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Musée des deux mondes, 1 septembre 1876.


L’EXPOSITION
DU CERCLE ARTISTIQUE DE BRUXELLES


L’irascible Thoré, qui fut, de son vivant l’un des plus implacables ennemis de l’école belge, lui reprochant, à plume que veux-tu, sa minutie et sa sécheresse, son léché des couleurs et ses luisants de porcelaine, eût, sans nul doute, été prodigieusement surpris s’il avait visité l’Exposition récemment ouverte au Cercle artistique de Bruxelles.

Il n’eût certes pas été dérouté plus que je ne le suis. Le bétail en pâte tendre, les ciels ornés de bouillons en stéarine rose d’Ommeganck et de Verboeckhoven, les blaireautages précieux du baron Leys, les ennuyeuses machines de Braeckeler et de Van Brée ont fair leur temps. La jeune école belge s’est absolument renouvelée. A ce point de vue surtout, l’Exposition du Vauxhall mérite qu’on s’y arrête et justifie, dans une certaine mesure, les attaques passionnées et les enthousiasmes délirants qui l’accueillirent dès qu’elle devint publique. A dire vrai, les revues belges exagérèrent les défauts et les mérites de ces toiles. Le système des nouveaux-venus n’est autre, au demeurant, que celui mis en honneur, cette année même, chez Durand-Ruel, par mademoiselle Morizot et MM. Degas, Caillebotte et Monnet, le système des impressionnistes. Fait curieux à signaler, en France, la nouvelle école dérivait plus ou moins de l’excellent peintre Stevens ; en Belgique, elle procède plus directement encore de même artiste, et l’un des meilleurs parmi les exposants, M. Wervée, s’est presque complètement assimilé les touches exquises du maître, ses gris charmants, ses roses faiblis, sa distinction même dans la pose des personnages. Le sujet de son tableau est simple : une chambre percée d’une large fenêtre s’ouvrant sur un jardin fleuri de lilas ; au fond, des murs blancs, des maisons coiffées de bonnets de tuiles rouges, un bout de ciel couleur de turquoise et pommelé çà et là de quelques nuages ; devant la croisée, une table supportant des touffes de fleurs, une carafe qui reflète le paysage, une cafetière d’étain dont le ventre s’allume de points étincelants, et, enfin, accoudée sur la table et vue de profil, une jeune femme en robe blanche et en ceinture rose, le chignon ramassé sur le haut de la tête, les bras nus cerclés de bracelets d’or, semble réfléchir et tend distraitement une main vers l’une des grappes de lilas coupés. L’élégance de cette figure, caressée par la lumière qui se joue dans la chambre aux teintes attendries, ce paysage si vrai et entrevu, à la dérobée, d’une fenêtre ; ce je ne sais quoi d’alangui et de rêveur qui se dégage de toute la toile, m’ont irrésistiblement charmé, et c’est à coup sûr, de tous les tableaux exposés au Cercle, celui que je préfère.

Et, cependant, combien d’autres m’ont également ravi ! Le no 1, qui me peint avec une sincérité sans égale une femme en gris sur fond gris, et ces deux portraits étranges au dernier point et revêtus de la signature de M. X. Mellery : deux petites paysannes, l’une, coiffée d’un chapeau de paille et se découpant sur un fond fleureté de jaune ; l’autre, moins heureux, selon moi, et ressortant avec une guimpe d’un bleu féroce sur un hachis de balafrures noires, un vrai nettoyage de brosse dont les impressionnistes abusent ! — Mais, en dehors de ces singularités, l’Exposition de Bruxelles contient d’excellents morceaux : des natures mortes, de M. Ragot, superbement enlevées ; un portrait, de M. Charlet, d’une vigueur toute magistrale ; un portrait de jeune fille en rose et vue de dos, de M. Navez ; une autre jeune fille tenant en main une touffe de giroflées et un évantail japonais, de M. Verdyen ; une femme en bleu, en jaune, en rose, jaillissant d’un fond d’un vert sourd ; et, enfin, une étonnante toile de M. Pantazis, qui nous montre, sur une table couverte d’une nappe blanche, trois poires, une pomme, un pot de fleurs, un oiseau mort et à moitié caché par le pot et par la rondeur énorme et côtelée de la pomme, un enfant qui passe un bout de tête et saisit avec la main l’une des poires. C’est, comme vous voyez, étonnamment simple ; mais c’est si naïvement et si bravement rendu, que cette galopinade prend les allures d’une oeuvre.

Nous entrons dans le mondes des loqueteux avec MM. Wilsonn et Ringot. Le premier de ces peintres nous représente un jouer d’orgue. Que, le nez en l’air et la main en tourniquet, il s’essaie à moudre la grinçante musique d’une tarantelle, je n’ai rien à dire ; mais, ce que je ne puis admettre, ce sont ces jambes énormes sous la culotte qui les enferme. On les croirait gonflées et tuméfiées par un épouvantable éléphantiasis. J’aime certainement mieux les deux buveurs de son confrère, deux paysans attablés devant des verres de faro et de skiedam, et dont les nez s’épanouissent sur leurs faces crevassées comme deux roses rouges dans un terrain de rocaille et d’ocre.

Je passerai sous silence les nombreux paysages qui tapissent les salles. A Paris comme à Bruxelles, les paysagistes intransigeants n’ont pas été heureux. J’excepterai cependant de ce jugement peut-être trop sévère une Mare aux boeufs, de M. Dubois. L’effet que le peintre a voulu rendre était bien choisi, et le ciel, avec ses vaporisations d’opale et sa fuite illimitée dans une brume d’ouate rose, mérite qu’on s’y arrête. Je n’en dirai pas autant d’une foule de sujets qui ont traîné partout : polichinelles à bosses rouges et jaunes, fous en maillots gris, grand’mère dormant sur un journal, matelotte implorant les vagues. Seul, un grand maître aurait pu traiter à nouveau tous ces rabâchages ; mais, je le déclare avec regret, il ne s’est pas trouvé pour remettre sur pattes ces mannequins en détresse et leur donner tant soit peu l’apparence d’êtres vivants.


J.-K. HUYSMANS.