Le Temps

11 décembre 1913.



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AU JOUR LE JOUR

La « petite fille de Jérusalem »


La « petite fille de Jérusalem » c'est, authentiquement, Mme Myriam Harry. Elle va nous raconter un peu ce que fut son enfance dans une matinée conférence des « Annales » demain, et beaucoup dans un beau recit de confessions que préfacera son éminent ami M. Jules Lemaître et qui commencera dans quelques smaines. [...]


[...] Elle avait jugé l'Allemagne assez séverement, en parlant et en écrivait sans sympathie. Cette jeune fille d'Orient y souffrait de sa contrainte morale et décrivit ses impressions en un récit, une sorte de roman qui fut sa première oeuvre dans la langue de Goethe. La langue français lui fut apprise ici, par le fréquentation de quelques amis qu'elle se fit et elle reçut un jour la visite de George Vanor qui lui dit :

— On vient de créer un journal exclusivement féminin et on cherche un conte de Noël : j'ai promis que vous l'écririez; je l'attends !

Et Myriam Harry, évoquait ce début dans la langue française, raconte en souriant comment elle devint ainsi femme de lettres :

— Je cédai, dit-elle, aux instances de George Vanor. Mon conte parut, qu'il avait revu et mis au point, et c'était une histoire de Jérusalem, naturellement, qui eut dans la Fronde un certain succès. On me pria de continuer ma collaboration, et sous la tutelle de George Vanor je publiai ma première série de contes qui parut en volumes... Huysmans fit le reste.

Ceci ne sera pas non plus, je crois, dans sa conférence. Myriam Harry n'evoque ces souvenirs que tout bas ; ils ont un peu de tristesse et la mélancolie des jours deéfunts. Tout de même elle m'a permis de les rapporter discrètement ; ils sont très tendres, quelquefois assez douloureux.

Elle lisait beaucoup, et de bons auteurs, pour apprendre notre langue, et, les oeuvres de J.-K. Huysmans lui devinrent familiales. Alors, enthousiaste, elle souhaita de connaître l'auteur et lui écrivit. Comme on lui avait dit qu'il ne s'intéressait pas aux femmes écrivains, elle n'avoua pas sa qualité en lui envoyant son volume qui venait de paraître : Petites épouses. Il r&ecute;pondit, et ils &eachangèrent quelques épitres sans se connaître, car lui vivait la vie monacale à Ligugé. Puis un jour elle reç de lui un billet charmant et flatteur qui lui apprenait son retour à Paris et se terminait ainsi :


« Je suis chez moi toutes les après-midi, jusqu'a quatre heures ; vous êtes donc bien sûr de me trouver dans la lanterne de la rue de Babylone tous les jours de la semaine.

«Je suis rentré avec une âme qui pleuviote. Apportez des parapluies spirituels pour vous abriter.

« Votre tout cordialement devoué,

J.-K. HUYSMANS.


Elle tremblait en montant l'escalier de la vielle maison. Attendait-il un homme ou une femme ? Elle l'avait laissé l'incertitude prudente, et elle tomba, très émue, sur un fauteuil :

— Alors, vous me pardonnez d'être une femme ?

— Mais oui, dit-il en riant, puisqu'il le faut bien !

Mme Myriam Harry se lia de grande et noble amitié avec Huysmans dont elle connut toutes les incertitudes, les opinions à la fois religieuses et anticlericales, les goûts si délicats pour l'art pur vraiment chrétien et les hautes pensées :

— Quelquefois, raconte-t-elle, nous parlions amour. Et je connus les tristesses passées de Huysmans et sa presente tendresse inassouvie...

« Un soir — c'était rue Saint-Placide — nous nous oubliâmes à causer. L'ombre flottait déjà dans la pièce. Nous nous étions tus. Je voyais luire les guillochures d'or des livres, l'émail des vases de Delft, et soudain, sur les joues cireuses de mon maître, deux lourdes larmes qui descendaient lentment.

« Je me levai, bouleversée. Alors la tête lasse s'abattit sur la table angélique, et dans le silence crépusculaire Huysmans sanglota...»

Il mourut peu après. Et elle avoue, maintenant encore, avec émotion, qu'elle lui dut son plus vif amour de l'art et sa foi inébranable dans le probe et constant effort de l'artiste.

Puis ce furent les romans à succès, la Conquête de Jérusalem couronnée par la « Vie heureuse », les encouragments d'Anatole France, et la maistrise enfin de son talent. De cette confession sincère et tendre qu'elle nous fit doucement, hier soir, devant un maître écrivain qui l'estime et l'encourage affectueusement, que restera-t-il dans la conférence qu'elle lira demain ? Allez l'entendre ; vous aurez une leçon très émouvante et très éloquente d'une vie littéraire ardente et généreuse.


RAOUL AUBRY.