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Là-bas (1891)



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Polybiblion Revue Bibliographique Universelle.

Juillet, 1891.

Là-bas, par J.-K. HUYSMANS, Paris, Tresse et Stock, 1891, in018 de 442 p., 3fr.50.


2. — Je signale, mais je ne recommande en aucune manière, l’étude sur le satanisme que M. J. K. Huysmans a publiée sous ce titre énigmatique: Là-bas. Livre curieux, écrit par un artiste d’un talent rare, par un des maîtres ouvriers du roman contemporain; mais livre très dangereux et très pernicieux pour toute une classe de lecteurs qui n’en sauront dégager ni la philosophie, ni le cri anxieux d’espérance, ni le désir d’âme et de coeur vers l’au-delà qui se trouvent noyés, submergés, hélas! sous des monceaux d’horreurs, comme les perles du poète Ennius. Ce qui fait une des étrangetés les plus déroutantes de ce roman, c’est que l’auteur commence par vomir le naturalisme et qu’il lui emprunte ensuite la plupart de ses procédés pour nous raconter, dans tout ce qu’ils ont de plus effroyable et avec un luxe de détails qui dépasse toute imagination, les crimes sans nom du maréchal Gilles de Raiz, les débauches monstrueuses de ce satanique d’autrefois, ses hécatombes d’enfants, ses orgies diaboliques, ses sacrilèges effrénés. Parallèlement à l’histoire du maréchal de Raiz, M. Huysmans fait entrer en scène les sacrilèges, les débauches, les ignominies, les turpitudes et les maléfices d’un prêtre interdit et excommunié: le chanoine Docre. Ce misérable a une rage telle contre le Sauveur du monde qu’ir nourrit des souris blanches avec des hosties consacrées, et qu’il s’est fait tracer sous la plante des pieds l’image de la Croix, afin de pouvoir toujours marcher sur le Christ. Durtal, le héros de Là-bas, se lie avec une certaine dame Chantelouve, qui a été dépravée par l’inquiétant et sinistre chanoine. Mais elle apporte à ses relations adultères de tels raffinements de lubricité que Durtal ne tarde pas à s’en dégoûter. Seulement, comme il est très curieux de sciences occultes, il obtient de cette femme, avant la séparation définitive, l’autorisation d’assister à une messe noire que Docre doit célébrer, selon l’infernal rituel des sorciers du moyen àge. La célébration de cette messe, en présence d’un troupeau de sadiques hideux et d’hystériques immondes, est quelque chose d’absolument sans nom. Cela est-il possible? Existe-t-il réellement à Paris des ecclésiastiques parjures à leurs serments d’ordination, qui insultent le Christ, qui souillent les saintes espèces, qui crachent l’outrage et le blasphème à la Croix, qui assaisonnent leurs débauches de sacrilèges, qui, enfin, rendent un culte public à Satan? Dans une lettre adressée à l’Écho de Paris, M. Huysmans affirme que Docre n’est pas un mythe. Il a été créé avec deux mauvais prêtres qu’il a connus: l’un, chapelain d’une reine en exil, s’est pendu; l’autre, encore vivant, habiterait en Belgique, tout près de Gand. D’autre part, certains vols d’hosties pratiqués en ces derniers temps par des briseurs de tabernacles qui n’emportaient ni les patènes, ni les ciboires, ni les calices, font croire à l’existence réelle de sociétés infâmes dont Satan est le chef. Enfin, il a paru, dans les journaux, divers articles établissant qu’un grand nombre de personnes avaient eu à subir, à notre époque, la puissance malfaisante et surnaturelle de l’envoûtement. M. Huysmans les personnifie dans l’astrologue Gévingey, lequel, envoûté par Docre, va se faire guérir à Lyon par l’illuminé Joannès [sic] qui ressemble, trait pour trait, à feu Eliphas Lévy.

En nous initiant à toutes ces horreurs, l’auteur de Là-bas a-t-il voulu faire oeuvre de guerre et d’hostilité, contre le catholicisme? D’aucuns peuvent le croire: ils ont tort. Les mystères d’iniquité que le romancier raconte (avec des détails trop crus, je l’ai dit), font, au contraire, et par le contraste, ressortir d’avantage l’apaisante majesté du christianisme, la pureté virginale de sa doctrine, la noblesse de son culte et de ses enseignements. Satan prouve Dieu. Le Satanisme est l’antipode du Divin. Oui, la conclusion de ce livre aspire à être catholique. Mais quels étranges et affreux chemins M. Huysmans nous a-t-il fait suivre pour y arriver! Ancien disciple de Zola, il en condamne les théories naturalistes. Le réquisitoire est en règle: il reproche au naturalisme d’incarner le matérialisme dans la littérature, de glorifier la démocratie dans l’art, d’exalter la science négatrice, le progrès conventionnel, de donner de l’importance à une foule de balivernes, dont s’enorgueillit le troupeau vulgaire des idiots, de dénier le rêve, de rejeter le suprasensible et de se confiner dans les buanderies de la chair. Dire toutes ces choses-là, quand on a été du cénacle de Médan, c’est montrer, avouez-le, un véritable courage intellectuel. Ajoutons qu’il y a, dans Là-bas, sur le symbolisme des cloches, sur l’art chrétien des âges de foi, sur la grandeur du moyen âge sa naîveté touchante opposée à la goujaterie moderne, des ravissantes et attendries. Rien de gracieusement original aussi comme le ménage très catholique du sonneur Carhaix, installé tout en, haut d’une des tours de Saint-Sulpice, et où s’assemblent, plus à l’aise pour deviser d’occultisme, de satanisme, d’esthétique et de religion, l’historien Durtal, le médecin homéopathe des Hermies et l’astrologue Gévingey. Trois personnages typiques qui ont le dégoût et le hoquet de la société contemporaine: ce qui ne les empêche pas de trouver excellents lès carbonnades et les pot-au-feu de la brave mère Carhaix.


FIRMIN BOISSIN