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En Marge (1927)

blue  Avant-Propos.
blue  Emile Zola et L’Assommoir.
blue  Rimes de Joie.
blue  J.-K. Huÿsmans.
blue  Le Latin Mystique.
blue  Le Satanisme et la Magie.
blue  Petit Catéchisme Liturgique de l’Abbé Henri Dutilliet.
blue  Préface pour des dessins de F.-A. Cazals.
blue  Préface d’En Route.
blue  Préface d’A Rebours.
blue  Marie-Charles Dulac.
blue  La jeunesse du Pérugin et les origenes de l’Éole Ombrienne.
blue  Don Bosco.
blue  Préface aux poésies religieuses de Verlaine.

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PRÉFACE POUR DES DESSINS DE F.-A. CAZALS

Mon cher Monsieur,

Parmi vos alertes et vivants portraits qui sont, en quelque sorte, les sites de physionomie fixés dans leur étonnante mobilité du Verlaine intime, il en est deux surtout qui, à des points de vue différents, me retiennent.

Et devant l’un qui me fait vraiment apprécier votre pouvoir de créer la vie en quelques traits, des souvenirs bien lointains pour moi se lèvent.

Je revois Verlaine, tel que vous l’avez représenté, sur une banquette d’estaminet, la tête un peu renversée, les yeux clos.

Il était, autant que je puis me rappeler, rentré depuis peu en France. Un ami commun, le bon Robert Caze, nous avait réunis dans son logement de la rue Rodier. Bien peu d’écrivains connaissaient alors « Sagesse », qui avait été si soigneusement enfouie dans le placard d’une librairie catholique. Ce fut, je crois bien, pour son auteur, un peu de légitime joie lorsqu’il nous entendit, tous les deux, lui en parler avec une admiration qu’il sentait n’être point feinte, et il se débrida, sortit tout cet affectueux côté d’enfant et de brave homme qui était en lui.

Après le dîner, nous l’amenâmes à Villiers de l’Isle-Adam qu’il n’avait pas, depuis des années, revu ; et ce fut, à la brasserie Pousset, une série d’épanchements qui se terminèrent par le récit de ces extraordinaires histoires que Villiers, seul, savait conter. — Et je revois Verlaine, dans cette pose que vous avez si bien rendue, regardant de ses petits yeux qui se recueillent l’ébullition de son ami, secouant d’un coup de tête la mèche de ses cheveux, se reculant comme pour prendre du champ, puis levant les bras en l’air ou inclinant tout son buste sur la table qui les sépare.

A une nuance près, c’est bien le Verlaine de votre croquis; vous l’avez fait néanmoins plus somnolent, peut-être, mais il n’écoutait pas Villiers, alors !

L’autre portrait, la tête du poète, à l’hôpital, se détachant sur une fenêtre dont les barres forment une croix derrière lui, évoque l’autre face de cette âme dimidiée, si pleine d’effusions religieuses et si tendre ; il me résume en quelque sorte le symbole du Verlaine plus solitaire, du Verlaine mystique.

Et c’est, réellement, dans ce si sfmple arrangement que vous sûtes trouver toute la glorieuse effigie de l’écrivain que les catholiques repoussèrent, alors qu’ils eussent dû remercier le Ciel de leur avoir donné un souverain poète. Quel pharisaïsme et quelle bêtise !

Dans votre série, ces deux portraits de Verlaine me semblent représenter le temps un peu nuageux et le temps clair de ses saisons d’âme. Vos autres dessins relient ces deux-là, en leurs différents épisodes, si vivement saisis, de l’artiste morose, presque inquiet, dans les rues de Londres, et du poète marchant, pensif ou regardant, appuyé sur sa canne, dans son costume d’hôpital, le douloureux spectacle de ces écrasés de la vie qui l’entourent.
Paris, 29 février 1896.


Extrait de : Iconographies de certains poètes présents, par F. A. Cazals (Préface de J.-K. Huysmans). Avril 1896, 1 broch. format album.