La Cravache parisienne, 10 décembre 1876.

’L’ambulante.’

La débauche pétrit et sculpte l’argile rose des filles. Elle procède de deux façons : ou l’obésité titanesque, la panse en outre, les bajoues en pendeloques, la poitrine en calebasse, ou la maigreur diaphane, le ventre en limande, la gorge en trèfle, les joues en ornière. Au fond, elle fait oeuvre d’artiste, s’inspirant tour à tour des Rubens et des primitifs.

Alors qu’une fille débute dans les casse-cou du vice, elle peut n’être ni battue par les chloroses, ni submergée par les graisses, elle peut ne pas s’élancer en perche ou s’arrondir en muid, mais après qu’elle a brinquebalé ses charmes au hasard des carrefours, le galvaudage des nuits lui travaille la face. Elle s’est évanouie cette fumée rose qui lui montait aux joues alors que, s’échappant de la fabrique, elle allait rejoindre son homme, un biffin ou un tueur de boeufs, dans ce cabaret de la place Pinel dont l’ignoble fronton est pavoisé de ces mots : « Buvons un rigolboche ! »

Ah ! alors elle fouillait à coups de langue dans ce verre de jus rose, vanillé au foin, sucré à la mélasse, le bonbon fondu des dames, la fleur des lichades, le marasquin de la Salpêtrière ! Ah ! alors elle s’égayait avec son homme devant le zinc, et lui la houspillait de ces bonnes paroles : « Oh ! du maigre ! tu me la tumes dis donc, ah t’es rien roubignole, ma blonde ! » Et l’on s’embrassait à pleine bouche et à plein bras, et chiquant et crachant, le mastroquet versait de nouvelles tournées.

Et puis l’horrible goujat qui l’a perdue, a fui. La mère a cogné sur la fanfan qui a pris l’alerte et volé du fumier des rues sur la plume des lits. Ce n’est plus Polyte avec son beau tordion de valseur et son coup de chasselas sur la nuque qui la séduit, c’est un Gontran quelconque, une bête-à-pain, un ulster doublé de billets de banque.

Et alors la cendre des conchas remplace le culot des pipes, le verre en tulipe, le godet, la crème des Barbades et le kummel de Riga, la rigolboche et le marc ; la couchette de fer se change en un lit capitonné d’étoffe ; la fille ne sent plus le troupier, et elle se dandine, alléchante, délaissant ses cigares d’un sou, son débraillé de commère, ses jurons de faubourg. Toutes les allégresses de l’argent qu’on rafle, tous les tourments du champagne qui fait danser la tête et lever le coeur lui sont connus, une garnison de tous les âges a passé chez elle et le jour vient où l’amant qu’on trompait a disparu. — Les chalands sont rares. — La cueillette du persil sur l’asphalte, au clair du gaz, va commencer, et, assise à la porte d’un café, elle apprête les gluaux de ses yeux, cherchant à piper, dans cette volée d’hommes, un pierrot trop jeune.

Mais ces amours au débotté ont décrépi sa face. — Il faut combler les gouffres des épaules ou contenir, dans les barrures du corset, l’ampleur débordée des chairs. — Les capitons, les digues de baleine, le vernissage des traits et la sauce des fards mettent sa bourse à vide, elle choppe et s’empêtre de plus en plus dans le fumier des matelas. — La moisson de ses vices est mûre. Eh houp ! le tombereau et aux greniers de Lourcine !



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