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Le Drageoir à épices (1874)



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La Nouvelle Revue Française.

1er novembre 1921.

LE DRAGEOIR AUX EPICES par J.-K. Huysmans (Crès).


Cet objet contient des épices assez semblables à ces gros piments verts et rouges en sucre peint qu’il nous était permis ou défendu d’acheter, dans les confiseries des faubourgs, quand nous étions enfants. Le livre s’ouvre sur un méchant sonnet où s’allonge un vers digne de figurer dans Coppée ou Manuel (du parfait versificateur):

Tels sont les principaux sujets que j’ai traités.

Des images grossierèrement colorées, des notations "impressionnistes" mais où l’impression ne frappe presque jamais l’esprit du lecteur, et seulement sa vue, sa odorat, son ouïe. On y relève mille naïvetés: "J’e te méprise et je t’aime!" dit l’auteur à sa maîtresse qu’il appelle "ribaude infâme". Plus loin, dans Variation sur un Air Connu, il défleurit la houlette de Némorin et les cheveux d’Estelle; il montre sa maîtresse dans une attitude qu’on ne saurait décrire: accroupie au coin d’un bois, la jupe relevée! L’auteur regarde la vie à travers des lunettes noires alors qu’on aimerait plutôt à la voir en rose. Il y a de jolies pages sur la Bièvre, le Point du Jour et les cafés chantants, mais tout cela écrit d’une encre trop noire, sans émotion, sans amour. Huysmans a vielli. Il nous serait difficile de peindre un monde aussi laid, que nous créons à notre image...

Je n’oublie pas de citer un charmant détail inattendu: "J’aime par-dessus tout, j’aime à en mourir, ton nez, ton petit nez!"...

L’auteur avait voulu que ce drageoir fût rempli d’épices aphrodisiaques; les années ont altéré leur vertu; aujourd’hui nous trouvons quelque peu éventées ces vaines dragées d’Hercule.


GEORGES GABORY