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Les Foules de Lourdes (1906)



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Mercure de France.

1 décembre 1906.

QUESTIONS MORALES ET RELIGIEUSES


J.-K. Huysmans: Les Foules de Lourdes, P. V. Stock.


Voici justement que paraît de ce vigoureux Huysmans un nouveau livre: Les Foules de Lourdes. Il y a mis beaucoup de sa force verbale et beaucoup de son coeur. On ne l’a pas assex remarqué, Huysmans, presque toujours si amer, d’une observation si corrosive et si implacable, a gagné à se faire chrétien de devenir de jour en jour plus humain et plus tendre. Elle frémit maintenant dans nombre de ses pages la fervente émotion d’une âme que le bain des saintes larmes a rénovée. Voyez plutôt comme il nous peint les mille flammes qui brûlent nuit et jour dans la grotte de l’Apparition. Je veux citer entièrement ce passage, tant il m’a paru d’une éloquence poignante.

Vraiment, si l’on réfléchit, le spectacle de ces milliers de cierges en ignition est admirable!

Quels navrements désordonnés et quels espoirs tremblants, ils recèlent! de combien d’infirmités, de maladies, de chagrins de ménage, d’appels désespérés, de conversions, de combien de terreurs et d’affolements, ils sont l’emblème! — Cette Grotte, elle est le hangar des âmes en transe du monde, le hangar où tous les écrasés de la vie viennent s’abriter et échouent en dernier ressort; elle est le refuge des existences condamnées, des tortures que rien n’allège; toute la souffrance de l’univers tient, condensée, en cet étroit espace.

Ah! les cierges, ils pleurent des larmes désolées de mères et peut-être donnent-ils les simulacres exacts des douleurs qui les brûlent; les uns, pleurant précipitamment, à chaudes larmes, les autres se contraignant, pleurant en de plus tardives gouttes; et tous sont fidèles à la mission dont ils furent chargés; tous, avant d’expirer, se tordent plus violemment, jettent un dernier cri de leurs flammes devant la Vierge!

Évidemment, il en est de plus éloquents que d’autres auprès de Dieu; et, à n’en pas douter, les plus humbles sont les plus persuasifs; ces prétentieuses colonnes de stéarine, achetées sur place ou envoyées par des gens riches, ont, en raison même du faste qu’elles affirment, le moins de chance, tout en priant plus longuement, d’être accueillies et certainement la pitié divine va à ces pauvres petits lumignons qu’on allume en bottes, qui confondent leurs désirs et leurs flammes, qui s’unissent, ainsi qu’à l’église même, en une supplique commune. Ils sont bien l’image des miséreux, des gens du peuple qui s’entr’aident, alors que les cierges aristocratiques vivent, seuls, à l’écart.

Et c’est alors que la basse besogne du feutier de la grotte s’exhausse, devient sublime.

Cet homme, qui n’envisage que la propreté de ses herses et de ses ifs, opère inconsciemment l’oeuvre magnifique de la communion des âmes; il assemble les oraisons, les dresse vers la Madone en des gerbes de feu; il bouleverse les conditions ordinaires de la vie, en confondant les classes; il les ramène aux préceptes des Évangiles; il adjuve, en amalgamant les racines des gros cierges aux radicelles des petits qui achèvent de se liquéfier, les instances des riches, les unissant à celles des pauvres devant le Seigneur, forçant en quelque sorte la main à la Vierge, en augmentant le poids insuffisant de leurs prières, en sauvant les plus débiles par le secours des plus forts.

Ici, c’est la Société retournée, le monde à l’envers; ce sont les indigents qui font l’aumône aux riches.

Il est permis de penser aussi que cet élément du Feu à Lourdes n’est que le servant de cet autre élément qu’est l’Eau. Beaucoup de guérisons ont lieu devant la fontaine ou dans l’intérieur des piscines; on commence par la Grotte et l’on finit par la Source. Il semble que Lourdes puisse se résumer en cette phrase: Ce qu’on demande ici par le Feu, on l’obtient par l’Eau.


N’est-il pas vrai que l’on trouve, résumées dans cette page, les meillures qualités de Huysmans? Comme les artistes de ce Moyen-Age qu’il aime passionnément, il joint à son réalisme une spiritualité ardente. Ses amis ont récemment tremblé que d’épaisses ténèbres ne vinssent pour toujours voiler ce regard, qui excelle à saisir tous les détails de la vie. Huysmans aveugle ce serait bein triste. Qu’il garde ses yeux, qu’il les garde longtemps, maintenant surtout qu’à travers la surface mobile et colorée des choses il discerne les splendeurs profondes de l’âme et le mystérieux visage de Dieu.


LOUIS LE CARDONNEL.