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De Tout (1902)



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NOËLS DU LOUVRE

LE musée du Louvre est, le jour de Noël, un lieu de refuge pour le chrétien qu’exaspère le sabbat des musicastres ; en effet, dans tous les sanctuaires de Paris, les mélodies conçues par des maîtres de chapelle dont cette fête hâte les gésines, sortent ; et chacun en profite pour écouler, sans se gêner, les gaudrioles de son repertoire, pour faire chanter aux maîtrises les d’ehanchements égrillards des beuglants.

Les gens que cette racaille de fredons indigne trouveront à se mieux recueillir, au Louvre, devant certaines toiles de Primitifs, que dans ce vacarme enragé d’éalises car, s’il ne pleut pas à seaux, ce jour-là, le musée est presque vide et, du reste, si même les visiteurs étaient nombreux, ils s’entasseraient de-préférence dans le grand salon de peinture française moderne ou dans ces pâtisseries de l’art où la vue peut gofiter aux crèmes de Boucher et aux flans de Greuze. L’on est donc bien certain que, près des Primitifs, l’on sera seul.

Or, ayant refait ce pèlerinage, à l’occasion de la Nativité, j’ai tâché de me rendre compte de la façon dont ces peintres ont compris l’Enfant et j’ai rapporté, d’heures passées devant eux, ces quelques notes.

Dans le couloir où campent les Primitifs de l’Italie, les Nouveau-Nés abondent, mais, il faut bien le dire tout de suite, la plupart vous déconcertent. Prenez-en sept ou huit, les plus curieux, et voyez-les. Dans le panneau de Bianchi, si étrange, si captivant, avec ses deux personnages, debout qui vous regardent de leurs yeux clairs, à jamais navrés, le Jésus est faible ; c’est une pelote de graisse articulée, un poupon au sourire inexpressif, un gamin comme un autre, saisi juste au moment où il ne crie pas. — Avec le Lorenzo di Credi, le bambin s’aggrave; il est terne et sébacé, sa joue se ballonne d’une fluxion et il bénit avec des doigts qui sont des chipolatas, de petites saucisses échaudées devenues blanches. Il est à la fois infantile et vieux avec sa mèche à la Girardin sur le front. Il a l’air d’un notaire de pygmées, d’un tabellion de Lilliput. Ah ! le triste gnome, le triste petit Dieu ! Si nous nous arrêtons devant les deux Lippi, l’impression est la même d’un être joufflu et vieillot, presque maussade ; devant le Mantegna, son enfant va pleurnicher et cesser d’être sage ; devant le Pérugin, son Messie est une figurine de saindoux ; il a un crâne énorme et un ventre météorisé ; il est un hydrocéphale atteint de phtisie mésentérique ; il a le carreau. Mais les plus hideux, à coup sûr, sont ceux de Gozzoli et de Beltraffio. Le premier a des touffes de choux fleurs de chaque côté de la tête et une houppe sur le front. Invinciblement, l’on songe à ces courtiers qui braillent sous le péristyle de la Bourse. Le second est encore plus inquiétant. La Madone qui le tient stupéfie déjà par son allure de mendigote à la porte d’une église, mais le marmot est pis et rien ne peut rendre la saveur onctueuse et papelarde et aussi la dégaine quémandeuse et grippe-sou de ce môme. Je ne crois pas que l’on ait jamais peint d’une manière plus canaille notre Seigneur et sa Mère.

Si nous exceptons l’Enfant de Botticelli, qui est joli, au moins, celui de Mainardi qui bénit avec une bonne grâce charmante le petit saint Jean, celui d’Albertinelli qui pourrait plaire, nous remarquons d’abord que tous ces Nouveau-Nés sont adipeux et laids et ensuite que tous sont plus vieux que leur âge.

Pour rendre l’inexprimable enfance d’un Dieu, presque tous les peintres se sont évertués à surajouter à la nature humaine qu’ils copiaient un côté réfléchi, sérieux, qui n’existe pas chez l’enfant ; mais ils n’ont obtenu ce caractère de gravité qu’ils cherchaient qu’en accentuant la physionomie par un grossissement des traits, par une maturité que, seules, les années donnent. Ils ont créé un être hybride, qui n’est plus un enfant, et qui n’est pas un Dieu, une sorte de monstre, ni galopin, ni homme, une figure de Tom Pouce, de nain, en un mot.

Mieux valent alors ceux qui se sont bomés à peindre un nourrisson, tel qu’il est, sans même tenter de le flatter ; c’est d’un idéal mal exalté, mais enfin, ce n’est pas choquant comme cette hérésie qui consiste à marier les contraires, en greffant la fatigue ridée d’un birbe sur la face réjouie d’un gosse.

Si nous quittons, les artistes de l’italie pour aller regarder les vierges et les divins garçonnets des autres écoles, nous pouvons constater que, parmi les tableaux qui représentent la soi-disant école des Primitifs français an Louvre, il en est deux vraiment enviables : l’un est d’un anonyme du XVe siècle ; il nous montre une sainte Marie un peu bizarre, avec sa façon de presser entre ses doigts le mamelon de son sein, et un petit Jésus fûté, avec des yeux brillants, un peu retroussés vers les tempes ; c’est un bébé pris sur le vif, content de voir que sa mere s’apprête à l’allaiter, mais ce nest qu’un bébé, né des ceuvres d’un homme ; l’autre est on du moms presumé être de Jehan Perréal dit de Paris. Là, le baby est sur les genoux : de la mère ; il est moins potelé, moins redondant, vraiment plus mutin, plus gai que les bambinos de l’Italie ; mais autant la Vierge est exquise de candeur, presque extraterrestre, véritablement ge’nitrice d’un Dieu, autant ce petit, dans l’attitude efforcée, dans la pose pénible qu’il affecte, n’accuse aucune descendance céleste, aucune origine préternaturelle.

Chez les pre’curseurs de l’Allemagne, c’est autre chose ; dans la salle où ils dansent sur des murs, vides, on trouve une Adoration des mages de Gumpolt Giltinger. La Madone est une robuste Gretchen à cheveux roux et l’Enfant est un solide gars à visage large et plat, tel que celui de sa mère ; les mages, de superbe et de bonhomme allure, sont d’évidents portraits ; l’Enfant, qui a saisi le pouce de l’un d’eax agenouillé devant lui, est bien vivant, mais vulgaire ; c’est un petit rouquin dont la généalogic tout humaine est sfire ; un autre panneau du XVe siècle nous exhibe également, dans la même pièce, une Vierge assise derrière une haie et tenant un moutard en chemise, un minuscule gringalet, un avorton maladif et fadasse ; et, ici encore, la filiation divine ne se voit point.

De même pour la majeure partie de l’Ecole des Flandres. Dans l’obscur réduit oh un Monsieur a cru pouvoir les reléguer, pour accrocher à leur place les boyauderies brossées à la hâte par Rubens, on finit par discerner un triptyque du commencement du XVIe siècle, où un blondin gentillet feuillette un livre sur les genoux de Marie ; puis, de Mabuse, un mioche à crâne de calebasse, avec un teint suifeux, des yeux à fleur de tete, des joues ainsi que des cloques et pas de menton, un type de youpin anémique, affreux. En revenant de ce cachot infligé à des ceuvres, dans le salon carré, on distingue vaguement à contre-jour, en un coin, un minime Van der Weyden, une Vierge portant sur ses genoux un maigre bambin, mais notre musée ne possède que des épluchures de cet admirable peintre ! — puis le Van Eyck, la Vierge au donateur. La Vierge est humble et ingénue, et, malgré son indéniable laideur, elle séduit par un certain sentiment de tristesse et de componction ; mais l’enfant est par trop laid. C’est un petit vieux qui bigle et qui est ratatiné, comme confit dans de l’alcool ; il y a du fcetus dans ce malheureux !

Il n’est pas encore Notre Seigneur, ce gamin décrépit ! Pour le découvrir réellement, pour le voir enfin, il faut aller dans la salle Duchâtel et faire halte devant le Memling. Ici, nous ne sommes plus en face d’une de ces matrones puissantes, à chairs élastiques et à gros os, telles qu’en peignirent les premiers peintres de l’Italie, mais en face d’un être allongé, fuselé, d’une finesse délicieuse d’attaches, d’un corps évaporé sous la châsse orfèvrie des robes ; cette Vierge est une jeune mère qui tient juste encore assez à la terre pour que nous puissions comprendre que le miracle annoncé par les prophètes s’est accompli, et elle est, avec cet effilement étrange, cet élancement de tige, d’une dignité extraordinaire, d’une grâce inoule. Plus que dans d’autres de ses panneaux, Memling a donné à la figure de Marie cette forme de toupie qu’il affectionne et bombé le front, mais quelle candeur d’amour dans ces yeux qui se baissent et contemplent l’enfant ! On sent qu’Elle n’intervient pas, en tant que reine, dans la scène d’adoration de ces hommes et de ces femmes à genoux de chaque côté du trône ; Elle ne veut rien, Elle ne prend rien pour Elle ; Elle s’efface, sourit, contente de prier, Elle aussi, tout bas, son Fils.

Lui est souriant et pourtant grave; et le visage éveillé, fin, avec ces cheveux frisés de soie floche et ces yeux presque noirs, est plus que celui d’un enfant et il est cependant le visage d’un nouveau-né ; il a en même temps quelque chose de ferme et d’auguste, d’ingénu et d’aimable qui n’est plus obtenu par le vieillissement coutumier des traits. Il est à la fois préternaturel et terrestre ; il est certainement celui qui suggère le mieux, au Louvre, le type qui semble impossible à peindre, de l’Emmanuel, de l’Enfant-Dieu.

La piété et l’immense talent du peintre ont franchi l’écueil sur lequel presque tous ont touché ; et il est bien nécessaire de croire que la scène de Bethléem et que les épisodes de la jeunesse du Christ sont les plus difficiles qui soient à rendre, car ces Primitifs de l’Italie, de l’Allemagne et de la Flandre sont de magnifiques maîtres et tel d’entre eux qui a échoué lorsqu’il a voulu peindre le Sauveur dans sa crèche, s’est révélé étonnant, vraiment merveilleux, lorsqu’il a représenté Notre-Seigneur à l’âge d’homme et là suivi jusqu’au jardin des Olives et jusqu’à sa mort sur le Calvaire.

Dans ce musée même, il est pourtant encore un autre artiste qui a tenté la périlleuse entreprise sans trop de dam ; c’est le sculpteur céramiste Andrea del Robbia.

La petite chambre qu’il occupe est peut-être la plus déserte du Louvre ; et, dans sa fraîche solitude, des êtres charmants s’avancent en relief des murs, desVierges et des Jésus d’une distinction, d’une délicatesse qui enchantent et inquiètent néanmoins un peu, car un pas de plus, et l’on tomberait dans la mièvreric et le fondant.

Ses Vierges sont de jeunes mères, des Maries de Noël, toute de sérénité et toute de grâce, et cependant elles ont un je ne sais quoi d’apeuré et de dolent ; lorsque l’Enfant est dans leurs bras, elles le serrent ardemment comme avec la crainte de le perdre ; il semble qu’elles repensent toujours, dans la joie de la maternité divine, à la prophétie de Siméon.

Telle une petite Madone, émaillée de blanc sur fond bleu, accrochée le long d’un couloir menant à une autre salle ; Jésus est exquis, mais lui aussi est vaguement aux écoutes et songeur ; il enlace sa mère, se presse, se cache en Elle. Plus accentuée encore est cette expression de souci dans un autre bas-relief eintré entouré d’une guirlande de pommes de pin, de volubilis azurés et blancs et de pommes couleur de soufre. Là, la Vierge a le bras passé autour du corps de son Fils et Elle lui tient, avec une main, le pied. Elle est triste et recueillie et Lui, le torse un peu cambré, le bras enlaçant le col de sa Mère, presse un oiseau dans sa main ; mais ses doigts l’emprisonnent machinalement, car la physionomie avenante se fait grave. Elle rêve, boude, en quelque sorte, à l’avenir. On dirait qu’une vision du Golgotha se dessine, au loin ; tous deux se taisent et le côté de joliesse alanguie de ce groupe s’épure à cette mélancolie, s’affermit à cette contrainte. Plus joyeux est un autre petit Rédempteur adoré par Marie, dans un grand médaillon dont le double est à Florence, et, plus austère et plus ferme, un autre groupe dans lequel la figure de la Vierge, ses cheveux, ses doigts et tout le corps du bambino nu sont à l’état de biscuit, c’est-à-dire ne sont pas recouverts d’émail. L’enfant, debout, tient une pomme d’une main et bénit de l’autre ; il y a dans cette sculpture une certaine solennité, moins de laisser aller caressant chez la Mère et moins d’ingénuité chez le Fils.

Très certainement, cette statuaire, sortie des ateliers d’Andrea, n’a pas, au point de vue de l’art mystique, l’envolée d’un Memling, mais elle est persuasive, car elle d’egage, elle aussi, un sens religieux intense ; s’il n’atteint pas toujours l’idéal que l’on peut se faire d’un Dieu, l’Enfant est, en tout cas, mieux qu’un enfant ; puis l’experte polychromie obtenue avec quelle sobriété de tons ! un blane glacé d’émail, un violet brun, deux bleus dont un presque teme, un vert foncé et deux jaunes, un soufre et un citron, et c’est tout.

Si nous récapitulons maintenant les remarques que nous flimes pendant cette galopade au travers du Louvre, nous pouvons les résumer en quelques lignes.

Les Jésus des Primitifs du musée sont, à de rares exceptions, des embryons boursouflés et mafflus, des nabots rondouillards, et presque tous ont, quelques mois après leur naissance, des figures d’hommes.

Et s’ils étaient seulement jolis, ces vétérans du berceau ! mais pas du tout, ils sont d’une laideur qui désempare ; et cela devient si peu naturel qu’on finit par croire que chaque peintre, aveuglé par l’amour paternel, n’a pas vu la beauté possible d’autres garçons et s’est borné à nous peindre le seul qu’il admirait, le sien !

En somme, parmi ces Primitifs qui ont décrit pieusement, avec une sincérité et une naiveté, avec un art incomparable les sce’nes diverses de la vie du Christ, il n’cn est guère dont le talent n’ait pas défailli dès qu’il essaya d’aborder l’Enfant ; la plupart n’ont pu créer que des babouins purement terrestres. Ce n’est pas, en effet, parce que ces gamins ont le chef nimbé d’un halo d’or qu’ils éternisent. Cet alibi est vain. D’ailleurs, est-ce que l’auréole ne doit pas se faire d’elle-même autour de la tête du divin Jésus, sans avoir besoin d’être peinte ?