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Le Sillon, 16 janvier 1899.


Enquête sur la Renaissance idéaliste.


M. J. K. Huysmans.


1. La Renaissance idéaliste qui se manifeste depuis quelques années paraît-elle devoir s’orienter d’une manière définitive vers l’idéal chrétien ?

Réponse   J’en doute un peu. Les gens qui sont las des fanfaronnades matérialistes se créent, pour la plupart, un petit idéal de Dieu sans religion. Ils ne se croient pas ainsi obligés de renverseer leur vie et de s’astreindre à des observances difficiles à concilier avec leurs vices. Il se borneront donc, je crois, à un vague déisme; ils lacheront Büchner pour Renan. Mais à dire vrai, nul ne sait ce que Dieu peut réserver à ceux qu’il a bien voulu tirer de l’auge de la libre-pensée ; la grâce peut souffler sur quelques-uns ou sur beaucoup. Le plus sage serait donc de ne rien répondre.



II. En particulier ce mouvement aboutira-t-il à la création d’une littérature et d’un art catholiques?

Réponse   J’en doute plus qu’un peu. Cela donnera des filasiers de l’Ecole Normale, des écrivains timorés et pâlichons. S’ils n’étaient pas ainsi d’ailleurs, les catholiques les rejetteraient, en les huant.



III. Le public catholique, habitué à se contenter de la littérature ’édifiante’ et de l’art dit de Saint-Sulpice, est-il apte à comprendre autre chose ? Est-il éducable, au point de vue littéraire et artistique ?

Réponse   J’en doute tout à fait. Comme tous les publics, les publics catholique se tranche en deux parts très inégales. Une, minuscule, celle des gens pieux, intelligents et lettrés, épris de mystique et d’art, considérés par les autres comme des toqués et des êtres dangereux, et une autre, énorme, composée de toute la tourbe de catholiques ignares et bégueules, très décidés à empêcher par tous les moyens possibles, toute tentative de littérature et tout essai d’art.

L’idéal de la rue Saint-Sulpice leur suffit parfaitement et ils n’en veulent aucun autre. Ce sont les médiocres dont parlait Hello, les Pharisiens, les inéluctables Pharisiens. Ah ! si Notre-Seigneur revenait, ce qu’ils auraient vite fait, ceux-là, de Lui régler son compte !