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Croquis parisiens (1880)



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LE GOUSSET

A GUY DE MAUPASSANT

Il est des odeurs suspectes, équivoques comme un appel dans une rue noire. Certains quartiers du Paris laborieux les dégagent lorsqu’on s’approche, l’été, d’un groupe. L’incurie, la fatigue des bras qui ont peiné sur d’accablants travaux expliquent l’âpre fumet de bouc qui s’élève des manches.

Plus puissant encore et plus rude, je l’ai suivi ce fleur à la campagne sur un peloton de faneuses passant en plein soleil. C’était excessif et terrible ; cela vous piquait les narines comme un flacon d’alcali, ou vous les saisissait, irritant les muqueuses par une rude senteur tenant du fauve relent du canard sauvage cuit aux olives et de l’odeur pointue de l’échalote. Somme toute, cette émanation n’avait rien de répugnant et de vil ; elle se mariait comme une chose attendue à l’odeur formidable du paysage ; elle était la note pure, complétant par le cri de chaleur de la bête humaine, la mélodie odorante des bestiaux et des bois.

Mais laissons cela ; aussi bien, je ne veux pas m’occuper des goussets négligés, de l’humanité bestiale, populacière et campagnarde, sans souci d’ablutions et sans moyens de repos, je veux simplement parler de l’exquis et divin fumet préparé par les femmes de nos villes, où qu’elles se trouvent et chauffent, dans un bal, l’hiver, ou dans une rue, l’été.

Moins tamisé par la batiste ou par la toile qui le raffinent en le vaporisant comme fait d’ailleurs le mouchoir de l’essence qu’on y verse, le parfum des bras féminins est moins clarifié, moins délicat et moins pur dans la robe ouverte du bal. Là, l’arome du valérianate d’ammoniaque et de l’urine s’accentue brutalement parfois et souvent même un léger fleur d’acide prussique, une faible bouffée de pêche talée et par trop mûre passe dans le soupir des extraits de fleurs et des poudres.

Mais, c’est au moment où la Parisienne est la plus charmante, au moment où sous un soleil de plomb, par un de ces temps où l’orage menaçant suffoque, elle chemine, abritée sous l’ombrelle, suant ainsi qu’une gargoulette, l’oeil meurtri par le chaud, le teint moite, la mine alanguie et vannée, que sa senteur s’échappe, rectifiée par le filtre des linges, tout à la fois délicieusement hardie et timidement fine !

Jamais femmes ne furent plus désirables qu’à ces instants où les robes d’oxford les moulent de pied en cap, collantes comme les chemises mouillées qui les emprisonnent dessous. L’appel du baume de leurs bras est moins insolent, moins cynique que dans le bal où elles sont plus nues, mais il décage plus aisément la bête chez l’homme.

Diverse comme la couleur des cheveux, ondoyante comme les boucles qui la recèlent, l’odeur du gousset pourrait se diviser à l’infini ; nul arome n’a plus de nuances, c’est une gamme parcourant tout le clavier de l’odorat, touchant aux entêtantes senteurs du seringat et du sureau, rappelant parfois le doux parfum des doigts qu’on frotte après y avoir tenu et fumé une cigarette.

Audacieux et parfois lassant chez la brune et chez la noire, aigu et féroce chez la rousse, le gousset est flottant et capiteux ainsi que certains vins sucrés chez la blonde, et l’on pourrait presque dire qu’il est en complète accordance avec la façon qu’ont les lèvres de distribuer le baiser, plus appuyée et plus colère chez les brunes, plus fervente, plus personnelle peut-être chez les blondes.

Mais que la couleur des toisons poussées dans les dessous de bras soit foncée ou claire, que leur bouquet ondule comme une moustache, ou frise comme de minces copeaux d’acajou et de palissandre, il faut avouer que la nature est maternelle et prévoyante, car elle a distribué ces boîtes à épices pour saler et relever l’amoureux ragoût que l’habitude rend si indigeste et si fade même à ces résignés de la chair qui ont sciemment consenti à abdiquer, dans une commune alcôve, leur goût absolu de repos et de diète.