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La Corporation, 28 août 1903


Questions sociales et religieuses du temps présent, Abbé Planeix, Paris: Lethielleux [1903].


J’ai eu envie de crier : « enfin ! » après la lecture de ce oeuvre qui sort si fortement du cadre habituel des fades sermons servis aux catholiques.

L’auteur a pris le bête par les cornes et l’a secouée. Virilement et bravement, il a osé dire aux ouailles ce qu’il fallait leur dire, et je ne puis m’empêcher de sourire en songeant aux mines allongées des précieuses dévotes écoutant ces reproches sur les folies de toilette, les prie-Dieu rouges, les Saint Antoine de Padoue, tout le sensualisme du sanctuaire. C’est pour nous autres laïques un vrai soulagement que d’entendre enfin un prêtre dire carrement ces vérités...

Et c’est d’autant plus méritoire que la tâche est ingrate et quasi vaine. L’apathie catholique est telle qu’on sent qu’on frappe sur quelque chose de mou qui reprend aussitôt sa forme, sans garder trace du coup qu’il a reçu.

Certes, si quelqu’un a écrit d’éloquentes et de vigoureuses pages sur l’or et la charité, c’est bien l’auteur ; mais forceront-elles les âmes endurcies par la bétise mondaine de ces gens-là ?

Pour lutter contre les adversaires qui nous oppriment, il faudrait d’abord avoir des armes égales comme portée aux leurs ; et cela, il l’a excellemment montré en parlant de l’action des journaux. Ce qui nous manque, c’est une telle presse. On a tout tenté pour l’établir et on s’est heurté au vide. Jamais en n’a pu faire comprendre à des gens disposés à donner largement à toutes sortes d’oeuvres, qu’il fallait avoir un grand journal`a un sou, aussi bien renseigné, aussi vivant, pas plus sot que les autres... Et plusiers de nos journaux sont plus occupés d’ailleurs à échanger des coups entre eux qu’à faire face à l’ennemi.

Je ne parle pas de la Croix, fort insuffisante pour lutter contre la Lanterne, la Petite République, toute l’armée de ce genre de feuilles qui pourrit, chaque jour, de plus en plus, le peuple.

Or, c’est lui qui est tout. Le jour où l’Église l’a perdu, elle a tout perdu : la qualité et le nombre...

Oui, la lutte entre patrons et ouvriers ne pourrait se dissiper qu’avec l’Evangile. Il n’y aurait que la charité et la bonté qui pourraient ramener les faubourgs au Christ...

Quant au sensualisme proprement dit, il n’est, — c’est fol à dire — presque pas assez fort. Car c’est là l’honneur de la génération moderne. Il y a trente ans les jeunes gens ne s’occupaient que du plaisir. Evidemment, le péché de luxure est redoutable ; mais, à l’heure actuelle, c’est pis, ils ne s’occupent que d’arriver. Je me rapelle une visite de vieille dame, me disant : « Ah ! monsieur, si mon fils avait une liaison, je serais presque heureuse; mais il se fait franc-maçon pour arriver ; il est prêt à tout les compromis, à toutes les lâchetés. » — Le fait est qu’on guérit de la luxure, mais de lucre, non. Et c’est vraiment encore plus misérable, plus offensant pour Notre-Seigneur, plus bas. Ils n’ont même plus de jeunesse et de capacité d’aimer. Ils n’ont même plus l’excuse de la nature complexe du péché. Ils envissagent froidement la déchéance.

Tout cela est peu rassurant pour l’avenir. Dans le peuple, une génération élévée maintenant sans Dieu. Dans les autres classes, le pari mutuel, l’automobile, la fureur de gagner des places à n’importe quel prix et de l’argent. Le bon Dieu va avoir fort à faire pour nous remettre debout. Je ne doute pas une seconde qu’il ne le lasse ; mais après quoi ?

Les conférences étudient ces états lamentable d’âme. Leur auteur s’applique à sonder nos blessures et à les panser.

Pourvu que sa belle franchise ne lui attire pas des ennuis ! — C’est ce que je crains toujours, à l’heure actuelle, pour ceux qui ne reculent point devant les vérités nécessaires, mais désagréables à la majeure parties des ouailles.


J.-K. Huysmans