back

La Gazette des Amateurs 3 juin 1876.


LE POÉSIES DE CATULLE MENDÈS


Les poésies de Catulle Mendès, éparses un peu partout, imprimés à petit nombre sur de précieux feuillets de papier de Hollande et de Chine, aujourd'hui introuvables ou enfouies, toutes vives, dans l'herbier des anthologies Parnassiennes ou dans les colonnes de revues oubliées ou mortes, viennent d'être réunies en un volume par les éditeurs Sandoz et Fischbacher.

Si j'en crois une note insérée dans son livre, M. Mendès n'a consenti à l'réimpression de ses premières oeuvres que pour affirmer son droit d'avoir, un des premiers, participé au mouvement poétique de ces derniers temps. La précaution était inutile, car les artistes ne l'ont pas oublié et ils lui seront toujours reconnaissants d'avoir chassé les marchands du temple et d'y avoir installé à leur place une pléiade de vrais poètes; mais, pour en reventr aux pièces qui lui servirent de début, c'est-à-dire à Philoméla, à Panteléïa et à un certain nombre de sonnets, elles méritaient, mîme sans les raisons que l'auteur invoque, de revêtir une nouvelle robe de blanc parchemin, brodée de lettres rouges et de se présenter ainsi, joyeuses et tragiques, devant le feu de la rampe.

Comme tous les néophytes de l'époque où ses poèmes parurent, M. Mendès a sacrifié aux gentillesses amoureuses et tressé des corbeilles enrubannées de soie bleue ou rose ; il est bien difficile, il est vrai, d'échapper à cette mode qui se propagea depuis d'effroyable façon, et de jouer sur la petite viole du Parnasse, dont il fut l'un des plus renommés luthiers, quelques fioritures attendries ou mignardes ; mais son ambition fut heureusement plus haute et après qu'il eut, comme tous ses compagnons, déposé quelques fleurs dans un cornet de mousseline, il ne se contenta point de rester le doux poète des misérables, Jean Prouvaire, et il s'essaya dans le style épique.

Précédé par Leconte de Lisle, qui s'isolait des foules et chantait, pour quelques raffinés, les légendes Indoues ou Scandinaves et revêtait de son admirable forme les canevas héroïques de la mythologie et de la Bible, M. Mendès se plongea dans la lecture des livres saints et, s'éprenant des théogonies de l'Inde, chanta les mystères du lotus, l'hymne à Kamadéva et le dialogue d'Yama et d'Yami.

Je mentirais si je n'avouais préférer une page bien moderne et lien vivante à ces sujets atterrants et inouïs. Ils offrent tout d'abord, eût-on lu er relu le volume de M. Barthélémy Saint-Hilaire : le Boudha et sa religion, une obscurité profonde qui ne se dissipe guère. Çà et là, luisent, émaillés de cabochons formidablement taillés, des vers éclatants, des lingots de matière inestimablement belle, mais si bizarrement travailée que la pensée du ciseleur échappe. L'erreur des poètes de cette Éole est de s'éloigner systématiquement du siècle où ils vivent et de mépriser la vie moderne au point de la croire incapable d'inspirer une grande page. Je crois, et en ceci je diffère absolument des théories attnbuées au Parnasse, que le jour où un maître fera pour la poésie ce que Flaubert, Goncourt, Cladel et Zola ont fait pour le roman ; que le jour enfin où un poète vivra dans son oeuvre, fût-elle délurée et paillarde, mélancolique ou chaste, une voie nouvelle, et la seule vraie, sera définitivement ouverte. Mais, en attendant que les nouveaux venus suivent cette route, défrichée à certains endroits par le grand maître, Charles Baudelaire, je confesse qu'en d'épit de mes révoltes ces pièces étranges produisent sur moi le même effet que cette aquarelle de Gustave Moreau, « l'Apparition », dont l'obscurité mythique me repousse et cependant m'obsède invinciblement avec son rendu précieux, son idéalité bizarre, ses chocs de couleurs imprévues et cette grandeur barbare qui se dégage malgré tout de son mystère irritant ; et puis, il faut bien le dire aussi, je ne me sens pas le courage de m'attaquer à un artiste qui, dédaigneux des fadeurs aimées et non asservi aux appauvrissements volontaires et aux câlineries bêtasses de poètes trop vantés, va droit son chemin, sans s'inquiéter de plaire à un public qui s'étonne et jappe.

Mais le talent si multiple de M. Mendès ne se confina point dans les poèmes du Gange, et de sa plume alerte er charmante, il a su dessiner de délicieux croquis. Après ces pièces exquises de ses premières oeuvres : « Ariane, le Bénitier, Impertinence, Fulvia, la Délicate, » après « les soirs moroses, Intermèdes, Sérénades » où s'affirme de plus en plus cette qualité maîtresse : l'ampleur du style et la rime inattendu et jamais banale, il a brossé avec une grandeur qui égale celle de J.-P. Laurens les deux évêques de ses contes épiques et peint un étonnant triptyque, dont le panneau central, avec ses grands traits de sanguine et de crayon noir, rappelle les admirables dessins de Watteau au Louvre. Le volet de droite : agape cardinale, semble moins une eau-forte qu'un tableau de Rubens, haut en couleur et enlevé à grands coups, tandis que le volet de gauche paraît lavé par le plus fin des peintres d'aquarelles.

Que de talents l'artiste a semé dans ces cadres divers ! Que d'expressions heureuses trouvées et vraiment originales ! Que de vers tordus comme en se jouant ! que de couleurs savamment disposées pour se faire valoir les unes les autres ! et cependant je n'ai pas encore parlé du « Soleil de Minuit, » sa dernière oeuvre, et « d'Hespérus, » un étrange poème, dont le commencement buriné à grands traits, mordu comme un cuivre de Rembrandt, s'élargit et vole à tire d'aile dans l'infini, inspiré qu'il semble être par la lecture de l'Apocalypse. Quant au « Soleil de Minuit » dont j'ai rendu compte déjà dans la République des Lettres, je le considère comme l'oeuvre la plus parfaite du jeune maître. Jamais il ne s'est élevé aussi haut, jamais il n'a sonné une note aussi éclatante. C'est du grand art ou je ne m'y connais point. Son talent a grandi, c'est bien évident. La vigueur qu'il a déployée dans la peinture de ce soleil des pôles, la richesse des tons, la fougue et la largeur du vers, la grandeur tragique des personnages, ses admirables paysages boréens se teignant tout à coup de lueurs rouges ou s'estompant vaguement sur un ciel livide et chargé de neige, témoignent d'un talent masgistral qui semble ne plus devoir grandir. Qui sait cependant si le valeureux artiste ne nous ménage pas encore quelque surprise ? Sa devise ne semble-t-elle pas inscrite sur le fleuron de son éditeur : de bien en mieux ?