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Entretiens politique et littéraire

No. 29 août 1892.


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PORTRAITS


J. K. HUYSMANS


On aime à s’imaginer M. Huysmans sous la figure emblématique d’une chèvre malingre, attachée à un piquet dans le coin le plus abrupt et le plus pelé du champ naturaliste, et broutant l’herbe médanienne. Il a aussi dans l’espriut du soubresaut et de la caprication. Il était là, rébarbatif, provocant et mélancolique. Il y serait encore, si n’était passé un jeune gentilhomme, des Esseintes ou Gilles de Rais, qui délia la chèvre, l’emmena, lui dora les cornes, lui parfuma la barbiche et l’envoya au Sabbat d’où elle est revenue; et en vignette de légende dorée, exorcisée et blanchie, elle vieillit parmi les arbres en quinconces de l’enclos des Pères, au bruit des cloches et des psalmodies.

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En effet, M. Huysmans, qui maintenant est à la Trappe (1) y alla, comme il allait jadis à Bobino, pour documenter.

Il aurait pu y rencontrer M. Zola, venu dans un même but, si l’auteur de « Nana » n’eût préféré le pieux tumulte de Notre-Dame de Lourdes, et la foi exubérante des chrétiens du prix réduit, aux silences des Solitaires. Deux romans résulteront de cette double enquête sur le surnaturel. On suppose ce que sera celui du pèlerin ; on devine ce que sera celui de trappiste. M. Zola rédigera, car il rédige ; M. Huysmans écrira car il écrit. Ils fernt chacun un livre. L’un, d’un vaste ensemble adondant et prolixe, l’autre d’un curieux détail circonscrit et réticent, et certes, la matière énorme et brute de celui de M. Zola, aurait besoin d’être forée et travaillée par les mains expertes et patientes de M. Huysmans qui l’ouvragerait et l’enjoliverait des prodiges d’un style que n’a pas M. Zola, car la structure massive de ses besognes manque du surcroît de ce superflu délicat qui est tout le mérite de celles de M. Huysmans.

Ce double voyage prouve chez ces deux écrivains si différents, la persistance d’une même manie documentaire. Leur methode est la même, on sait ce qu’en tira l’entrepreneur des Rougon-Macquart, voyons comment elle profita au portraitiste de des Esseintes :

M. Huysmans fut d’abord un naturaliste tatillon et crispé et un psychologue hypochondre, puis, rompant sa corde il crut avoir transgressé le naturalisme, alors qu’il en continuait la pratique en en variant l’application. Il s’y empêtra d’autant mieux d’ailleurs qu’il s’en crut sorti et qu’il imposait à sa documentation des recherches particulières et curieuses. Du commun il passa à l’exceptionnel et d’investigations baroques et ingénieuses, il composa un livre bizarre et intéressant, sorte de compendium d’idées ambiantes dont il réalisa l’existence en un personnage à la foi compliqué et sommaire, caricatural et réel.

L’oeuvre eut son importance plus par ce qui la composait que parce qu’elloe était. elle ressemblait à une mosaïque et à un album d’échantillons et semblait issue d’un cerveau plus classificateur qu’inventif. C’était un catalogue de goûts psychiques, littéraires et décoratifs, et sa perfection n’était qu’une mise en opeuvre d’éléments étrangers où l’auteur n’avait de part que l’habileté de l’étalage et l’assortiment du comptoir. Il y manquait ce surplus mysterieux qui eût vivifié et animé son automatisme.

Avant même qu’il eût écrit ces célèbres pages d’A Rebours qui lui valurent l’attention des esprits soucieux de ces idées dont il était l’interprète et le nomenclateur, M. Huysmans avait eu le privilège d’échapper au discrédit qui, parmi la jeunesse contemporaine, accueillait déjà le naturalisme. Il semblait mois niais que les autres tenants de la doctrine et il valait par un certain dégoût amer et nerveux qu’il montrait envers les choses mêmes dont il subissait la préoccupation. Il avait l’air si rebuté de ses propres pensées, si morose, si exaspéré en sa verve de satirique qu’il amusait par son animosité contre les cabaretiers falsificateurs, par son acrimonie contre les margarines improbes, par sa répugnance continuelle pour tout; et piétinant de ses petits sabots durs, il pointait les cornes en avant et ricanait dans sa barbiche aiguë.

Ensuite ses originalités laborieuses séduisirent. Il avait de plus l’attrait d’un style extraordinaire, sa syntaxe retorse et imprévue usait d’un vocabulaire inépuisable. Ce style se transformait selon les objets qu’il évoquait, toujours d’accord avec leur nature, égal à leur aspect, équivalent à leur apparence; tantôt sec et net comme un branchage d’hiver, ballonné comme un nuage, scintillant comme la pierrerie même qu’il devenait, opaque, translucide ou rayonnant, sonore et harmonieux, incrusté de mots cabochons et pointillé d’épithètes décisives.

Pourtant, malgré ces prestiges il fallut constater en M. Huysmans une impéritie de pensée et un enfantillage intellectuel irrémédiables et s’avouer que des livres, en somme, de reportage, fut-ce du reportage infernal ou céleste, fussent-ils écrits dans une langue admirable, épicées de details ingénieux, assaisonnés d’anecdotes révélatrices, rehaussés de croquis instructifs ne sont que des détails qui amusent, des anecdotes qu’on écoute, des croquis qu’on regarde et quelque chose qu’on oublie.

On a du regret vraiment de ne pouvoir admirer M. Huysmans, un peu, même moins qu’on ne le goûte, car, si on le sait incapable de faire ce qu’on aimerait qu’il fit, on le sent, au fond, mécontent de ce qu’il a fait. Il doit s’en avouer l’inutilité fondamentale même s’il en aime la perfection superficielle et il est d’un sens assez subtil pour souffrir de l’une tout en n’étant point d’esprit assez supérieur pour remédier à l’autre.

Aussi, va-t-il de sujet en sujet, cherchant à emprunter à leur gravité ou à leur intérêt le sursaut intérieur qui lui manque et c’est pour cela qu’il est à la Trappe parmi les lliturgies, qu’il écoute les pas des sandales dans les longs corridors du monastère, les psaumes de minuit, les cloches de l’aube et qu’il interwieve le Surnaturel sans le comprendre beaucoup plus que la bonne chèvre de Légende Dorée qui broute dans l’enclos monacal ne comprend les pensées que cachent sous l’ample bure et le silence les moines qui la caressant en passant.


HENRI DE RÉGNIER



(1) M. Huysmans écrit au « Figaro » qu’il n’est pas à la Trappe, qu’il est à Lyon.