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Les Foules de Lourdes (1906)



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Revue Bleue.

10 novembre 1906.

LES LETTRES: OEUVRES ET IDÉEES


La Religion de Huysmans


HUYSMANS: Les Foules de Lourdes.


Que l’on eut donc tort de faire de la conversion de Huysmans un événement littéraire! Les uns vont assurant que cette conversion eut sur son talent une funeste influence; d’autres affirment qu’il puisa dans le catholicisme des forces et une originalité neuves. Je prie tout d’abord que l’on me fasse voir dans quelle mesure l’esprit religieux aurait modifié le tempérament et l’art de l’écrivain; mais c’est ce que l’on ne fera point, car la conversion de Huysmans n’eut sur sa littérature qu’une influence purement extérieure et en vérité négligeable: à mesure que se multiplient les livres catholiques de Huysmans, ùn fait s’avère, et c’est que ses livres ne diffèrent pas sensiblement, sauf par le sujet, de ses oeuvres antérieures; il est catholique, il n’est pas chrétien: la grace l’éclaira sans le toucher: la morale évangélique ne l’a ni consolé, ni apaisé; la foi n’a pas éteint son hérétique curiosité; il demeure magnifiquement indiscipliné, malveillant, insociable, on oserait presque dire anti-chrétien.

Que les craintes de certains furent donc vaines et nous semblent aujourd’hui chimériques! Car le surprenant eût été que la conversion de Huysmans eût des conséquences graves; oui, le miracle eût été que la grâce bouleversât et transformât cette âme; et quel improbable accident qu’un cataclysme spirituel où eussent sombré les sympathiques défauts et les redoutables qualités qui font de Huysmans un précieux artiste! Huysmans si affranchi d’inquiétudes métaphysiques, si réaliste, si épris de la laideur des choses, si incapable de facheuse indulgence, de charité, d’amour terrestre ou divin, Huysmans désireux d’artificiel, curieux d’excitants intellectuels et de réactifs assez puissants pour émouvoir une imagination paresseuse, Huysmans égoïste et misanthrope, que vous étiez donc bien armé contre les surprises de l’émotion religieuse!...

Durtal faisant après sa conversion son examen de conscience ne sait pas comment « il en est arrivé »; nous ne sommes pas mieux renseignés et au fond cela nous est presque égal, parce que cette conversion sans crises ni douleurs et qui fait songer à la digestion d’un estomac qui travaille » (En route), d’un estomac sain, bien supérieur à celui de Folantin — il nous serait très facile de l’oublier, de la tenir pour nulle et non avenue.


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Après comme avant sa conversion, il y a en Huysmans, un naturaliste et un chercheur de chimères; après comme avant la conversion, c’est le naturaliste qui tient la plume, et voilà l’essentiel, car c’est au naturaliste à qui nous devons toutes nos joies. Le chercheur de chimères fut toujours indécis en ses enquêtes: épris de mystérieux au delà, il fut inhabile à les imaginer. Certes les rêves débiles de Durtal, les cauchemars péniblement provoqués de des Esseintes, ces fantasmagories indulgentes de détraqué volontaire et de névropathe appliqué nous eussent semblé des chefs-d’oeuvre d’ennui! Mais la jovialité d’un interprète naturaliste les anima, leur communiqua je ne sais quelle apparence de vie étrange et paradoxale... Cet interprète narquois et qui ne s’en laissa point imposer par les visions d’un délire profane, nous le retrouvons dans les livres de Huysmans: le phénomène religieux ne l’étonne ni ne le touche; il en saisit et il en fixe les aspects sensibles avec la sincérité cruelle qu’on lui connut toujours; ses procédés d’observation se sont encore perfectionnés; dans son regard, le trait caricatural s’isole et s’accuse. Les subtilités de la théologie, les sublimités de la mystique, bien loin de le déconcerter, stimulent sa verve pittoresque; il en donne des transcriptions éclatantes et en vérité joyeuses; ah! nous devons faire effort pour ne pas croire qu’il s’égaie d’une nouvelle excentricité de des Esseintes! Et nous n’oublions pas qu’il y a en Huysmans un croyant, mais ce croyant, opprimé par la personnalité envahissante du naturaliste, nous contraint d’apercevoir d’abord sa propre humiliation; la conversion de Huysmans aura brutalement mis en lumière l’un des caractères de son art qui est d’être indifférent et peut-être rebelle aux influences de la pensée religieuse.

Ce caractère est d’autant moins négligeable qu’en vérité Huysmans accumule les preuves et nous en fournit des exemples d’une évidence croissante. Après la Cathédrale, Sainte Lydwine de Schiedam, l’Oblat... les Foules de Lourdes!... Relisons Lourdes d’Émile Zola. La décisive épreuve! Ah! que la vulgarité d’un Zola nous fait apprécier davantage le raffinement d’un Huysmans! Mais qu’il nous serait donc impossible de ne pas voir que la sensibilité ingénue d’un Zola se défend mal contre les suggestions d’un christianisme traditionnel et populaire! Les idées rudimentaires, les sentiments de la foule, Zola les adopte d’instinct. Son livre fut écrit dans un élan de fraternité, livre de sympathie et d’indulgente pitié, tout pénétré de cette « religion de la souffrance humaine » qui n’est, en somme, qu’une révision de la doctrine évangélique. Les Foules de Lourdes, au contraire, ont été décrites par un implacable contempteur de la médiocre humanité: la haine de son temps, Huysmans ne l’a point sentie décroître en lui depuis que des Hermies analysait l’âme de Durtal et s’écriait :


« Au fond... il y a toujours eu entre toi et les autres réalistes une telle différence d’idées qu’un accord péremptoire ne pouvait durer : tu exècres ton temps et eux l’adorent ; tout est là. » (Là-bas).


Tout est là en effet: les spectacles de Lourdes rejettent Huysmans « dans l’implacable dégoût de son époque »; vit-il point « à cette heure où la société, fissurée de toutes parts, craque, où l’Univers, empoisonné par des germes de sédition, s’inquiète dans l’attente d’une gésine, à cette heure où l’on entend distinctement retentir, derrière les ténèbres de l’horizon, les tintements prolongés du glas...»? (Les Foules de Lourdes).

Dans la nuit qui envahit le monde, Huysmans ne distingue que sujets de scandale, laideurs haïssables.


Un pays abbruty, plein de crimes estranges,

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Empuantissez l’air, ô vengeances célestes,

De poisons, de venins et de volantes pestes!


S’il ne reprend pas les imprécations du poète, c’est que les prophétiques fureurs sont interdites aux contemporains de « l’lscariote des Charentes » (ah! l’infamie de Combes!), et qu’aussi bien l’idée chrétienne d’une pénitence expiatrice, impliquant rémission, n’effleure pas même son esprit. Il hait son temps, il hait la foule, les dévôts, les « églisiers », et sans doute cette haine ne va pas sans quelques défaillances, et l’on en relèvera de surprenantes dans les Foules de Lourdes — Lourdes avant l’arrivée des grands pèlerinages, Lourdes intime détend les nerfs excitables de Huysmans:

« On savoure la douceur d’une ville rendue complaisante par ses instincts de lucre, et un côté de fraternité (sic) vous vient parmi tous ces gens qui pensent comme vous, qui sont, comme nous, à l’affût des bienfaits de la Vierge. »

Ailleurs Huysmans avoue « de la pitié pour la souffrance des uns... un vague acquiescement à la grossière gaieté des autres. » Il rencontre des camériers d’honneurs du pape, et proclame:

« Rien n’est plus charmant que la bonhomie de ces vieux prêtres à cheveux blancs, qui ont de bons yeux et de petites bouches, qu’ils plissent pour dérouler le tourbillon de fumée bleue de leurs cigares. »

Huysmans attendri, cordial, le rare spectacle! car on ne lui sait aucun gré d’éprouver devant l’horreur de la souffrance physique un sursaut d’émotion furtive que surmonte vite le dégoût! — Mais ne nous y trompons point: c’est le rationaliste Zola qui a donné de Lourdes une peinture amicale, pitoyable, et comme nourrie de sentimentalité religieuse: le croyant Huysmans a composé de belles enluminures accusatrices et que l’on prendrait aisément pour de vigoureux exemples d’art positiviste.


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Positiviste, s’il l’était, Huysmans n’eût pas avec plus de soin minutieux recherché les « antécédents » de Lourdes: l’apparition de 1898 n’est, assure-t-il « qu’un succédané de manifestations plus anciennes ». Sur quoi nous apprenons que la chapelle de Notre-Dame de Heas, près du cirque de Gavarnie, fut dès le moyen âge un lieu de pèlerinage, que Notre-Dame de Piétat à Barbazan accomplit de nombreux miracles, que Notre-Dame de Ploueylahün à Arrens attira les foules avant de ne retenir que les bonnes femmes du pays: à Vieille-Aure, Notre-Dame de Bourisp possède une statue miraculeuse; à Montoussé, la Vierge apparaît en 1848 près de Notre-Dame de Nestès dont l’emplacement jadis fut désigné par une chute de neige survenue en plein été; Notre-Dame de Médoux, au sud de Bagnères-de-Bigorre, « connut une longue vogue, désormais périmée »... Et ce sont des histoires merveilleuses que l’on nous conte tout ait long. Sur une carte des diocèses de Bayonne et de Tarbes les hameaux et les chapelles favorisés se groupent en un cercle dont Lourdes est le centre. Lourdes est ainsi annoncé et comme nécessité; Lourdes n’a rien inventé. Médoux eut la bergère, Bétharram la source et la grotte. « Avec Notre-Dame de Garraison, les traits de ressemblance s’accentuent, se précisent davantage, car tout y est, la bergère, la grotte, l’eau, les foules innombrables, issues des confins les plus divers, les miracles et les cures »... Huysmans procède en homme de science, et ce n’est point notre faute si nous tirons de ses recherches une conclusion qu’il ne formule pas.

Et certes les intentions apologétiques de Huysmans sont évidentes, affirmées sur le ton agressif dont on ne saurait raisonnablement lui demander de se départir, mais jamais sans doute apologie ne s’étaya de plus périlleuses constatations, et si en vérité la polémique du miracle nous intéresse dans une oeuvre d’art, en revanche les fortes peintures d’une réalité observée sans arrière-pensée ni intention préconçue ne nous sont point indifférentes, et Huysmans est un merveilleux peintre de « la kermesse de Lourdes ».

Ce sont les pèlerinages, l’arrivée des pittoresques Bretons, troupeau indolent mené par des prétres, « qui le lancinent comme des chiens de garde »:


« Les femmes grasses ou osseuses, avec des peaux de pelure d’oignons, salées par les embruns, des yeux lapis ou vert de mer, les jeunes filles aux têtes d’oiseaux et aux crânes durs, sont empaquetées dans des cloches superposées de jupes où se perçoivent des lisérés, colorés avec le rose aigre et le violet criard de l’aniline...En ce tas de l’Armorique qui vermille dans les rues et sur le pont, des estropiats et des manchots, des enfants déformés, aux membres interrompus, des vieillards dont les goitres pendent pareils à d’énormes poires, des vieilles femmes... »


Les gens du Quercy qui escaladent la colline de Rosaire « en clamant, avec des voix en tôles que l’on bat, un cantique où l’on distingue des « De Dious la rouzado » et des « pitchoun". — Ceux-là, je les connais; ils sont, en quelque sorte, les charbonniers de Lourdes; tout est noir en eux, habits, coiffes et robes; pas même une tache blanche de linge, près du cou; jusqu’à leurs traits qui paraissent accentués par des coups de fusain. Hier ils rôdaient, renfrognés, en une ribambelle de pieux margougniats dans les rues de la ville; et les marchands, qui savent qu’ils n’achètent rien, gouaillaient, en les regardant jargonner devant leurs devantures... »

Les Belges à la cocarde noire, jaune et rouge, les Bourguignons porteurs des mêmes insignes barrés d’une croix de métal, les Berrichons qui arborent une marguerite blanche sur un fond de cendre bleue, et ces pélerins dont « la dégaine lourde et musarde » révèle qu’ils sont de « la race subalterne du Poitou », les Hollandais respectueux du plein-chant, les Espagnols...

Bretons, Belges, Berrichons, Poitevins, Hollandais, Espagnols s’agitent dans la cohue d’une gigantesque foire: leur foule assaille la basilique d’une marée quotidienne, envahit les églises, les hôtels, les hôpitaux; « le boucan des Ave Maria... les pieux et profonds rôts de l’ophiclide rythment leur perpétuelle agitation. Huysmans a vu dans leurs rangs des « ratichonnes » galantes, d’invraisemblables « mômières, des « cagotes de province inouïes; elles errent, jabotent, remuent, ainsi que des juments leurs gourmettes, leurs rosaires; c’est à qui en récitera le plus, c’est à qui lampera le plus d’eau, à qui fera le plus de chemin de croix. Les dévotes, qui sont déjà une engeance redoutable dans les chapelles de Paris, deviennent effrayantes à Lourdes. Elles sont déchaînées depuis hier soir...  »

Huysmans a vu des prêtres « à mine patibulaire », un Romanichel violet « qui est un évêque exotique qui a l’air indolent et souffreteux, les rejette tous dans la pénombre; et, harcelé par les femmes, il les bénit tant qu’elles veulent, leur tend à sucer son bonbon d’améthyste, visiblement ravi de son succès... »

Il a rencontré d’insolentes abbesses « ces m’as-tu vu de la piété! », d’inattendus maniaques, « les hurluberlus de la dévotion ». Et les défilés de malades, « les grands malades » ne nous sont point épargnés, et c’est comme chacun sait un lamentable spectacle, surtout lorsque le zèle descripteur d’un Huysmans en signale tout le détail horrible et repoussant, mais de réconfortantes visions de joie terrestre interrompent ces grandes manoeuvres de brancardiers, ces mobilisations de grabataires et de loques humaines; et les cafés de Lourdes sont hospitaliers et le fourmillement de leur clientèle bigarrée est divertissant: Huysmans préfère leurs terrasses à celles dont s’orne et se diversifie le boulevard parisien; on s’y groupe par nationalités :


« Les prêtres espagnole fumeut des cigarettes, rient avec leurs compatriotes qui s’éventent, souriant à la foule, dégustant des glaces ou buvant du chocolat, séparés par une équipe de Belges en train de lamper de la bière et de fumer des cigares, du petit camp des Hollandais qui prennent le thé ou savourent l’apéritif, le schiedam, où fumant, eux aussi, des cigares. »


Et l’on dirait d’un coin de l’Exposition universelle où chacun s’efforce de reconstituer un peu de la patrie absente. Et cette humanité cordiale, lasse de plaies et de prières, console Huysmans et le détourne par instant de vitupérer la nauséeuse vulgarité de l’existence... Et que voilà donc de l’excellent Huysmans: jamais peut-être son art de prestigieux coloriste ne rendit la vie avec une plus heureuse audace.

La precision informée de Huysmans est admirable: quelque pédantisme ne l’effraie point; relever les erreurs de Zola lui est une joie: « Zola qui se documentait au galop... Zola qui peignait toujour ses toiles en décors de theatre... » Huysmans redoute que, sur la foi de Zola, nous ne nous imaginions très vastes, aérés et commodes les bassins où l’on plonge les malades: il n’a vu et ne nous montra que « des cabines de bains à bon marché ».


« En guise de porte une courtine; trois murs; celui du fond muni d’un vitrail qui n’éclaire pas et sur lequel est peint une Vierge, avec au-dessous une statuette de Notre-Dame de Lourdes; les deux autres sont de simples cloisons, sans ornements; enfin, au milieu, une baignoire de pierre se creuse, peu profonde, dans laquelle on descend par quelques marches et le mobilier se compose d’une chaise. C’est dans cet obscur réduit que la Vierge, devenue servante de bain, travaille; c’est dans ce bouge humide, avec cette eau putréfiée qu’Elle opère... Ce matin-ci, l’étroit corridor qui dessert l’antichambre des déshabillages et les cabines est obstrué par des brancards habités lorsque j’arrive. Un vieux monieur dont la tête, en oeuf, est chauve du haut et poilue du bas, s’agite dans un costume de cycliste. Il commande, en se dandinant, morigène les baigneurs, inscrit, d’un air impertinent, le nombre des bains sur un carnet; c’est un spécimen de grosse mouche du coche qui prêterait à rire, si le spectacle auquel on assiste n’était si triste. »


Donc Zola est un poète, un peintre infidèle, un narrateur suspect dont l’imagination trouble la vue et égare le jugement; nous nous en doutions, n’est-il pas vrai? Heureusement Huysmans est là qui contrôle et refait après Zola l’inventaire de ces églises, de ces hôtels, de ces asiles, de ces hôpitaux que nous pensions connaître; et si nous le suivons sans lassitude, si même ses explorations nous donnent une sensation imprévue de nouveauté, c’est je pense que son enquête fut conduite avec plus de laborieux sang-froid, c’est surtout qu’il a su avec un constant bonheur discerner le détail dont la trivialité nous est un garant de véracité scrupuleuse... Ce « vieux Monsieur dont la tête est en oeuf »... et qui s’agite est d’une évidente authenticité qui me rassure et m’enchante... et me convainc de la dérisoire laideur de ce bouge humide. Au reste la laideur de tout Lourdes est inconcevable. Zota, qui la soupçonna, ne s’en indigna point: Huysmans ne se lasse point de la dénoncer, et l’on ne sait si l’on est persuadé davantage par l’impitoyable minutie de ses descriptions ou par la furibonde abondance de ses invectives: médiocre le décor même de Lourdes, étique et gringalet, chiche et vain, car l’ampleur trop voisine des monts l’écrase; scandaleuses les églises, la basilique « qui grelotte, maigre comme une perche, sous son chapeau de pierrot dans son mince vêtement de pierre » et dont l’intérieur décoré de ridicules ex-voto fait songer à un magasin de bric-à-brac, ou à un séchoir; le Rosaire, « cirque hydropique... casino religieux... produit de l’imagination d’un brelandier en veine de gain et d’un bedeau en délire »; immondes les peintures, les mosaïques, les statues, toute la « bondieusarderie » qui s’étale sous les nefs, dans les cryptes, et déborde et submerge les rues, les quartiers, Lourdes entier :


« Quel évêque atteint d’ablepsie, quels églisiers, agités par des forces mauvaises, ont commandé et accepté de telles choses ?... Lourdes est donc le paragon de la turpitude ecclésiale de l’art, et il est dans son genre unique... »


Cela dure des pages et des pages, et voici la conclusion :


« Lourdes est un immense hôpital Saint-Louis dans une gigantesque fête de Neuilly; c’est une essence d’horreur égouttée dans une tonne de grosse joie; c’est à la fois et douloureux et bouffon et mufle. Nulle part, il ne sévit une bassesse de piété pareille, un fétichisme allant ju qu’à la poste restante de la Vierge; nulle part encore le satanisme de la laideur ne s’est imposé plus véhément et plus cynique. »


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Ces turpitudes, Huysmans incroyant les eût-il décrites avec une plus triompliante vigueur? La personnalité, l’indépendance de son art sont hors de conteste et c’est là tout ce qui nous importe; et nous distinguons bien désormais qu’en lui l’artiste ne saurait être gravement mis en péril par le croyant: chacun d’eux a son domaine distinct, l’artiste le monde terrestre et la réalité proche, le croyant le monde idéal des mystiques et des théologiens. Et le croyant d’aventure s’exprime par le truchement de l’artiste, mais se désintéresse visiblement des humaines aventures: ni les vertus subalternes ni les démocratiques dévotions ne lui agréent: à Lourdes il redoute jusqu’au soupçon d’une complicité sentimentale, et sans doute il constate que Lourdes est « le vestiaire des défauts... un lazaret d’âmes » où se prodiguent « les antiseptiques de la charité ». Mais-il n’y cherche guère que des prétextes à effusions mystiques compliquées d’accès d’érudition moyenâgeuse. Demandez lui la théorie du cierge ou de l’eau d’après les mystiques; entretenez-le de doctrines esotériques; la scolastique chrétienne le délecte. Tout cela est infiniment subtil et infécond, inhumain et glacé. Cette religion distinguée, sans rayonnement ni chaleur, n’a jamais menacé le robuste naturalisme de Huysmans.


JEAN NOINTEL