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L’Artiste, 15 novembre 1878

LE DERNIER LIVRE DE M. CH. BLANC.

M. Charles Blanc vient de faire paraître chez l’éditeur Loones un volume intitulé: les Beaux-Arts à l’Exposition universelle de 1878.

M. Charles Blanc débute sur ce ton lyrique:

« Quel beau jour que celui dans lequel ont été inaugurées les fêtes du travail et de la paix, tous les peuples sont entrés dans une fraternelle concurrence, non plus pour se disputer comme jadis aux jeux olympique le prix du pugilat, du pancrace, de la course à pied ou du javelot, mais pour se livrer aux joutes de l’intelligence victorieuse de la matière, aux combats du sentiment, du goût et de l’esprit. »

M. Charles Blanc est membre de l’Académie française.

Sur 368 pages que contient son livre, 307 sont destinées à chanter la gloire de l’école française, 60 à encourager les autres écoles. Parmi les pays les mieux partagés, je citerai l’Angleterre et la Belgique. A l’une, M. Blanc consacre neuf pages, à l’autre deux. Inutile d’ajouter qu’il est à peine question dans ce livre de Millais, de Calderon, de Grégory, de Stevens et de Marie Collart.

Je cède maintenant la plume à l’auteur. Je me bornerau à souligner quelques-uns des passages que j’extrais de son oeuvre.

Je commence :

« Ah ! quels artistes que ceux qui inventèrent les hermès, les termes, les gaines, pour les placer au bord des chemins, au détour des allées ombreuses, dans les promenades du lycée, dans les jardins d’académies ! Qu’il y a loin de ces conventions charmantes à notre gros amour du réel ! »

Quel remède apporter à cette incurable nostalgie des hermès et des gaines, à ce ranz des vaches, des termes et des nymphes ?

M. Charles Blanc continue plus loin à exhaler ses regrets et ses plaintes. L’on dirait d’une clarinette jouant dans le crépuscule.

« Nous voulons du bien à quiconque croit naïvement à l’existence des aegypans, des faunes, des sylvains, ancêtres mystérieux de l’humanité que le poète entrevit jadis au fond des bois ! »

Et quelques lignes plus haut :

« Nous avons conservé cette faiblesse de nous intéresser aux mystères de Bacchus, au Narcisse qui séche de langueur auprès de la Naïade dédaignée qui pâlit de douleur. »

La clarinette de M. Blanc me semble avoir quelques canards dans la voix — mais passons — et arrivons aux idées de cet écrivain sur le naturalisme.

« Ils (les artistes) ont fini par croire que leur art est un miroir qui doit réfléchir avec une impartiale fidélité, les moeurs et les paysages, les hommes et les murailles, les femmes et tout ce qu’il a sous les yeux, de copier ce qu’il rencontre et d’être historique avant l’histoire. On leur avait dit et, naïvement ils ont cru, que l’essentiel pour un peintre était qu’il fût de son temps, comme si l’on n’était pas toujours assez de son temps, malgré soi ! »

Que M. Charles Blanc se rassure. Ce reproche ne lui sera jamais adressé. Non, monsieur, vous n’êtes pas de votre temps et il faudrait être de bien mauvais foi pour ne pas le reconnaître !

Poursuivons :

« Quels sont donc les grands peintres qui ont été de leur temps ? »

Tous, monsieur. Ici, la discussion serait vraiment tro facile. Je pourrais vous jeter de grands noms à la tête: Rembrandt, Rubens, Velasquez, les frères Le Nain, etc., mais cela m’obligerait à parler de ces longues tartines que vous avez brochées sur ces maîtres, sans avoir pu parvenir à les expliquer. Aussi bien, citer pour citer de votre prose, mieux vaut en citer de la neuve. Le public ne saurait se plaindre. Elle n’est point de valeur inégale à celle que vous écrivez jadis.

Après nue attaque dirigée contre Vollon, Rousseau et autres peintres de nature morte « qui viennent apporter sur la table du festin les épluchures de leurs légumes et leurs ustensiles, » M. Blanc ajoute :

« Cependant, il est encore, en France, des artistes qui ont à coeur la dignité de leur art, et grâce à eux, la grande peinture n’est pas abandonée...L’existence de l’’école de Rome est pour beaucoup dans le maintien de ces traditions qui empêchent la peinture de devenir un simple métier et les artistes de n’être plus que des artisans. C’est de Rome en effet que nous sont venus les peintres d’histoire... »

(Suit une nomenclature des peintres exaltés par le critique : Cabanel, Bouguereau, Gérôme, etc., etc.)

De la cendre ! de la cendre! — Continuons:

Il s’agit maintenant de M. Henner. — « Il n’a pu, en dépit de toutes ces précautions, échapper à ce genre de vulgarité que rend inévitable le naturalisme, c’est-à-dire la présence immédiate du modèle. »

Ah ça, mais alors le grand art consisterait à peindre de chic ? — Très-bien, je m’abstiens de commentaires sur cet aveu lâché par un ancien directeur des Beaux-Arts.

J’arrive maintenant à la femme couchée de M. Lefebvre.

« Cette femme n’est pas idéalisée!! » (??) L’idéal, connais pas — qu’on m’en montre ! — « L’expression est celle d’une sensualité commune et pourrait nous faire prendre cette femme nue pour une femme déshabillée. »

Mais c’est bien le contraire dont nous nous plaignons, mordieu ! La femme de M. Lefebvre est cotonneuse, blette. Elle a du son dans le bas-ventre. Elle n’a jamais pu être ni nue ni déshabilléee puisqu’elle n’existe pas — en tant que femme ! — et puis que signifient ces mots de déshabillé et de nu ? il n’y a pas de femme nues, sinon à certains moments et dans certains métiers. La Femme au perroquet de Courbet eeset magnifique, parce que tout à l’heure elle pourra remettre ses bottines, ses jupes ! parce qu’elle vit! Je défie enfin que l’on me désigne une femme nue de Rembrandt qui ne soit une femme dévêtue et qui ne se rhabillera pas, lorsque le motif qui lui a fait enlever sa chemise, aura disparu !

Mais passons...nous avons encore à grapiller, çà et là, dans le bouquet de M. Blanc.

Opinion raisonnée de ce critique sur M. Worms « c’est un Meissonnier plus facile et moins tendu. » J’’admire peu M. Meissonnier, Dieu le sait ! mais le comparer à M. Worms !

Opinion du même critique sur M. Lecomte de Nouy : « Il faudrait lui consacrer plusiers pages. » Je n’en vois guère, pour ma part, l’utilité. Voici maintenant la description du peintre d’enseigne de Meissonnier.

« Le camarade regardant la toile d’un air important mâchonne entre ses dents un épi de blé qui le dispense d’exprimer son avis autrement que par un murmure inintelligible. Cet épi de blé me semble un trait de génie ! »

Je tire l’échelle après celle-là ! J’ai montré l’élegance de style de l’écrivain, les idées neuves du critique, je suis heureux de montrer maintenant la suite que M. Blanc possède dans les idées.

M. Blanc a écrit plus haut que la présence du modèle empêchait les grandes oeuvres, il écrit : « On est toujours trop de son temps » (page 181) et je lis (page 272), à propos des peintres impressionnistes, dont il apprécie la modernité : « Ils n’ont pas tout à fait tort, c’est une idée juste que de noter rapidement devant la nature ses impressions. »

Eh bien, mais alors ?

M. Blanc est professeur d’esthétique au College de France.

J.-K. Huysmans