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Trois Primitifs (1905)



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Mercure de France,

15 novembre 1905.

ART ANCIEN


J. K. Huysmans: Trois Primitifs, A. Messein.


Quand Huysmans, à son tour, vient à parler de Trois Primilifs, des Grünewald du Musée de Colmar, du maître de Flémalle et de la Florentine du musée de Francfort, on peut être assuré qu’il s’embarrassera moins de faire oeuvre d’érudition que critique d’artiste. Pourtant sa documentation est suffisante et sûre, mais ce qui nous touche plus, ce sont ses sensations à la fois, en tout cas, parmi les peintres religieux, seul. Voici d’ailleurs comment Huysmans décrit une partie du tryptique :

« A droite de la croix, trois personnes : la Vierge, saint Jean et Madeleine. Saint Jean, un vieil étudiant allemand, au visage glabre et minable, aux cheveux jaunes qui tombent en longs filaments secs sur sa robe rouge, soutient une Vierge extraordinaire, habillée et coiffée de blanc, qui s’évanouit, blanche comme un linge, les yeux clos, la bouche mi-ouverte et montrant les dents ; la physionomie est frêle et fine, toute moderne. Sans la robe d’un vert sourd qui s’entrevoit près des mains dont les doigts crispés se brisent, on la prendrait pour une moniale morte ; elle est pitoyable et charmante, jeune, vraiment belle ; devant elle, une femme toute petite, se renverse à genoux, les bras levés, les mains jointes vers le Christ. Cette fillette blonde, vieillotte, vêtue d’une robe rose doublée de vert myrte, la face coupée au-dessous des yeux et au ras du nez par un voile, c’est Madeleine. Elle est laide et disloquée, mais elle est si réellement désespérée qu’elle vous étreint l’âme et la désole. »

Depuis Francis Poictevin, nous n’avions pas eu de descriptions aussi précises et aussi précieuses. Mathias Grünewald est un maître unique ; il appartenait bien à l’auteur de Là-bas de le remettre en lumière, à côté de Cranach et de Dürer, l’immortel peintre graveur auquel M. Hamel consacrait récemment encore un ouvrage qui témoigne d’une compréhenision et d’une certitude d’information rares. Ces Primitifs allemands sont malheureusement assez mal représentes au Louvre : il faut espérer que notre musée, si bien pourvu d’Italiens de la décadence, comblera bientôt cette lacune et s’enrichira de quelques peintures de l’école de Cologne et des écoles voisines, comme il s’est enrichi de l’Intronisation de Saint Isidore de Luis Dalmau.


TRISTAN LECLÈRE.