echo de paris

L’Echo de Paris

14 mai 1907.


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J.-K. HUYSMANS


Il y a quelque temps, un de mes amis, intime de Huysmans, me disait avec tristesse que les jours du romancier étaient comptés. Gravement malade, il se refusait à une intervention chirurgicale qui, très probablement d’ailleurs, eût été inutile, et, avec la stoïque résignation du parfait croyant qu’il était devenu, lisant pour lui-même les prières des agonisants, il attendait l’heure suprême. Elle vint la nuit dernière. Il mourut après d’atroces souffrances, assisté de son secrétaire et ami Jean de Caldain, ceIui-là même qui m’avait donné la nouvelle de sa fin prochaine.

Huysmans fut un magnifique styliste et un très curieux penseur. Son âme acerbe, érudite et pointilleuse de vieux garçon génial se complaisait aux recherches du mot et à celles de l’imagination, se délectait dans l’amertume méticuleuse d’ïmpitoyables observations coulées en une forme incomparable, pittoresque, étincelante et facilement ahurissante pour tel lecteur insuffisamment initié.

Il débuta dans les lettres en 1875 — il avait vingt-sept ans — par un bizarre recueil intitulé Le Drageoir aux Epices, poèmes en prose dans la manière baudelairienne, mais plus tourmentés, plus excessifs, et d’un art moins supérieur. Vinrent ensuite : Marthe, histoire d’une fille, en 1878, et, d’année en année, Les Soeurs Vatard, Croquis Parisiens, En Ménage, A Vau-l’Eau, Un Dilemme. Il était alors d’un naturalisme aigu, il « peignait » ses romans dans le style des artistes hollandais, avec des touches nettes, précises, d’un réalisme extrême, qui révolta bien souvent la chaste critique de l’époque. Le public, d’ailleurs, lui avait accolé cette étiquette de naturaliste, du jour où parut, dans les Soirées de Médan, sa nouvelle, Sac au dos. En rade est encore pleinement naturaliste, mais ses études l’Art moderne et Certains, la classent parmi les plus clairvoyants critiques d’art de l’époque impressionniste.

Sa réputation dans les cénacles littéraires s’établit surtout avec son oeuvre A Rebours, qu’il publia en 1885, au fort de la mêlée symboliste. A cette époque lointaine, où l’on se passionnait pour la bataille littéraire, ce livre produisit un effet considérable et devint pour nombre de décadents — c’était le nom que portaient alors les snobs — le bréviaire de l’élégance, de l’esthétisme, du goût antibourgeois poussé jusqu’à ses plus extrêmes et perverses limites. Des Esseintes fut un moment le héros à la mode ; dans les salons d’avant-garde, sa tortue incrustée devint comme une manière d’étendard et les fenêtres-aquariums de ce jeune homme malade firent école.

Cependant, l’art de Huysmans se dégageait peu à peu des exeès de bizarrerie et de naturalisme, devenait plus fort, plus net, plus conscient et plus simple, relativement. Là-Bas, épisode satanique de la vie du romancier Durtal, où l’on voulut reconnaître l’auteur lui-même, fit un bruit énorme dans les lettres. Sa publication dans l’Echo de Paris en 1891 souleva de nombreuses polémiques ; tout le monde discuta magie, étudia Gille de Retz et se flatta de connaître quelque démoniaque. Les astrologues et les thaumaturges firent fureur. Huysmans, avec ce livre, atteignit à la grande renommée.

Peu après, et par une évolution qui semblera naturelle à ceux qui apprécieront justement son oeuvre, Huysmans se convertit et ses livres En route, l’Oblat, Sainte Lydwine de Schiedam, la Cathédrale, marquent les étapes de sa foi. Les Foules de Lourdes, parues il y a quelques mois, seront sa dernière oeuvre, car il fit brûler nombre de manuscrits. Tous ceux qui l’admirent regretteront profondément cette humilité. Elle est conforme à l’esprit dans lequel il attendit la mort, mais elle prive les lettres d’une portion de la création de ce grand et sincère artiste.

Huysmans était membre de l’Académie Goncourt ; il avait été nommé — comme sous-chef de bureau au ministère de l’intérieur — chevalier de la Légion d’honneur. Ses obsèques auront lieu à Notre-Dame-des-Champs, mercredi, à dix heures du matin. CH. BIEL.