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Là-bas (1891)



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LE LIVRE MODERNE

Tome III (janvier-juin) 1891.

Conférence Bibliologique


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Ce sujet [satanisme], sur lequel on a tant écrit au moyen âge et jusqu’au seuil de la période contemporaine, était cependant resté en dehors du roman. La sorcellerie populaire, le mesmérisme, le spiritisme, l’hypnotisme, les thaumaturgies plus ou moins orientales si fort à la mode de nos jours, tout cela, certes, le roman y a touché et en a tiré des situations et des effets. Mais on n’avait pas encore tenté, sous cette forme littéraire, l’étude, d’après nature et d’après des documents authentiques, du satanisme au temps présent. C’est ce que vient de faire M. J.-K. Huysmans, avec audace et succès, dans le livre qu’il intitule Là-bas (1). Très artistiquement, il donne pour repoussoir à ses tableaux du spiritualisme pris à rebours la piété naïve et profonde d’un sonneur de cloches amoureux de son art, vivant heureux au milieu de ses instruments, dans une des tours de Saint-Sulpice. Le même sentiment d’art, très délié et très sûr, lui a inspiré d’encadrer cette peinture du satanisme contemporain dans une description détaillée et savante des pratiques d’un fameux démoniaque du temps de Jeanne Darc, Gilles de Rais, le tant célèbre Barbe-Bleue. A travers tout cela passent, vivent et aiment des personnages bien actuels, liés entre eux par des fils d’amitié, d’intérêt, de curiosité ou de passion sensuelle qui n’ont rien de factice ni de conventionnel. Ce livre, documenté comme un travail de bénédictin, met le lecteur au courant des théories mystiques, astrologiques, spagiriques, les plus abstruses, donne des détails sur la littérature campanaire que je me permets de signaler en passant au savant historien des cloches du Poitou, M. Joseph Berthelé, abonde en renseignements inédits sur les sociétés démoniaques modernes, sur l’incubat et le succubat, sur l’envoûtement et sur la messe noire dont les rites orgiaques et sacrilèges sont décrits avec une force vraiment saisissante, et offre en même temps les émotions et le plaisir de lecture d’un roman fait par un maître écrivain. Une remarque me para&icric;t curieuse à faire: c’est l’ardeur avec laquelle tous les personnages de M. Huysmans, les meilleurs comme les pires, et lui-même parlant en son nom, regrettent le moyen âge et voudraient s’y rejeter, par dégoût du temps présent. Il n’y a là ni stratégie politique, ni entraînement d’une polémique de parti: l’impulsion est toute de sentiment, purement artistique et littéraire. L’indice est d’autant plus grave et important à noter.

Je quitte avec peine ce volume si suggestif et sur lequel il y aurait encore tant à dire, et, vous rappelant en passant les deux récentes publications de ’la Bibliothèque elzévirienne’...


B. H. GAUSSERON


(1.) Tresse et Stock; in-18. Prix: 3 fr. 50.