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'Les grands papiers des ‘Croquis parisiens’ de J.-K. Huysmans'

Paul van der Perre

Paris: Le livre et l'estampe

1963



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Les grands papiers des Croquis parisiens de J.-K. Huysmans


Les Croquis parisiens ne doivent sans doute pas se ranger parmi les oeuvres capitales de J.-K, Huysmans, maïs l'édition originale, publiée en 1880 à Paris, par Vaton, mérite une attention particulière en raison de son illustration : dix eaux-fortes dues à Forain et à Raffaëlli, qui lui assurent une distinction chronologique précieuse; c’est un des tout premiers, livres de peintres”, ces livres auxquels des amateurs s’attachent aujourd’hui, à juste titre, de plus en plus passionnément.

L'ouvrage ne porte aucune justification de tirage. Vicaire, copié par Carteret, dit qu’il en a été tiré 500 exemplaires sur hollande, 5 ex. sur chine avec double état des eaux-fortes sur Chine et sur Whatman, 20 ex. sur japon et 20 ex. sur Whatman.

Un passage, dans cette énonciation, nous a toujours semblé douteux. C’est celui que nous avons mis en italiques. Curieuse idée, assurément, pour un éditeur, d’ajouter une suite sur Whatman, papier fort et rigide, aux exemplaires sur chine, papier mince, souple et peu résistant; de quoi endommager tout de suite le brochage et gâter la présentation du livre. Le contraire eüt semblé beaucoup plus logique.

Nos doutes, cette année, se sont trouvés singulièrement accrus après une vente, faite à Paris, où figurait un exemplaire sur chine sans suite; et non pas un exemplaire banal : il était en pleine reliure d’époque, signée Canape-Belz, et il portait l’ex-libris d’un bibliophile réputé, Taisne de Raymonval. Comment admettre que des relieurs éprouvés aient pu jeter la suite sur Whatman qui aurait accompagné cet exemplaire et qu’un amateur expérimenté — à une époque où l’on attachait déjà de l'importance aux suites — eût toléré qu’on la jetât ?

Notre incrédulité sur ce point nous a poussé à des recherches dans les revues bibliographiques publiées à l’époque; et tout d’abord, bien entendu, dans la Bibliographie de la France. Mais l'ouvrage n’y est pas enregistré — ni dans le tome de 1880, ni dans le tome de 1881. — Cette omission ne doit pas sembler surprenante : le volume a été imprimé à Bruxelles, par F. Callewaert père. C’est ce qui explique qu’il est annoncé dans la Bibliographie de la Belgique de mai 1880 (fascicule 5) mais de façon laconique, sans aucune précision concernant le tirage.

Il fallait se résoudre dès lors à éplucher le feuilleton du Journal Général de l’Imprimerie et de la Librairie, de Paris, et c’est là que nous avons découvert, à la date du 22 mai 1880, l’annonce détaillée de Vaton, que nous reproduisons ci-contre.

Ce cliché n’a pas besoin de longs commentaires. Si une suite sur Whatman avait été ajoutée aux exemplaires sur chine, il est évident que l’éditeur l'aurait signalé dans une publicité qui détaille tous les agréments du livre. Il reste donc, semble-t-il, fort peu de risques de se tromper en affirmant que les indications de Vicaire et de Carteret sur le "double état” de l'illustration de ces exemplaires sont dénuées de fondement. Comment expliquer cette erreur ? Elle est due, on peut le présumer, à la découverte par Vicaire, d’un exemplaire sur chine relié avec une suite, ce qui n’est pas du tout un argument déterminant, attendu que depuis lors on a pu voir plusieurs autres exemplaires sur japon et sur Whatman, ceux-là, reliés également avec une, deux ou même trois suites.

Le placard publicitaire de Vaton mérite cependant l’attention pour une raison supplémentaire : la ligne finale corrige une autre méprise, ou du moins une demi-méprise, des bibliographes. Les deux eaux-fortes de Forain qui, suivant Vicaire, auraient été "refusées par l’auteur”, ont été en réalité réservées aux grands papiers. Ceux-ci doivent donc être considérés comme incomplets s’ils ne contiennent pas dix eaux-fortes, y compris le frontispice.

On voit que cette vieille annonce de Vaton méritait d’être exhumée. Le feuilleton du Journal Général de l’Imprimerie et de la Librairie est du reste une mine très précieuse de renseignements bibliographiques. Quel dommage qu'il n’y ait pas de table par noms d’auteurs ou par titres pour faciliter les recherches !

P.v.d.P.

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