Art et littérature.

Michel Salomon

Paris : Plon-Nourrit et Cie, 1901.



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J.-K. HUYSMANS


PAGES CATHOLIQUES

L'aventure morale qui est le sujet d'En route avait fait des incrédules. Nombre de chrétiens dévots tenaient pour douteux l'amendement de l'auteur. Trop de pages en ce livre les offensaient, disaient-ils, par défaut de convenance et de bon ton religieux. D'autres, psychologues désintéressés, tout en définissant la conversion de M. Huysmans « la pacifcation d'une âme par le dégoût », se demandaient si « son tragique catholicisme » n'était pas « un moment de sa curiosité de sentir ». Ou bien ils trouvaient son mysticisme trop esthétique, et ils doutaient s'il lui était « entré aussi bien dans l'âme que dans l'oeil ». M. Zola n'a-t-il pas reconnu en ce compagnon de Médan l'un des hommes tes plus aptes à voir ? Le nouvel Augustin restait donc, pour beaucoup, un dilettante de pénitence ; des hommes de lettres l'appelaient malicieusement « chrétien de lettres », et de religieuses gens tenaient en interdit ses « confessons ». Bref, M. Huysmans avait besoin d'un garant.


Il vient d'en trouver un, très qualifié. L'un des prêtres les plus estimés de Paris, fin lettré par surcroit, a écrit, en tête de ses Pages catholiques, une élégante préface, qui est la déclaration d'un répondant.

Pages catholiques, c'est une sélection sévère, un recueil de morceaux choisis avec scrupule dans la Cathédrale et En route. Ou plutôt c'est la réunion de ces deux volumes, moins ce qui choquait les lecteurs pieux. « Ainsi, dans une forêt dense, on pratique certaine coupe qui permet de voir plus de ciel. » M. l'abbé Musnier ajoute que le romancier « s'est fait son propre bûcheron ». Trait peu commun, et combien méritoire... M. Mugnier ne se borne pas à ce certificat qui donnera au volume droit d'entrée en des bibliothèques timidement fermées. Il affirme l'amendement même de l'écrivain, et il prétend en montrer, à travers ses oeuvres antérieures, les progrès jalonnés.

A rebours avait marqué en lui un commencement de renouveau. Déjà il secouait son matérialisme, et ses aspirations d'artiste n'étaient pas étrangères à cet affranchissement. Dans Là-bas, le frisson du surnaturel l'a pris. Le démon est le singe de Dieu, a dit Tertullien. En étudiant le satanisme, en se laissant gagner par la croyance aux esprits, l'auteur a fait un second pas vers le christianisme. Bientôt il entrera dans ce temple autour duquel « il rôde constamment ». Ce sera l'aboutissement d'En route. De ce roman à celui dont des Esseintes est le héros, si dissemblables soient-ils, un lien non paradoxal se noue donc, à travers Là-bas. M. Mugnier définit bien Durtal : « Un des Esseintes convalescent que la grâce a touché. »


Elle l'a touché d'attouchements singuliers. « Les voies de Dieu, dit spirituellement le préfacier, sont parfois peu classiques. » Des entêtés de méthode estiment que les beautés du style gothique et celles du plain-chant ont eu trop de part à la conversion de Durtal. Admettons, avec l'indu!gent abbé, que tous les pénitents ne peuvent être « façomés sur le même modéle ».

Où le défaut de classicisme est évident et criant, c'est dans le style dont M. Huysmans a narré son retour d'enfant prodigue. Ce style, M. Mugnier n'a garde d'en absoudre les crudités, et notre opinion, à nous aussi, est que M. Huysmans eût dû, selon son expression, moins volontiers « touiller » sa boue. Mais il ne nous déptaît pas tout à fait de lire certains sentiments exprimés dans une langue qui n'a pas coutume de les formuler. Sans souhaiter de voir la littérature pieuse s'assaisonner à pareille sauce, on peut déplorer la fadeur coutumière des livres qui se débitent au quartier Saint-Sulpice. Ils gagneraient à mariner dans quelque saumure, pour emprunter encore à M. Huysmans une de ses images.


3 janvier 1900.