back

La Vie moderne, 25 juin 1881.


’Le parc Monceau.’

par J.-K. HUYSMANS.



Les rejetons de la classe bourgeoise courent dans les allées, tapant des cerceaux, frappant des balles, puis généralement, ils tombent le nez par terre, et restent là, les quatre fers en l’air, en poussant des piaillements aigres.

C’est alors que la patience de l’institutrice anglaise est mise à dure épreuve. Elle relève le mioche, époussette sa robe dont les choux sont remplis de sable, essuie sa culotte aux genoux, lui fait rentrer ses larmes, le console et le mouche.

Le matin, au parc Monceau, j’ai souvent suivi de l’oeil les gouvernantes des enfants riches et toujours un doux apitoiement me venait pour ces femmes chargées de distribuer, à tant par mois, des soins affectueux aux diaboliques moutardes que des mères, occupées de chiffon, négligent. Subir les criailleries, les emportements, les rages têtues, développer les instincts de vice des enfants des autres, quel sort excédant, quel odieux supplice! Heureusement que le coeur des institutrices se dédommage; elles excitent leurs élèves à jouer et, tandis qu’ils se chamaillent et se pincent, vivement elles échangent avec des amoureux de petits billets qu’elles lisent, voracement, à l’écart.

En somme, le parc Monceau est le lieu de rendez-vous, le matin, des gouvernantes anglaises.

A cette heure, le jardin est presque désert: çà et là, un ouvrier harnacheur, en tablier vert bouteille, un carrossier en casquette noire, un palefrenier en toque écossaise et en gilet rayé passent, échangeant le bonjour avec les gardiens qui commencent leur monotone promenade autour des massifs, par les hautes futaies des réverbères, tandis qu’à l’horizon, là-bas, dans les bâtisses entrevues au travers des branches dénudées des arbres, des clartés de vitre étincellent, à mesure que les lames des jalousies se lèvent. A gauche, à droite, dans le ciel, se dressent de blanches façades de maisons, et, dans le trou sombre des croisées ouvertes, éclatent la tâche rouge d’un gilet de domestique, le coup blanc d’un tablier de bonne.

Le parc se vide à mesure. Négligé, mal peigné, il va commencer la toilette de ses touffes, redresser les tiges de ses fleurs, aviver le vert de ses feuillages, savonner ses fausses stalactites, filtrer l’eau de ses rivières minuscules.

Ce boudoir parisien, aux murs de grilles lamées d’or, au plafond mouvant de ciel, au tapis parsemé de blonds cailloux, s’apprête à recevoir les visites qui affluent dans la matinée, chaque jour. C’est alors que se montre la parfaite accordance du jardin et de la population du quartier qu’il avoisine.

Grottes en carton et grès en pâte tendre, réductions de clairs étangs et diminutifs de ponts rustiques, arbricules vernissés et naumachies en boîte, toutes ces miniatures, toutes ces préciosités, tous ces maniérismes sont bien le cadre nécessaire et charmant, propre à faire valoir le faste parvenu, l’élégance cherchée d’une bourgeoisie opulente et cocottière qui étale, dans tout l’artificiel gala d’une nature aidée, le tumulte de ses toilettes, le surmené de son teint, le bagout épinglé de son langage.

Tableau et cadre sont à l’avenant. C’est un raffinement de parisine, un curieux maquillage de campagne et de joue, une réjouissante corruption de plantes et de robes, c’est enfin le parfait unisson entre l’oeuvre des émailleurs et des couturiers et l’oeuvre heureusement amendée de la nature. Transplanté autre part, le parc Monceau serait un non-sens. Mettez-le à Montrouge, à Plaisance, au Trône, ce serait une hérésie. Telles les Buttes-Chaumont dont les belvédères, les ponts suspendus et les cascades jurent avec ce quartier pauvre.

Ici, rien de semblable; aussi l’artiste goûte-t-il de pures délices, alors que défilent devant lui, dans de correctes allées, des équipages de luxe, alors que bruissent les tons tapageurs des jupes dans les fonds ménagés des arbres, alors que rient les faces peintes des Parisiennes dans des grottes fardées.

Petit Trianon du présent siècle, le parc Monceau est, comme cet antique jardinet, l’un des plus magnifiques spécimens d’une époque, et, si en traversant les quinconces du palais joujou de Versailles, l’on évoque au tournant d’une allée, la fuite de falbalas bleus et roses, toute une série de bergères Watteau, marivaudant sous l’éventail, avec de nobles freluquets qui frétillent, la bouche en coeur; ici, au milieu de ce grand square, l’on aperçoit, dans un décor moderne, toute une échappée de la vie contemporaine, le flirtage de précieux dandys avec d’évaporées bourgeoises et d’extravagantes filles qui tuent, en l’imbécile échange des propos mondains, les heures laissées libres par le protecteur ou le mari, qu’absorbe, dans une Bourse ou dans une Chambre, l’immuable gâchis des véreuses affaires ou des louches politiques.