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Etudes et esquisses littéraires

Abbé E Pauwels

Anvers: Van Os de Wolf, 1899.



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HUYSMANS (1847)

D’abord disciple de Zola, il se distingua par un naturalisme échevelé et une fureur de décrire. En Route son avant-dernier livre fit du bruit. L’auteur y raconte la lutte de ’Durtal’ pour la délivrance de son âme enchainée à la plus vile passion. La suppression de quelques tableaux aiderait à repandre le livre, parmi le public antinaturaliste.

Barbey d’Aurevilly dit de Huysmans: "le talent est à toute page; l’abondance des notions sur toutes choses va jusqu’à profusion. Le style savant et technique, déploie une magnifique richessse de voacables." On peut penser que Huysmans lui-même est le héros de son roman. De la coupe vidée des plaisirs, il a tout à coup retiré ses lèves trempées d’une lie amère. cependant le dégo&ucorc;t d’une vie infame n’éteint pas sa soif des voluptés. Quels terribles assauts! Quel dévergondage d’imaginations, même dans la maison de Dieu! En Route est la confession d’un converti, selon nous, sincère. René Doumic est d’une autre opinion. "Le sens chrétien, dit-il, manque chez Huysmans. Cette aspiration à la piété, c’est l’effort d’une génération fatiguée, pour restituer dans nos âmes la foi qui nous redrait la saveur du péché" Ce jugement nous semble injuste. nous voyons en Huysmans un converti plein de rudesse, manquant de fact, en beaucoup d’endroits, mais sans une ombre de duplicité.

Lire Huysmans est une récréation peu divertissante. Au point de vue de la facilité de la lecture, de Huysmans à Veuillot, il y a la différence du jeu d’échecs au jeu de domino. Vingt pages de Cathédrale qui a suivi En Route mettent aux abois. S’attabler chez Huysmans, c’est s’exposer à une indigestion. Son immense érudition vous sert des plats d’archéologie, de symbolisme, de physiologie, de psychologie, de musique, de sciences naturelles, d’arts plastiques. La table craque sous le poids des mets, les vins sont capiteux, les condiments fâcheux pour la digestion. Il y a de l’art dans son style, mais il fut pétri comme celui de Hugo, les manches retroussées, la poitrine haletante, le front en sueur. Les livres de Huysmans ressemblent à des véhicules lourdement chargés, pavoisés de fanons multicolores. L’auteur aime à enchasser dans ses phrases des termes techniques, des vocables surannés ou tirés du commun qui le font suspecter d’étalage d’érudition.

Prenons dans le tas: Hérode trucide des innocents. — Les dévots fonts des exorations. — On a des cogitations. — Sacerdote épimane. — Les pélerins vont orer. — Les égrotants de l’armée bénédictine. — Moi j’ai l’esprit qui bat la chamade, j’ai l’âme en vrague. — Quelle cambuse, que turne! s’écria Durtal.

A chaque page, on recontre de ces raretés. Mais ne pesons pas des mouches dans des toiles d’araignée. Toute-fois nous prévenons le lecteur de Cathédrale que sans le secours de Littré, Viollet-le-Duc, le cardinal Pitra et d’autres auteurs d’in-folios, il ne comprendre pas les terms cabalistiques qui fourmillent dans le dit ouvrage.

Pourquoi Huysmans n’a-t-il pas consulté avec le même avidité, St Thomas d’Aquin et Bossuet? Sa science théologique y eût gagné et il eût trouvé des arguments plus décisifs en faveur de la Foi que la perfection du plainchant et l’excellence des Beaux-Arts, au Moyen-âge. Sans exiger du nouveau converti une apologétique complète, on peut trouver ses motifs de crédibilité bien faibles, bien froids et inaptes à provoquer une enthousiame entrée d’autres âmes dans l’Eglise.

Huysmans croit l’Eglise divine, parce qu’elle possède un art surhumain et une admirable mystique; parce qu’elle a triomphé des hérésies qui avaient pour tremplin la "chair"; parce qu’elle subsite "malgré l’insondable stupidité des siens"! Singuliè façon de faire du prosélytisme! Le cas de "Durtal" est isolé, non exempt d’égoïsme; il inspire plutôt de la répulsion que de la sympathie.

Le nouveau converti a un penchant à dénigrer ses coreligionnaires et les ministres de Dieu. Il a des railleries à jet continu sur les prêtres séculiers, une facilité déconcertante à prendre en dédain les sommités ecclésiastiques. "Il n’existe plus de prêtre qui ait du talent, soit dans la chaire, soit dans le livre. — Les prédicateurs en général sont des gargotiers d’âmes. — Il se rappelair des orateurs choyés comme des ténors: Monsabré, didon, ces Coquelin d’église, et plus bas encore que ces produits du conservative catholique, la belliquense mazette qu’est l’abbé Hulst." Ces réflexions et d’autres encore moins édifiantes, alternent avec des prières et des méditations, dans les innombrables sanctuaires visités par le néophyte. Il nous répugne de mentionner d’autres insanités que la critique catholique n’a guère flétries. A-t-on eu peur de froisser e nouveau frère dans la Foi? Ferma-t-on les yeux sur l’égoïste acrimonie d’un original qui daigna entrer dans le giron de l’Eglise "pauvre en écrivains de talent"! Tout à la joie d’embrasser le nouveau Saul, on couvre ses frasques d’un voile, on est sourd pour le bruit des vitres qu’il casse, on ne sent pas les soufflets qu’il distribue aux gens de la maison où il est reçu à bras ouverte.


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Quel fiel dans l’âme de ce dévot! Fénelon, bossuet, le grand siècle ne trouve pas grâce devant "Durtal". Pour quelle raison court-il sus à Henri Lasserre? C’est avec une véritable fureur qu’il réduit en miettes l’auteur de Notre Dame de Lourdes, pour la plus grande gloire de...Zola. Lasserre n’est qu’un arrangeur habile, un homme sans aucune style personnel, aucune idée neuve, sans talent, l’homme en un mot de la situation, bon à soulever les masses, à remuer les couches profondes des mômiers, c’est-à-dire le public catholique qui, pour la compréhension de l’art, est à cent pieds au dessous du public profane. Lasserre, ce greffier des miracles fut mis au rancart et fit place à Zola, apte, avec sa large encolure, ses ventes énormes, sa puissante réclame, à relancer Lourdes.


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On ne dépouille pas facilement le vieil homme. Le vocabulaire gouailleur de En Route et de Cathédrale n’est guère différent de celui des Soeurs Vatard de En Ménage etc. Les amis d’antan auront bien ri en retrouvant chez Huysmans devenu ermite, les vielles railleries, les lazzi de haut goût, les bons mots dont on s’égayait, contre la cléricaille.

En Route est bourré de brutales moqueries, de brocards outrageants, à l’usage des libertins. Les enterrements religieux excitent sa verve! "Ils sont un train-train fructueux, un treuil d’oraisons qu’on tourne machinalement. L’organiste, les enfants de choeur, les suisses, la bedeaudaille, les prêtres expédient l’office, prient méchaniquement..." A chaque pas, on heurte conte "les bataillons sacrés des dévotes." Il parle de mômiers, des écrivains cléricaux, du clan des épiciers du temple, des multitudes qui brament des cantiques. — Les prêtres séculiers sont la lavasse des séminaires. — L’autorité ecclésiastique laisse les élèves catholiques dans une ignorance volontaire de la littérature et de l’art. On leur sert des ratatouilles sans sue. — Certains livres sont précédés, ainsi que d’un permis de visite, par l’approbation sanitaire d’un prélat.

Ne croit-on pas rêver? Des critiques orthodoxes tressent des couronnes à cet aimable néophyte! Peut-on accuser René Doumic de préventions injustes, parce qu’il conteste la sincérité de la conversion de Huysmans? L’humilité ne serait-elle plus le fondement de la vie chrétienne?

Son orgueil, son mépris du prochain "du mufle" devraient faire mettre Huysmans en quarantaine. Nous aimons à croire qu’il s’y est soumis spontanément dans la retraite qu’il s’est bâtie, à l’ombre du monsastàre bénédictin de Ligugé.


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Huysmans a décrit la cathédrale de Chartes, dans ses plus minces détails. Tours, toits, murs, fenêtres, portails, arcatures, appareils, voûtes, contre-forts, arcs-boutants, arceaux, colonnes, pavement, mosaîques, statues, vitraux, scultures, pierries, couleurs, flore, faune, nombres, iconographie, symbolisme y compris celui des odeurs, concordance du plain-chant avec les peintures des Primitifs et l’architecture ogivale, tout est exposé, discuté loué ou honni à force de documents rarissimes, exhumés du tréfond des bibliothèques et des bahuts. L’auteur glane dans l’Ecriture,la tradition, les mystiques, les hagiographes, les légendes, la liturgie, les livres de prières de tous les âges. Sur toutes les choses connaissables, il porte un jugement sans appel. Son oeuvre est indigeste, prétentieuse, semée d’erreurs; son symbolisme est souvent outré.

Ecoutez comment il se figure la Ste Vierge. "Il me semble que je l’aperçois dans les contours, dans l’expression même de la cathédrale; les traits sont un peu brouillés dans le pâle éblouissement de la grande rose qui flamboie derrière sa tète, telle qu’un nimbe. Elle sourit et ses yeux, tout en lumière, ont l’incomparable éclat de ces clairs saphirs qui éclairent l’entrée de la nef. Son corps fluide s’effuse en une robe candide de flammes, rayée de cannelures, côtelée, ainsi que la jupe de la fausse Berthe. Son visage a une blancheur qui se nacre et la chevelure, comme tissée par un rouet de soleil, vole en des fils d’or; Elle est l’épouse du Cantique: ’Pulchra ut luna, electa ut sol.’ La basilique où Elle réside et qui se confond avec Elle s’illumine de ses grâces; les gemmes des verrières chantent ses vertus; les colonnes minces et frêles qui s’élancent d’un jet, des dalles jusques aux combles, décèlent ses aspirations et ses désirs; le pavé raconte son humilité; les voûtes qui se réunissent, de même qu’un dais, au-dessus d’Elle, narrent sa charité, les pierres et les vitres répètent ses antiennes; et il n’est pas jusqu’à l’aspect belliqueux de quelques détails du sanctuaire, jusqu’à cette tournure chevaleresque rappelant les Croisades, avec les lames d’épées et les boucliers des fenêtres et des roses, le casque des ogives, les cottes de maille du clocher vieux, les treillis de fer de certains carreaux, qui n’évoquent le souvenir du capitule de prime et de l’antienne de laudes de son petit office, qui ne traduise le ’terribilis ut castrorum acies ordinata’, qui ne relate cette privauté qu’Elle possède, quand Elle le veut, d’être ’ainsi qu’une armée rangée en bataille, terrible’."

Appliqué avec modération, le symbolisme lui inspire de belles pages. "Les deux clochers dardent leurs flèches; le vieux, taillé dans un calcaire tendre, squammé d’écailles, s’effusant d’un seul jet, s’effilant en éteignoir, chassant dans les nuages une fumée de prières par sa pointe; le neuf, ajouré ainsi qu’une dentelle, ciselé tel qu’un bijou, festonné de feuillages et de rinceaux de vignes, monte avec de lentes coquetteries, tâchant de suppléer à l’élan d’âme, à l’humble supplique de son aîné, par de riantes oraisons, par de jolis sourires, de séduire, par de joyeux babils d’enfant, le Père."

Huysmans, né de parents hollandais, est fixé depuis longtemps à Paris. il a cinquante ans. il est chef de bureau au ministère de l’Intérieur. Après son travail officiel, il s’enferme chez lui, avec ses livres. L’isolement dans lequel il vit semble l’aigrir contre son prochain. Une vieille servante le sert. Sa bibliothèque est riche en livres ascétiques. Sa curiosité de choses rares, extraordinaires, voire diaboliques est sans bornes. Durtant son séjour à Chartres, une lettre lui fut adressée de Hollande, avec la suscription: A Mr Huysmans, hommes de lettres, à la cathédrale de Chartres." Espérons que l’ermitage de Ligugé sortiront des oeuvres desquelles aura disparu toute trace de mauvais réalisme et de dénigrement.