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République des Lettres, 20 avril 1876.

‘Le Salon de Poésie.’(1)
Troisième série du Parnasse Contemporain
par J.-K. HUYSMANS.

Le troisième salon des poètes vient d’être ouvert au public. Je l’ai parcouru avec la ferme intention d’étudier les tableaux, eaux-fortes et esquisses de chacun, et j’étais bien décidé, si, parmi les oeuvres qui figurent pour la première fois sur la cimaise, je découvrais celle d’un artiste original, à la signaler de suite aux lecteurs de cette Revue.

Je le dis franchement, mon espoir a été trompé; car, si j’excepte deux ou trois pièces curieuses, je ne trouve chez les débutants ni franchise d’allures, ni saveur nouvelle; ce ne sont que rémniscences trop visibles, maquillages trop hâtivement plaqués. On pourrait réunir en deux groupes distincts les néophytes: groupe Leconte de Lisle et groupe Coppée avec çà et là quelques beaux-semblants de Catulle Mendès et de Sully-Prudhomme. Je vois encore une élève de Lamartine, Madame Blanchecotte, je retrouve un faux air de Musset et d’Hugo (voir la Coupe et les lèvres et le Regiment du baron Madruce) dans l’Hymne à la Suisse de M. Grenier qui n’expose cependant pas pour la première fois ; et l’arome subtil et pénétrant de Baudelaire se dégage à bouffées vagues d’une pièce de M. Richardot, Les vieux amoureux.

Mais d’artistes qui soufflent dans leur clairon ou dans leur fifre — s’ils n’ont à eux qu’un fifre — point ! J’en suis venu dès lors à me demander à quoi pouvait servir d’éditer d’aussi gros volumes, si les seuls poèmes qui méritent d’être lus portent la signature d’artistes hors concours ou exempts du jury d’admission ? Ceux-là, illustres ou célèbres, organisent des expositions permanentes de leurs oeuvres, et le prix d’entrée est certainement moindre que celui de ce capharnaüm où gisent, pèle-mêle sous des vitrines, un ramas de galoubets et de pipeaux crevés.

Un fait à noter, hélas ! c’est que le poète qui a fait le plus de prosélytes est François Coppée. Ils sont à sa suite une ribambelle qui oublient que si leur maître a commis l’abominable lithographie des Humbles, il a su du moins dessiner cette exquise vignette: le Passant, et que, même lorsqu’il se trompe dans le choix des sujets, il demeure un subtil et précieux artiste. Le mauvais côté de son talent, l’affectation du simple et le sentimentalisme à outrance, les a séduits par son apparente facilité, et tous, à la queue-leu-leu, ils tapotent avec des bouchons sur leurs harmonicas de verre, ils vous chantent leur mignonne endormie, la promenade à deux dans les grands bois, le ciel d’azur, les étoiles, la brise ; c’est une vraie turlutaine pour accordéons, une couverture de dragées à pétards qui ratent, mouillés qu’ils sont par leurs larmes !

Vous voulez faire simple, être naïfs, vous vous êtes trompés d’école, mes amis, il fallait aller frapper à la porte du vieux poète Auguste de Châtillon, et encore à quoi cela vous eût-il servi, est-ce que la naïveté vraie peut s’apprendre ?

Et cependant, ce poète qui, suivant Théophile Gautier, sut concilier la simplicité et l’art, semble avoir servi de maître à un débutant, M. Gabriel Vicaire.

Sa ballade à frère Panuce, son sonnet à un bon raillard trépassé, Jeanne, la fine mouche, sont ravissants de bonhomie et naïvement enluminés avec les couleurs de son terroir. Je lui suis reconnaissant d’ailleurs de n’évoquer pas des Amaryllis et autres déités plus ou moins chlorotiques. Ses compagnons me peignent des fillettes d’après les formules d’Ary Scheffer, ce singe du sentiment, comme l’appelait Baudelaire, et lui me trousse des gaillardes à la Van Ostade ! A la bonne heure, au moins ! Non que je préfère les rustaudes joufflues aux faunesses de Paris avec leurs hanches oui bougent et leurs yeux en braise, mais entre une poupée anémique et banale et la paysanne qui rit, poings aux flancs et dents à l’air, je n’hésite, pardieu ! pas.

Quand j’aurai parlé de M. Saint-Cyr de Raissac, dont l’apostrophe à Musset contient de très-beaux vers, quand j’aurai remarqué l’absence, l’abstention peut-être, de MM. Maurice Bouchor et Jean Richepin, deux nouveaux venus, sur qui, depuis quelque temps, l’attention se porte, il ne me restera plus qu’à citer parmi les jeunes quelques noms inconnus qui, à défaut d’une originalité bien personnelle, savent du moins ouvrer joliment un poème: M. de Bonnières, l’auteur des sonnets russes; un bon élève de Leconte de Lisle, M. de Fourcaud, le tresseur de sonnets hiératiques; M. Plessis qui frappe bien ses rimes et n’appartient à aucune école parce qu’il flotte entre toutes; M. Bourget, M. Pigeon, un élève de Coppée, M. Marrot, dont j’irais volontiers marchander les vieilles assiettes peintes dans les ghettos de la rue de Rennes, le refuge du bric à brac, M. Grandmougin, un poète délicat doublé d’un fin critique musical, et puis... et puis... toute la cohue des lamentables !

Et quand je pense que lorsque j’ouvris ce volume, je voulais établir un parallèle entre les nouveaux venus et leurs prédécesseurs immédiats, tenter d’expliquer en quoi les débutants différaient, quelles notes nouvelles ils nous avaient apportées, je ne sais vraiment plus ni que dire ni que faire. Voyons, là, sincèrement, croyez-vous que cette étude soit possible ? Je fais la grimace comme un commis de l’entrepôt qui, après avoir percé d’un coup de foret toutes les barriques pleines et avoir dégusté le sang des vignes qui jaillit et pétille dans son verre, s’aperçoit que ces vins, qui portent le nom de tant de crûs, ne diffèrent que par la quantité d’eau qu’on y a versée. Je demande de la piquette, du Suresnes ou de l’Argenteuil, du clairet ou du reginglat, si âpres qu’ils puissent être, tout, excepté ces vins de la Comète qui s’allongent outre mesure !

Mais allons voir les tableaux des maîtres ou des artistes déjà célèbres.

Lettre A. — La première oeuvre qui tombe sous nos yeux a pour auteur une femme, Mme Ackermann. Dans un long article écrit en ce style particulier à la Revue des Deux-Mondes, le camaïeu gris, le style monochrome qui mène à tout, même aux honneurs, M. Caro, de l’Institut, fit à cette poétesse un titre de gloire de ne point faire partie de l’école qui reconnaît comme chef suprême le maître invincible Hugo.

Bien. Mais alors it faut avoir un fier talent pour pouvoir, tout en gardant son originalité propre, faire de beaux vers sans suivre la route que notre souverain à tous nous a tracée ! Je considère, pour ma part, cet éloge comme peu flatteur, et je crois que la désespérance perpétuelle de Mme Ackermann méritait mieux.

Je signale en passant une belle grisaille de M. Autran, intitulée Une vieille servante, et j’arrive aux rondels composés à la manière de Charles d’Orléans par l’excellent poète Théodore de Banville.

Si miséricordieux pour les beaux rythmes tombés, il avait relevé déjà la ballade et comme dans ces revues où une jeune fée, embossée dans la vieille défroque d’une centenaire, jaillit dans sa robe étincelante et diaprée en pleine lumière d’apothéose, la ribaude de Villon rejette au loin ses jupes d’antan et sourit à nouveau, vivante et belle !

Le rondel, cette broderie faite aves deux fils de couleur différente qui se croisent et s’entrecroisent et forment une trame si légère que le moindre mouvement de doigt la déchirerait, a été tissé avec un art infini par le vaillant rimeur. Quelle habileté de main ! quelle souplesse de fuseau, comme ces couleurs s’accordent et se font valoir ! les unes éclatent avec la pompeuse magnificence du pourpre, la splendeur glorieuse du jaune d’or, les autres ravissent avec leurs teintes alanguies et comme calmées: le rose, le vert d’eau, le mauve.

Mais poursuivons la route, car les noms vont se pressant sous notre plume: Emile Bergerat dont les strophes portent le titre de Paroles Dorées, et l’auteur des Poèmes d’Italie, M. Emile Blémont, qui expose une pièce très-curieuse et très-naïvement ciselée, la Chanson de Marthe. On dirait d’une mélodie savante dans laquelle reviendrait, en alternances habiles, le chant d’un rouet.

Nous entrons dans la salle C. — M. Cazalis ouvre la marche; son envoi contient quelques pièces vigoureusement enlevées, entre autres un Christ qu’on dirait peint par Ribéra. Vient ensuite un riche et puissant athlète, un romancier qui est poète quand bon lui semble, Léon Cladel.

Après le Bouscassié, cette merveilleuse idylle, où se trouvent réunis, comme par miracle, le jet premier de l’ébauche, la fleur de ton de l’esquisse, et le fini de style de l’oeuvre la plus parfaite, il a su accomplir un prodigieux tour de force, la Fête de Saint Bartholomée-Porte-Glaive et créer coup sur coup deux chefs-d’oeuvre, les Auryentis et l’Hercule.

Ah ! Cladel, Cladel ! vous êtes le Millet des paysans et des grands bois, le non pareil ouvrier du grand style agreste ! Qu’ils soient langoyeurs ou mages, que, meurt-de-faim et va-nu-pieds, ils pataugent dans la boue de Paris, leur sept en main et leur carquois d’osier au dos, ou qu’enivrés par la tourmente des combats, ils se ruent sur les canons, cabrant sous une grêle de mitraille et de balles leurs chevaux dont le poitrail saigne, tous vos héros vivent de cette vie prestigieuse que créent la plume et le pinceau des maîtres !

Et, c’est chose étrange ! après des teintes si vives et si pittoresques qu’on les reconnaîtrait entre toutes, il y a des touches d’une délicatesse et d’un flou inouïs ! après la fonte du roman qu’il pétrit et tord à pleins poings, le voilà qui du bout des doigts vous effile l’or du vers ! On dirait de ces vieux artistes forgerons, qui, après avoir battu dans une pluie d’étincelles des blocs de fer rouge, s’amusaient, pour se délasser, à ciseler des bijoux frêles !

Quelle antithèse ! après Cladel, Coppée ! Sa première toile : l’Amazone est un joli keapsake, la dernière, la Prise de voile contient quelques beaux vers. J’y retrouve avec joie le talent du poète !

Mais arrêtons-nous, car les paysages de Léon Dierx sont tout simplement splendides. Ah ! celui-là est un grand peintre et ses arbres ont la puissance des chênes séculaires qui se dressent dans l’oeuvre du plus grand des paysagistes modernes, Théodore Rousseau. Il a une ampleur et une sonorité de vers vraiment admirables. Son poème: la Forêt d’hiver, est beau, absolument beau, et Victor de Laprade au ! donne au Parnasse ses adieux aux Alpes n’a dans toute son oeuvre qu’une pièce qui égale celle-ci: La Mort d’un Chêne.

Faisons halte aussi devant les Noces Corinthiennes de M. Anatole France. Celui-ci ne recherche pas ces hosannas de couleurs que nous verrons flamber plus loin; mais aussi quelle finesse de tons, et puis comme toutes ses teintes sont harmonieuses ! Il y a dans ses vers une pureté de lignes et une placidité d’expression qui font involontairement songer aux plus beaux marbres grecs. En voilà assez pour nous faire ardemment désirer les deux autres parties de son poème ; mais, dans tous les cas, tel qu’il est, ce fragment sera sans contredit l’une des oeuvres les plus remarquées du présent Salon.

Je mentirais si je n’avouais mon enthousiasme pour les sonnets héroïques de José Maria de Hérédia. Quelle fierté d’allure ! quelle richesse de coloris ! quelle savante contexture du vers ! ils se déroulent, superbement drapes, les rimes sonnent glorieusement avec l’éclat des timbales, on dirait d’une marche triomphale, d’un hallali de pourpre et d’or, d’une fanfare éclatante de couleurs ! quels beaux sonnets que: Soleil couchant, Bacchanale, Fleur séculaire, Blason céleste, mais il faudrait les citer tous et la place me manque; mon espoir est que M. de Hérédia les réunira prochainement en un volume et que nous pourrons alors nous occuper d’eux seuls.

Après les bugles sonores et les trompes bruyantes, une mélodie charmeresse et, qui plus est, originale. L’auteur des Baisers et du Harem a brodé à son chiffre, si reconnaissable entre tous, quelques pièces exquises.

La marque de cet artiste est curieuse à étudier. On dirait d’un tortis de lettres tantôt contournées en volutes comme pouvait seul les broder ce fin Parisien, tantôt simplement humoristiques et railleuses, dessinant dans leurs entrelacs un visage où l’attendrissement ne fait que poindre et où le sourire voltige comme une flamme. Ces contrastes ont une étrange saveur et me semblent assigner à M. d’Hervilly une place tout-à-fait à part dans les rangs du Parnasse.

Que de salles il me reste à parcourir ! je n’en suis qu’à la lettre L, et l’espace m’échappe; je cite, en courant, MM. Lacaussade et Lafenestre, et je ne puis que saluer au passage un grand nom, Leconte de Lisle.

L’Epopée du Moine contient des vers sublimes. Ce maître est, après Hugo, le seul qui ait eu assez de souffle pour aborder le grand style épique; mais à quoi bon faire ici son éloge ? Le poète qui a fait Kaïn est l’un des plus grands poètes de tous les temps. Sa gloire n’est plus à célébrer.

Comme contraste des grandes épopées, les jolis riens de M. Lemoyne, un orfèvre en poésie, et les lourdes machines de M. Manuel. D’aucuns aiment ces vers-là, eh bien, mais, les voilà servis ! M. Manuel a peluré ses oignons, qui, pour comble de malheur, n’ont jamais eu ces teintes vernissées et couleur de cuivre qui enchantent les peintres. Pleurez, mes frères, pleurez, si le coeur vous en dit, je trouve pour ma part ces rabâcheries larmoyantes absolument minables.

J’aime mieux regarder les paysages du peintre Breton, les gouaches de M. Marc-Monnier de Genève, mais, à côté de ces petits tableaux, une grande toile couvre le mur, Le Soleil de Minuit, de Catulle Mendès.

La pièce débute par un paysage polaire, blême et sinistre, de tout point admirable. Sur ce fond de neige et de brume, se détachent les personnages de la légende dramatique. Snorra, sorte de Phèdre septentrionale, hurle, incendiée par tous les feux de l’amour et de la haine, et ordonne à son amant, d’assassiner son mari. La scène est d’une férocité magniflque. Puis le drame se développe, poignant et terrible, entrecoupé de paysages, dont il n’est, semble-t-il, que l’expression agissante, — jusqu’à l’heure où tombe la tête de l’époux en même temps que se lève le soleil de minuit ! Confusion des êtres et des choses. Le remords symbolisé par les aspects de la nature. Alors la scène change. Sous l’astre qui se fond en longues traînées rouges, la neige rosoie, les rochers dressent leurs pics écarlates, les cavernes flamboient comme des gueules de forges, les nuages croulent et saignent. Il y a là, — contraste superbe au camaïeu neige du prologue, — un camaïeu rouge d’un prestigieux effet; toutes les ressources de cette gamme splendide, depuis le sang carminé des laques jusqu’à l’intensité pompeuse des vermillons et des cinabres, ont été maniées avec une dextérité sans égale ! Le dirons-nous ? ces paysages sont pour nous la partie principale de l’oeuvre de Catulle Mendès, et certainement nous aurions préféré qu’il se fût borné à ces descriptions, qu’il n’eût pas essayé de transporter dans la Poésie des effets qu’on doit laisser au Théâtre. Il y a là, malgré l’ingéniosité de la fusion, un mélange arbitraire, choquant. Le public, ému ou épouvanté par les péripéties du drame, absoudra en vain l’auteur du Soleil de Minuit; les artistes lui reprocheront d’avoir attenté à la pureté du poème. D’ailleurs, un souffle d’ardente passion circule dans les scènes qui nous paraissent déplacées, et vous enlève ! point de bavochures, point le scories, l’alexandrin sort de l’enclume, net, superbe, éblouissant comme un éclair d’épée. Après M. Mendès, M. Claudius Popelin, un maître émailleur et un sertisseur de rimes, M. A. Renaud l’auteur des Nuits Persanes, M. L. X. de Ricard qui n’expose qu’un fragment où s’entrechoquent avec leurs bourguignottes et leurs pourpoints de buffle, catholiques et huguenots, M. L. Ratisbonne, un fabricant de poésies pour mioches, Joséphin Soulary, le précieux joaillier de Lyon, Mme Louise Sieffert, une poétesse du même pays; et je m’arrête devant les envois de MM. Armand Sylvestre et Sully-Prud’homme.

Le premier de ces poètes est habile à ciseler un flacon et à y jeter une goutte de fine essence qui pénètre d’une douce mélancolie lorsqu’on la respire ; quant au second, il ne nous a donné qu’une pièce Le Zénith, où une fâcheuse tendance au didactisme entrave l’essor des plus hautes facultés poétiques. Je passerai de suite à MM. Theuriet, Albert Mérat et Antony Valabrègue.

Ce n’est pas sans motifs que j’ai réuni ces trois poètes; ni les uns, ni les autres, n’emploient les couleurs fastueuses: la pourpre de Cassius et le jaune de cadmium. Mais il faut avouer que s’il répudie les teintes vives, M. Theuriet surtout manie à ravir toute la gamme des tons adoucis, depuis la discrète pudeur du bleu tendre jusqu’à la morbidesse charmante du vert d’eau, jusqu’à la tendresse infinie du rose !

La même observation peut s’appliquer à M. Mérat qui, aux rêveuses faiblesses du gris perle, sait ajouter parfois le réveil adorable du maïs ! Ce poète qui dans ses Villes de Marbre a tressé de si jolies pièces (Venise, les Fruits de Naples, le Vieux Palais, pour n’en citer que trois) s’est pris d’amour pour les pauvres campagnes de notre banlieue, et il vient célébrer dans le Parnasse leurs grâces trop méconnues.

M. Antony Valabrègue a suivi la route tracée par ses deux devanciers. Les couleurs qu’il préfère sont le lilas et le jaune clair de Naples; la note varie peu, mais, il faut bien le dire, il sait en tirer de très-jolis effets.

Plus original et plus vigoureux, M. Valade, qui tortilla au temps jadis un sonnet mirifique, Pierrot, nous en donne comme un pendant avec sa Pantomime. Les Rues de Venise, Mai, Bouquets, sont de petits bijoux dignes d’être enchâssés dans son écrin « à mi-côte ».

Il ne me reste plus qu’à nommer M. Aicard, un poète de Provence, qui chante, en de beaux rythmes, son pays ensoleillé, et M. Franck, qui n’a pas collaboré au Parnasse — pourquoi ? — et qui vient de publier les Poèmes de la jeunesse. Je recommanderai tout spécialement: La Mandragore, Le Val profond, A l’Orée du bois et surtout L’Orgue de Barbarie, qui nous semblent donner la note dominante du poète, une certaine tendresse un peu mélancolique.

En résumé, le Parnasse contient des pièces très-inégales. Beaucoup de beaux vers forgés par des mains connues, mais ainsi que je l’ai dit plus haut, trop de rapetasseries grecques ou sentimentales de la part des nouveaux venus ! O Dieu ! il ne se trouvera donc pas, parmi tous les débutants, un homme qui me campe sur ses pieds une vraie femme, qu’elle soit blanchisseuse on princesse, artisane en godailles, ou fille honnête, une femme enfin dont le ventre tendu de peau rose ne soit pas rempli de son et dont les yeux d’émail ne soient pas trempés de larmes ! Je demande que ces travailleurs effacent de leur échoppe cette enseigne : « fait le neuf ». Semblables à ces orfèvres en cuir que d’aucuns appellent des savetiers, ils ont tous entre les mains une vieille mule de soie pâle, et ils ne cherchent qu’une chose: y ajuster des lacets plus ou moins foncés. Je le dis, en toute franchise, cette cordonnerie poétique m’afflige, et comme l’auteur d’Albertus, je crie :

Donnez-moi la pincette et dites qu’on m’apporte

Un tome de Pantagruel.

(1) A propos de cet article qui se signale par la vivacité de certaines critiques et de certain louanges, il n’est pas inutile de faire observer qu’une entière liberté d’appréciation étant laissée à chacun de nos collaborateurs, les opinions personnelles de M. Huysmans ne sauraient engager en rien la responsabilité de la Revue.