendes, par la rayonnante naïveté de ses vies de saints."



IV

Les journaux annonçaient, au mois de juillet 1892, que l’auteur de Là-Bas s’était résolu à quitter le monde et à se faire trappiste. Voici la vérité. A M. Huysmans fatigué de ses doutes et désireux de "blanchir" son âme, un ami avait indiqué, pour ce genre de cure, la petite Trappe de Notre-Dame d’Igny, située, près de Fismes, sur les confins de l’Aisne et de la Marne. Le romancier y partit "comme un chien qu’on fouette," fit une retraite, s’y confessa, communia, et c’est cette conversion accomplie, à 45 ans, sans autre pression que celle de la grâce, qu’il se décida, dès son retour à Paris, à raconter dans En Route.

Le livre fut mis en vente au mois de février 1895. Les commentaires dont il fut immédiatement l’objet ne tiendraient pas dans un volume. Ajoutons qu’ils varièrent infiniment. Tout d’abord les libres-penseurs pardonnèrent au néophyte, en faveur de l’artiste, tandis que les catholiques, justement blesses par des pages qu’ils auraient voulu déchirer, repoussaient celui qui venait à eux, d’un air insoumis et avec un langage qui n’était pas le leur. Bientôt cependant ces derniers en grand nombre, comprenaient vaguement que tous les pénitents ne sont pas façonnés sur le même modèle, et la presse religieuse commençait à être hospitalière à l’homme et au livre. M. l’abbé Klein fut l’un des premiers à accentuer la note favorable: "C’est une conversion sérieuse que celle de l’écrivain Durtal. D’abord il se montre logique et suit jusqu’au terme le chemin de la vérité. Il ne se contente pas, suivant une mode assez reçue, de découvrir et de célébrer la morale chrétienne, en la degageant à la fois des dogmes qui en forment la charpente et de la pratique réelle, sans laquelle ce n’est qu’un beau rêve. Il ne fait pas son choix dans l’Évangile. C’est pourquoi il prie, le Christ ayant dit: Priez; il se repent, le Christ ayant dit: Faites péri ite1ce; il se confesse et il communie, le Christ ayant dit à ses apôtres de remettre les péchés et ayant affirmé, sans nul égard pour l’étonnement des auditeurs: si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n’aurez pas la vie en vous (3)."

Les Études Religieuses (31 août 1895) se montrent plus sévères, en déclarant toutefois que "dans ce livre curieux, profond, émouvant, il y a l’histoire d’une âme qui hait le mal, qui en triomphe et qui remonte à la vraie lumière".

La Revue Thomiste (mai 1895) énonçait un jugement identique. "L’ensemble du recueil est digne de louange et les lecteurs un peu initiés à la littérature y prendront un vif intérêt."

A ceux qui accusaient M. Huysmans de jouer je ne sais quelle comédie indigne d’un honnête homme et d’un grand talent, Mgr d’Hulst répondait, d’un mot, qu’il y a "des états d’âme qu’on n’invente pas", et M. Pierre Veuillot, dans l’Univers, du 6 mars, M. G. Bois dans la Vérité, du 11 du même mois, faisaient écho à cette parole.

Nous invitons ceux que sept ans de persévérance chrétienne n’ont pu désarmer à lire attentivement l’étude que le R. P. Pacheu, de la Compagnie de Jésus, a consacrée à En Route, dans un volume intitulé: De Dante à Verlaine et dont voici un extrait important:

"Confondre la droiture de Durtal avec les fumisteries d’un sauteur, ne mérite pas un brevet de perspicacité surnaturelle.

"S’acharner, deux ans après En Route, à mettre en doute la sincérité personnelle de l’auteur, c’est étrange et si j’osais dire en toute carrure de franchise, cela manque absolument de sens... n’est-il pas avéré que, depuis six ans, il est un converti pratiquant, priant, édifiant — que ses amis bénédictins l’ont souvent reçu, — que la Trappe l’a vu de nouveau plus d’une fois raviver, dans la solitude, son âme et son talent? Il a fait de mauvais livres! Bien sûr, puisqu’il se convertit, on se doutait qu’il y eut quelques accrocs à quelques vertus. — Ces livres se vendent encore — mais, charitable et pudibond samaritain, ne les achetez pas, ne les lisez pas, ne les conseillez pas et de grâce, songez qu’avec les libraires comme avec d’autres contractants, il est des conventions synallagmatiques qu’on ne déchire pas à son gré... (4)."

Citerons-nous enfin la brave phalange des jeunes catholiques belges, le député Carton de Wiart, l’abbé Moeller, Pol Demade, Firmin Van den Bosche, Arnold Goffin qui, dans la Durandal, le Magasin littéraire de Gand, la Revue générale, la Jeune Belgique, ont été les amis de la première heure?

Mais toutes ces appréciations doivent faire place à des témoignages qui, pour être inédits, n’en sont pas moins décisifs. Il s’agit des âmes qu’En Route a remuées et orientées vers Dieu. "Ce livre fera du bien à ceux qui n’en lisent pas ordinairement de bons", m’écrivait Dom Augustin, abbé de la Trappe d’Igny. Cette prédiction s’est réalisée à la lettre. Ce fut, en effet, d’un bout de l’Europe à l’autre, comme un tressaillement dans le monde des pécheurs. Beaucoup, qui gisaient au fond de l’abîme, comprenaient enfin qu’ils pouvaient en sortir, que Durtal leur tendait une main fraternelle et que sa conversion était pour eux une promesse de salut. S’il est vrai que l’arbre se juge par ses fruits, que dirons-nous d’un livre qui, malgré tant d’imperfections, a valu, à lui tout seul, toute une armée de missionnaires et qui, chaque jour encore, en France et à l’étranger, détermine des retours à Dieu et fait éclore des vocations?

Quelques mois s’écoulent et M. Huysmans est sollicité d’écrire une préface pour le catéchisme liturgique de M. l’abbé Dutillet, revu par M. l’abbé Vigourel, directeur au séminaire de Saint-Sulpice. M. le marquis de Ségur saisissait cette occasion de dire, dans l’Univers du 20 novembre 1897, ce qu’il pensait du nouveau converti.

Enfin, au mois de février 1898, paraissait la Cathédrale annoncée depuis longtemps et dont le Correspondant, toujours fidèle aux larges traditions qui justifient son succès, avait publié le premier chapitre. Tout le monde se souvient que le livre était dédié à M. l’abbé Ferret, prêtre de la communauté de Saint-Sulpice, frappé en pleine carrière apostolique. Nous avons essayé d’analyser la Cathédrale, avec ses qualités et ses défauts, dans la revue que nous citions tout à l’heure et nous prenons la liberté d’y renvoyer le lecteur des Pages catholiques (5).

Contentons-nous de faire remarquer ici que ce nouveau roman, si différent des autres et où M. Huysmans s’était, non sans mérite, amendé sur tant de points, déchaîna peut-être plus de colères qu’En Route. En voulait-on à l’écrivain d’avoir été trop docile à certaines critiques et, en s’affermissant dans le bien, de démentir plus d’un présage?

On nous saura gré de ne pas répondre, mais de citer plutôt quelques-uns des témoignages les plus considérables qui honorent M. Huysmans et leurs auteurs.

Dans la Quinzaine du 1er mars 1898, M. l’abbé Broussolle, du clergé de Paris, écrit une longue et pénétrante étude dont nous détachons ces mots:

"C’est du Chateaubriand mais plus profond, plus intime, plus vrai, une page détachée d’un nouveau Génie du Christianisme, écrit, cette fois, non plus avec la seule imagination d’un poète, mais avec l’âme tout entière d’un artiste chrétien, et pour en célébrer la beauté totale, non plus le luxe d’apparat." Dans les Etudes Religieuses, nous trouvons un substantiel travail du R. P. Noury, qui débute ainsi:

"La Cathédrale est le livre le plus sérieux qui soit sorti de la plume de M. Huysmans. C’est une oeuvre artistique, archéologique et mystique."

Il faudrait enfin reproduire ici le magistral article de M. Claude des Roches paru dans la Revue Thomiste du mois de septembre 1898, sous ce titre: Le Cas Durtal.

C’est un théologien qui analyse un romancier et jamais l’itinéraire de la grâce en l’âme de M. Huysmans n’a été décrit avec plus d’exactitude et de délicatesse.

Moins affirmatifs que les Revues, les journaux catholiques finirent cependant par se prononcer à leur tour. C’est, dans l’Univers, un article sympathique, malgré les restrictions, de M. Français Veuillot et un autre que M. le marquis de Ségur a signé avec son coeur d’apôtre. Ce dernier se porte garant du "retour progressif à Dieu de M. Huysmans, de sa fidélité sans défaillances à la foi chrétienne, depuis sa conversion, de sa foi d’enfant, de son ardente dévotion à la Vierge Marie, de l’austérité pénitente et laborieuse de sa vie, cachée tantôt dans un cloître, tantôt dans sa cellule de la rue de Sèvres, à Paris".

M. Loth s’exprime, comme il suit, dans la Vérité (14 mars 1898): "Quel enthousiasme fort, quel sentiment profond de cette incomparable cathédrale de Chartres!"

Terminons enfin par le très éloquent et affectueux article de M. François Coppée, publié dans le Journal su 10 mars 1898 et porté, par la Bonne Soufffrance, à la connaissance du monde entier.

Le roman obtint un autre succès dont se réjouit fort Ia piété de l’auteur. Il attira vers la cathédrale de Chartres un plus grand nombre de pèlerins. On vit même le président Faure venir exprès de Rambouillet pour la visiter, accompagné de sa fille, le livre de M. Huysmans à la main.

C’est à Chartres, en effet, au pied des deux clochers, qu’il faut lire cette oeuvre de conscience autant que de style.

Le livre explique le monument, dont il sera désormais le seul guide, mais le monument aide aussi à l’inteIligence du livre qui a moins pour but de nous intéresser aux hésitations de Durtal que de célébrer l’art catholique et d’exalter la Mère du Sauveur.

Quand M. Huysmans aura fait paraître l’Oblat, la trilogie annoncée sera complète. En Route contient la mystique; la Cathédrale la symbolique; l’Oblat résumera la liturgie. Ainsi doit s’achever l’acte de foi le plus sincère en la divinité de l’Église dont un artiste soit capable, et formulé dans une langue qui n’était pas habituée à s’élever jusqu’à de pareils sentiments. Qui aurait jamais pensé que le naturalisme se transformerait un jour et qu’en la personne d’un de ses représentants les plus obstines, il contribuerait, à sa manière, à renouveler l’apologétique?

Et maintenant, j’ai hate de conclure. Puissent les Pages Catholiques, en pénétrant dans des milieux nouveaux, continuer et propager le bien qu’elles ont fait ailleurs!

Ceux qui ont pris parti pour M. Huysmans, dès le commencement, n’auront qu’à les relire, pour lui être fidèles. C’est être en même temps fidèle à l’esprit du Christ. Le Compelle intrare restera jusqu’à la fin le geste évangélique, par excellence, et s’il est défendu d’éteindre la mèche qui fume encore, à plus forte raison doit-on protéger l’étincelle qui se rallume et qui peut devenir un foyer.


Abbé A. MUGNIER

(1) La Bièvre et Saint-Séverin, p.180.
(2) A Rebours, p.101.
(3) Le Monde, 12 mars 1895. Cf. Autour de dilettantisme, chez Lecoffre.
(4) De Dante à Verlaine, par le P. Pacheu S. J., p.179.
(5) Correspondant du 10 mars 1898.