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Le Quartier Notre-Dame (1905)



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LE QUARTIER NOTRE-DAME



Tous les historiens de Notre-Dame ont cité le mot de l’un des anciens chroniqueurs de cette cathédrale : « elle terrifie par sa masse »; et, le fait est, qu’elle est sombre et énorme ; elle ne suscite pas l’image de ce printemps de la pierre qu’évoquent les végétations fleuries d’Amiens, de Reims et de Chartres. Avec sa façade noire et nue, elle dégage une impression de mésaise et de froid ; elle est une basilique hivernale ; on ne la sent point aimer ce Paris qu’elle domine ; elle n’a pas ce geste de Notre-Dame de Chartres dont les deux clochers semblent les doigts levés des vieux evêques prêts à bénir la ville agenouillée à leurs pieds ; ses bras, à elle, se dressent et ils menacent plus qu’ils n’implorent. En tout cas, elle cache ses mains dans ses manches de pierre et se refuse à signer les foules ; elle n’est pas, pour tout dire, un sanctuaire bon enfant, une cathédrale maternelle.

Mais c’est peut-être aussi la faute des siens ! elle a été vilipendée et spoliée par eux comme pas une et elle se désintéresse de leurs peines. Que subsiste-t-il d’authentique dans cette église ? l’ossature dont d’incessantes réparations n’ont pas trop adultéré les contours et les deux roses du transept qui sont demeurées presque intactes ; le reste est neuf. Les verreries de la nef, du choeur, des chapelles, ont été brisées et des peintures cuites par d’absurdes vitriers les remplacent ; le jubé a été démoli ; le vieil autel avec ses colonnes de cuivre et sa pyxide suspendue a été jadis bazardé, on ne sait où ; la statue colossale de saint Christophe qui se tenait debout, à l’entrée du vaisseau, a disparu de même que les stalles du quatorzième siècle. Quant aux châsses elles ont été fondues par les sans-culottes et les carreaux noirs et blancs d’un jeu de dames suppléent aux pierres tombales, gravées d’effigies et d’inscriptions, qui pavaient autrefois son sol.

Le dix-septième siècle a commencé ces déprédations et la Révolution les a finies.

Notre époque, qui voulut soigner Notre-Dame, s’est bornée, pour sa part, à la gratter et à la rafistoler du haut en bas.

Le fameux Viollet le Duc l’a rajeunie, lui a râclé l’épiderme, l’a poncée de telle sorte qu’elle a complètement perdu sa patine de prières, sa rouille de cire, son hâle d’encens.

Telle qu’elle est, elle assume néanmoins encore une magnifique allure avec sa nef plantée de lourds piliers, son arc triomphal ouvrant sur la baie géante du choeur, ses colonnes filant d’un jet jusques aux voûtes; sans doute, elle n’a pas la légèreté des basiliques d’Amiens et de Chartres qui s’effusent, ravies, en plein ciel ; elle ne sort pas d’elle-même, elle tient à la terre et ne s’en arrache point ; mais ce qu’elle demeure majestueuse et ce qu’elle apparaît, à cause même de sa pesanteur, grave ! Elle semblerait, en somme, plutôt dédiée au Dieu sévère de la Genèse qu’à l’indulgente Vierge, si la gracilité de son transept ne vous révélait qu’elle est bien, en effet, placée sous le vocable de Marie et qu’elle s’effile à son image et qu’elle sourit divinement et qu’elle s’humanise. Ce transept est la partie vraiment supérieure de Notre-Dame ; les murs s’émincent et pour s’alléger encore cèdent la place aux verres ; et ses deux roses sont des roues de feu, aux moyeux d’améthyste, des roues où le violet de cette gemme, symbole de l’humilité et de l’innocence, domine ; c’est une féerie quand le soleil pénètre dans le vide vitré des trous ; il longe les rais amenuisés de pierre, allume entre eux des grappes de flammes, fulgure comme un bouquet d’artifice, dans le cercle radié des jantes.

Cc sont les roues en ignition du chariot d’Élie et l’on dirait également de ces touffes attisées de lueurs, des fleurs de braises écloses dans une serre ronde de verre.

La gloire de Notre-Dame de Paris est là et non dans ses façades vantées ; la vérité est que son extérieur ne vaut plus que par sa masse ; toutes les statues sont retapées on entièrement refaites, si bien que la flore délicieuse d’art qui montait naguères, ainsi qu’au long d’un espalier, le long de ses murs, est morte et qu’elle a été remplacée par une végétation toute moderne d’ornements et de statues fabriquées à la grosse, d’après les modèles des sanctuaires d’Amiens et de Chartres.

Il n’y a done à s’extasier, ni sur ses portails, ni sur ses voussures en vieux neuf, ni sur sa flèche datée de 1859, sur pas grand’chose hélas ! car la coque brute de ses pierres et ses deux lourdes tours qui présentent cette particularité de ne jamais se faire ombre, demeurent seules, presque indemnes ; mais si, au point de vue de l’art, cette cathédrale n’est qu’une oeuvre de second ordre, elle n’en est pas moins intéressante pour d’autres motifs ; elle diffère de ses congénères, elle est plus mystérieuse que ses soeurs, plus savante et moins pure ; elle n’est pas autant à Dieu que les autres, car elle recèle des secrets interdits, ente sur la symbolique chrétienne les formules de la kabbale, est tout à la fois catholique et occulte. Ainsi, les trois portes de sa façade principale, qui sont désignées par les archéologues sous les noms de « Porte du Jugement », « Porte de la Vierge », « Porte de Sainte-Anne et de Saint-Marcel », allégorisent, suivant certains occultistes, la Mystique, l’Astrologie et l’Alchimie, ces trois sciences en honneur au Moyen Age ; et cette dernière baie sur le trumeau de laquelle saint Marcel, neuvième évêque de Paris, se dresse, foulant aux pieds un dragon qui s’échappe du cercueil d’une femme adultère, contient, avec ses figures hiéroglyphiques, le recipé du grand oeuvre, la recette de la pierre philosophale. L’on trouvera dans un traité de Gobineau de Montluisant, l’un des hermétistes du dix-septième siècle, la description secrète de cette porte qui, avec la tour Saint-Jacques et quelques carreaux de la Sainte-Chapelle, constitue le dernier texte lapidaire des légendes spagyriques d’antan.

Derrière Notre-Dame s’étend maintenant un square ; jadis, le jardin s’épandait jusqu’à la pointe de l’île et servait de lieu de promenade aux chanoines du chapitre. Un cartulaire de 1258 appelait ce terrain « mota papalordorum » la motte des gens d’église ; la Morgue s’est subsistuée à ses bosquets et ses dalles, aux pelouses ; puis, pour enlaidir le site, l’on a construit, sur la gauche, au bout de la rue du Cloître, de gigantesques bâtisses qui masquent, du côté de l’île Saint-Louis, la vue de la cathédrale. On a préservé le musée de Cluny du blocus qui le menaçait et personne n’a songé à sauver Notre-Dame !

Cette rue du Cloître, qui longe la basilique, garde encore, à son entree, près de la place du Parvis, quelques vieilles bicoques dont les façades se reculent, comme gênées de céder le pas à des maisons neuves. Elle a été d’ailleurs parée d’un bien étonnant palais de briques agrémenté de deux tourelles pareilles à des fûts que surmontaient deux citrouilles, la queue en l’air, et orné sur toutes ses faces de peintures allégoriques telles que l’Humanité, la Famille, le Négoce et l’Hygiène. Ce monument qui fut commandé par feu M. Ruel est utilitaire et plaisant, car il s’emploie à deux fins étant à la fois une resserre pour voitures et une salle pour chansonnettes de concert et pièces de théâtre.

Plus intéressante est la rue Chanoinesse qui a si bien maintenu son aspect provincial décrit dans « l’Envers de l’histoire contemporaine » de Balzac, qu’il est difficile de s’y promener, sans évoquer le mélancolique souvenir de Mme de la Chanterie et du petit couvent laïque qu’elle y fonda : cette voie a conservé ainsi que ces sentes qui l’entourent, la rue Massillon, la rue des Ursins, la rue des Chantres, ses hautes fenêtres, ses portes-cochères aux vantaux couleur de vert de bouteille ou de pain d’épice, munies d’énormes marteaux et carrelées de clous. A l’heure actuelle, elle est encore dénuée de boutiques, mais son silence de naguère n’est plus, car la plupart de ses bâtisses acquises par un quincaillier sont devenues des dépôts d’appareils de chauffage et d’ustensiles d’hydrothérapie et de cuisine ; et c’est, dans l’après-midi, un perpétuel va-et-vient de camions et d’hommes.

Bien qu’elle foisonne de souvenirs, elle ne dit plus rien ; le 16 où vécut Racine est quelconque ; le 17, qui est l’ancienne maison capitulaire, est non moins banal et non moins laid ; il faut pénétrer dans l’intérieur-même de ces bâtisses pour les entendre enfin parler et pour y découvrir parfois les plus curieux vestiges qui subsistent d’un Paris mort.

L’on demeure surpris alors, en s’apercevant que des morceaux entiers d’édifices, datant du Moyen Age et même d’avant, vivent enfouis sous la croûte de masures à peine âgées, de masures presque neuves. Le 18 et le 20, qui ne formèrent jadis qu’un seul hôtel, recèlent le monument le plus étrange de tous, la tour de Dagobert.

Il est peu probable que ce roi y ait habité et qu’elle ait même été construite sous son règne, mais elle n’en est pas moins bizarre ; et l’on est transporté bien loin de notre temps, lorsque, après avoir traversé une vieille cour convertie en une sorte de hangar et parcouru d’obscurs couloirs formés par les haies de calorifères empilés les uns par-dessus les autres, l’on grimpe son escalier en vrille dont la tige de chêne s’élance d’un jet, en virevoltant sur elle-même, du bas de la tour jusqu’à sa cime. L’on monte dans l’ombre et, peu à peu, les marches s’éclairent ; des pièces massives s’ouvrent de tous côtés, des pièces aux murs énormes, au plafond dénudé, rayé par des saillies brunes de poutres, et finalement l’on aboutit en plein air, par une vague echauguette, sur une plate forme de zinc.

A quelques pas se profile le vaisseau de Notre-Dame dont les arcs-boutants semblent les côtes décharnées d’un être préhistorique, d’un mammouth immense. Les monstres installés sur les balcons de la tour du nord nous regardent et ils paraissent narguer l’étonnante ligne des toits qui zigzague sous nos pieds. C’est un chaos superposé de tuiles, un amas de derrières de maisons que rejoignent des ponts de sapin, des galeries de bois. Un Paris inconnu gît là, dans cet envers de la rue du Cloiitre. Un fleuriste, à un quatrième étage, cultive ses fleurs et élève des colombes dans de vastes cages en saillie sur des allées de planches ; des loques sèchent de tous côtés, des gens cirent leurs bottes au dehors, vont d’une fenêtre à l’autre, se promènent derrière les parapets, le long des maisons, sur des charpentes ; c’est, entre ciel et terre, une Cour des Miracles et cela tient de l’échafaudage des peintres en bâtiments et de la maringote des forains. Vous tournez la tête à droite, et, au-dessus des prises d’air de l’Hôtel-Dieu, des parafoudres s’effilent et la tour Saint-Jacques surgit, dernier souvenir d’une église dont les restes servent d’observatoire à des météorologistes, à des joueurs de longitudes qui ne contemplent plus le ciel que pour y chercher et pour y coter, en un langage de Bourse, des moyennes et des dépressions, des hausses et des baisses ; vous regardez à votre gauche, puis derrière vous, et, après l’opulente cambuse de M. Ruel, l’église de Saint-Paul et de Saint-Louis, celle de Saint-Gervais, et cet édifice de camelots qu’est l’Hôtel de Ville, emplissent l’horizon et barrent la vue.

C’est à peine d’ailleurs si l’on peut exécuter quelques mouvements sur la terrasse de cette tour du roi Dagobert, car sa plate-forme est minuscule. Jadis, paraît-il, une autre tour s’élevait auprès d’elle ; l’on n’en retrouve aucune trace. En 1857, une vigne de trois cents ans existait encore dans la cour ; on l’a arrachée et la cour est maintenant couverte ; l’on ne possède aucun renseignement precis sur les gens qui se succédèrent dans cet hôtel. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il appartenait, avant la Révolution, à l’abbé de Reyglen, chanoine titulaire de Notre-Dame.

Quant aux corps de logis, ils datent du dix-septième et du dix-huitième siècles, mais toutes les boiseries sont enlevées. Les uns sont des dortoirs remplis de lits de camp à l’usage des employés de la fabrique, les autres sont des magasins bourrés, du sol au plafond, de meubles de cuisine et de jardin, de calandreuses et de poêles, de tubs qui font songer aux formidables oeufs sur le plat que l’on y pourrait cuire. Si l’on pénètre enfin avec des lanternes dans les eaves, il faut se courber en deux, aller et venir dans tous les sens. Arrivés à une certaine profondeur, les escaliers cessent et des pentes qui dégringolent sous des voûtes de plus en plus basses vous mènent dans de nouveaux souterrains, lesquels vous conduisent dans d’autres boyaux et les embranchements se multiplient pour n’aboutir à rien, car ces galeries qui atteignaient autrefois les rives de la Seine sont bouchées.

Une autre antique maison, le 19, est, à un autre point de vue, surprenante. Sous l’énorme hangar qui remplace l’ancien préau et qui ne laisse plus filtrer par les vitres de son toit qu’un peu de jour, deux fenêtres, habillées de petits rideaux de mousseline, sont closes ; et, devant elles, une fork de tuyaux de poêles se dresse. Je me demande ce qu’il peut bien y avoir derrière ces fenêtres, et j’apprends ceci :

Ces croisées sont censées éclairer deux pièces que des locataires habitent. Jadis, quand elles s’ouvraient à la hauteur d’un rez-de-chaussée, sur une cour, elles permettaient a ces gens de ne pas marcher, même par les moins sombres des après-midi, à tâtons, dans des chambres exhalant une odeur continue d’armoire ; mais, depuis qu’elles sont encloses dans le hall, elles vivent en pleine obscurité, dans un air qui ne se renouvelle plus, l’été surtout, car, pendant cette saison, ces halliers de tuyaux s’épaississent devant elles, en attendant l’hiver. Tout ce matériel entassé ne partira, en effet, qu’aux approches du froid. Ce n’est donc que vers la fin de l’automne que l’on pratique des coupes dans ces futaies de tôle qui ne suggérent même point l’illusion d’un peu de nature, d’un peu de nuages courant sur leurs sommets, puisqu’elles ne fument pas !

Alors, si la neige ne vient pas à s’amonceler sur les carreaux du toit, les habitants de ces geôles peuvent voir à quelques pas devant eux, mais cette surprise est compensée par la poussière et par le vacarme des engins, qu’on déménage.

Devant la tanière de ces malheureux, j’ai rêvé à d’inexorables misères, mais mon apitoiement fut rabroué lorsque je sus qu’ils ne payaient pas un loyer de moins de huit cents francs.

Huit cents francs pour gîter dans un chantier de tuyaux de poêles morts, c’est un comble !

Ces immeubles appartenaient jadis au chapitre de Notre-Dame ; ils faisaient alors partie d’un petit hameau qui vivait à part et très gaiement dans la grande ville.

Un volume de l’abbé Charrier, l’Ancien Chapitre de Notre-Dame de Paris et sa maîtrise, nous renseigne sur ses moeurs et sur ses habitants. Dès le treizième siècle, ce chapitre comprenait huit dignitaires élus et cinquante-deux chanoines ; le doyen était élu par ses collègues ainsi que le sous-chantre. La nomination des autres dignitaires tels que le pénitencier et les trois archidiacres de Paris, de Josas et de Brie revenait de droit à 1’évêque.

Le chapitre possédait une mense personnelle qu’il régissait à sa guise ; il était dispensé de toute redevance et de tout impôt et il ne relevait pas de la juridiction épiscopale, mais bien du Saint-Siège ; le cloître était sa propriété ; tout d’abord les chanoines durent seuls s’y fixer, mais dès le quinzième siècle leurs parents et leurs amis s’y installent et le vacarme commence. Des plaintes se produisent, mais elles ne semblent pas avoir été écoutées, car, au seizième siècle, l’aspect mondain et bruyant de ces lieux s’accroît ; au dix-septième siècle, il augmente encore et des chanoines déplorent qu’il y ait tant de chambrières dans les maisons et protestent contre l’invasion des carrosses qui roulent dans le quartier après minuit ; au dix-huitième, le désordre est à son comble ; cette petite population de prêtres, d’enfants de choeur, de chantres, de gens que d’anciens statuts, qualifient de « machicots et de clercs de matines », est noyée dans un amas de familles qui ont fini par s’emparer des hôtels et des eglises, des corridors et des rues.

Les chanoines continuent de gémir, mais la Révolution répond à leurs doléances en les supprimant ; depuis ce moment, le cloître appartint à chacun et fut, comme tous les quartiers de Paris, un quartier laique.

Pour parfaire la physionomie de la paroisse, l’on peut citer encore deux anciennes rues, la rue de la Colombe dont le nom figure dèjà sur une charte de 1223 ; mais elle a perdu tout caractère ; et les rues des Ursins et des Chantres, celles-là vivent, loin des intruses, entre elles. La rue des Chantres, ainsi qualifiée au seizième siècle, parce que le choeur de la cathédrale y residait, semble ignorer que tout un Paris moderne existe. Elle descend tranquillement, sans que jamais un chat y passe, vers, la Seine, entre deux rangs de murs qui sont des dos de bâtisses percés, à gauche, de lucarnes à barreaux de fer ; à droite, de hautes fenêtres ouvertes presque au ras du sol, et derrière lesquelles l’on aperçoit, dans l’ombre, de probables cartonniers et de possibles tables. Une seule porte se montre sur cette voie, près du quai, celle d’un hôtel sinistre dit des Deux-Lions, et ce garni flanqué d’un mannezingue, tiendrait, si nous en croyons Lefeuve, la place de l’immeuble qu’habitèrent Héloise et Abailard.

Si la rue des Chantres a conservé jusqu’à nos jours son nom, il n’en est pas de même de sa voisine. Celle-là a été baptisée et débaptisée et rebaptisée sans mesure. On la voit tour à tour indiquée sous le vocable de Grande-Rue de Saint-Landry sur l’eau, de rue du Port Saint-Landry, sur le plan de Bâle de 1552 ; de rue basse du Port-Saint-Landry, de rue d’Enfer, sur le plan de Turgot ; de rue Basse-des-Ursins, et enfin de rue des Ursins tout court. La Taille de Paris au dix0huitième siècle relève parmi ses habitants trois taverniers et une dame Agnès au surnom mystérieux de « La Prêtresse ».

De même que la rue des Chantres, la rue des Ursins est composée de derrières de maisons dont les visages appartiennent, les uns à la rue Chanoinesse et les autres au quai aux Fleurs. Aussi presque toutes ses, portes, quand elle en a, sont-elles condamnées. Elle est une paralysée des membres inférieurs, mais son buste est encore libre, car des croisées s’y ouvrent et des baies y vivent.

Tel ce quartier Notre-Dame qui contint jadis, en sus de la cathédrale, quatre églises considérées ainsi que ses annexes : Saint-Jean le Rond qui fut le baptistère de Notre-Dame et la paroisse des laïques demeurant dans le cloître ; elle était située le long de la basilique, là où s’aperçoit l’entrée des tours : suivant Lebeuf elle datait du treizième siècle et elle a été démolie en 1748 ; Saint-Aignan fondé par Étienne de Garlande vers 1120 et dont les débris agonisent encore dans les bâtiments qui donnent sur le no 19 de la rue des Ursins et le no. 26 de la rue Chanoinesse ; Saint-Denys, érigé à si peu de distance de l’abside de Notre-Dame qu’on l’appela Saint-Denys-du-Pas ; celle-là remonterait au neuvième siècle et aurait péri en 1831 ; enfin Sainte-Marine qui naquit, en 1228, du temps de Guillaume III, éveque de Paris, fut plus spécialement réservée au mariage des personnes séduites avant l’heure et plus particulièrement fréquentée par les serviteurs de l’évêque.

Ces chapelles qui furent toujours pleines de fidèles au temps où le peuple croyait en Notre-Seigneur sont toutes les quatre mortes ; la cathédrale subsiste seule, maintenant ; et elle est, elle-même, du soir au matin, déserte. Les passagers — parmi les vivants — sont des touristes qui croassent en feuilletant des guides, et — parmi les défunts — des cadavres venus de l’Hôtel-Dieu voisin, des dépouilles sans le sou et que l’on expédie, au galop, Dieu sait comme !