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De Tout (1902)



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XXVI

SAINTE DÉBARRAS

LORSQUE j’écrivis l’histoire de cette sainte, je croyais son culte confiné à Beauvais et il n’en est rien.

Elle est révérée à Wattetot-sur-mer, en Normandie ; l’église de ce village possède deux statues de sainte Wilgeforte, l’une ancienne, affreusement délabrée et une neuve, issue des chantiers de la rue Bonaparte, c’est tout dire. Le 20 juillet, toute la contrée se rend en pèlerinage à Wattetot, mais la célicole y est invoquée pour la stérilité des femmes, pour la guérison des enfants malades et nullement pour le trépas désiré de malheureux maris.

La légende du pays la représente comme une Anglaise qui aurait été martyrisée non par son père, mais par les infidèles.

En Normandie encore, à Wittefleur, on l’implore pour l’anémie et pour les maux d’estomac ; mais là, le peuple a corrompu son nom qui s’est mué en celui de « Vierge forte » et c’est, en somme, la Madone que sous ce titre l’on prie. Toujours dans la même province, à Fauville, il existe aussi une statue d’elle ; elle date du XVIIIe siècle et est dénuée de barbe.

Dans le Pas-de-Calais, à Wissant, se dresse également une effigie de la sainte, velue et couronnée ; mais elle ne porte pas, ainsi qu’à Beauvais, un masque.

Si nous la cherchons d’autre part sous le nom de sainte Libérate, nous la trouvons dans les Hautes-Pyrénées, en l’église de Mazères, où ses reliques gîteraient dans une châsse gothique de vieux marbre.

Voici, enfin, une légende de la Suisse allemande, sur cette déicole :

Un ménétrier fut accusé d’avoir commis un crime et tandis qu’on le conduisait en prison, il s’échappa et se réfugia dans une église où s’élevait l’image sculptée de Wilgeforte. Il se jeta à ses pieds et aussitôt, pour prouver l’innocence de cet homme, elle laissa tomber l’un de ses souliers. Une estampe de Valdor, datée de 1622, la représente poilue et crucifiée, au-dessus d’un autel, tandis que le ménétrier joue du violon, à genoux sur une marche.

Ajoutons encore que, dans ces pays, elle a le renom de chasser les soucis domestiques.

Elle remplit, on le voit, la brave sainte, de singuliers cumuls. A Beauvais, elle fait des veuves ; en Normandie, elle rend les femmes fécondes, guérit les enfants, soigne les gastralgies et dompte les chloroses ; en Suisse, elle préserve des ennuis du ménage — en supprimant les maris, peut-être — et elle plaide avec son pied la cause des innocents. C’est bien des choses à la fois.

Pour mettre sans doute tout le monde d’accord, M. Darcel, dans un article de l’Illustration daté de 1866, s’est efforcé de démontrer — sans y parvenir, du reste -que sainte Wilgeforte n’avait jamais existé et que les statues de Beauvais et autres lieux représentaient simplement un Christ habillé, tels que ceux que sculptèrent les imagiers des XIe et XIIe siècles et dont un spécimen, en bois peint, provenant de la collection Courajod, a été récemment placé dans la salle André Beauneveu, au Louvre.