poinsot

Les Logis de Huysmans

M-C Poinsot et G-U Langé

Paris: La Maison Francaise

1919



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PRÉFACE


Pour avoir, dans les quelques pages d’un Aide-Mémoire, dressé scrupuleusement la liste des principaux événements de la vie d’Henry Beyle, le peintre Paul Signac eut l’honneur en 1914, d’être nommé membre du mystérieux Stendhal-Club. De même, pour un bref, mais très complet Itinéraire de Stendhal à Grenoble, M. Emile Zavie reçut, des mains de M. Paupe, une lettre lui conférant ce titre enviable. — Que n’existe-t-il un Huysmans-Club, pour y admettre, par acclamations, d’aussi fervents « huysmanistes » que M.-C. Poinsot et G.-U. Langé ?

Leur étude sur Les logis de J.-K. Huysmans est tout à la fois un Aide-Mémoire et un Itinéraire. Par le caractère documentaire autant que par la qualité de l’écriture, elle eût enchanté l’artiste qui a écrit dans son Quartier Notre Dame :

« Il faut pénétrer dans l’intérieur même de ces bâtisses pour les entendre enfin parler et pour y découvrir parfois les plus curieux vestiges quisubsistent d’un Paris mort... »


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Ayant pénétre dans l’intérieur des onze principaux logis de J.-K. Huysmans, M.-C. Poinsot et G.-U. Langé y ont décelé tout ce qu’ils contiennent de souvenirs ; ils ont étudié Huysmans dans ses rapports avec les endroits qui l’ont vu naître, grandir et s’éteindre; ils se sont plu à retrouver, dans leurs promenades, les traces visibles du passé; ils ont deviné que, pour Huysmans, chaque déménagement était « un nouveau tournant de vie à franchir » ; ils sont parvenus à si bien comprendre « cette âme transie par la quarantaine » qu’il leur arrive d’appeler l’auteur de La Cathédrale « notre Ami »; tout comme Mme Céleste Bavoil lorsqu’elle s’adresse à Durtal !

Pour ce seul mot, le Huysmans-Club, s’il se fonde un jour, devra offrir à M.-C. Poinsot et G.-U. Langé un banquet au menu duquel figureront le « pétulant » bouillon Carhaix (avec une pointe de céleri), le gigot à l’anglaise cher a Des Hermies, la marmelade d’oranges à la Durtal et, naturellement, le vieux Schiedam... Enfin, à l’issue de ce banquet, serait adopté le projet d’apposer une plaque commémorative sur la maison natale de J.-K. Huysmans, 11, Rue Suger. « la vieille maison avec son antique porte ronde à double vantail, teinte en vert et martelée d’énormes clous... »


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Quiconque a réussi, par d’ingénieuses évocations du passé, à conquérir certaine forme d’optimisme rétrospectif qui rend le présent supportable, reconnaîtra bien vite le véritable objet du travail de M.-C. Poinsot et G.-U. Langé. Le reconnaîtra quiconque ne peut entrer au café de la Régence sans saluer Denis Diderot : ou passer place des Vosges sans apercevoir le front d’Hugo ; ou traverser la rue Raynouard sans s’appuyer sur la canne de M. de Balzac; ou flàner boulevard du Temple sans rencontrer MM. de Goncourt se dirigeant chez Flaubert qui va leur lire Salammbô...

C’est pour des « visionnaires » de cette espèce et non pour d’autres que M.-C. Poinsot et G.-U. Langé ont écrit Les logis de J.-K. Huysmans.

Léon Deffoux.

3 Août 1919.



Les Logis de Huysmans


...Il est une infinie douceur dans la plupart des « intérieurs » qu’ont peints les Hollandais. Souvenez-vous en particulier de ceux d’un Peter de Hooghe. Ils respirent tout le calme du Nord propre et frileux. Le labeur s’y déroule comme en une liturgie. Leur cadre a pour beauté la présence des choses simples. La paix y plane et le drame en paraît exclu. Notre Chardin connut aussi ces grisailles exquises et reposantes, mais les maîtres naturalistes et panthéistiques des Pays-Bas ont mieux que tous autres révélé la poésie de la famille et du foyer. C’est peut-être parce que nul pays n’en offre davantage la réalité attendrissante, et, à côté de belles églises ne contient tant d’habitations bourgeoises si parfaites, si jolies, si pleines d’intimité !

Décomposez ce nom : Huysmans. C’est la forme ancienne, en néerlandais, du mot huisman qui signifie villageois... Huis : maison, man : homme. Huymans [sic] fut par excellence l’homme des coins intimes. Il s’apparente aux artistes qu’il aimait. Ces correspondances sont fréquentes. Tout l’éclatant romantisme chante dans ces syllabes : Victor Hugo. Le mot Voltaire semble un rire qui sonne. Les noms de Lamartine et de Verlaine sont d’une musicalité si mélancolique !...

Huysmans ne ment pas a cette curiosité philologique. Il porte son nom comme un blason a devise. Il fut un casanier, dévotieux a son « chez lui ». Ses ouvrages avaient le parfum du home orné, douillet. Sur les pages, dirait-on, flotte un reflet de lampe qui continue a dorer le texte. « Du chat, sa béte favorite, a dit Descaves, à propos de l’auteur des Croquis parisiens, il avait l’attachement à la maison, la quiétude frileuse ».

Ses logis, le grand naturaliste les a tous à peu près décrits, soit qu’il introduise son personnage favori dans sa propre demeure, dans le temps qu’il compose un roman, soit qu’il se portraiture lui-même sous les masques divers de ses héros. Et justement l’intérêt de son oeuvre est peut-être en ce qu’elle constitue surtout une longue biographie. Biographie d’un homme sans aventure, attachante cependant parce que c’est l’histoire d’une vie intérieure, étudiée soigneusement. Là encore, l’écrivain nous rappelle ces manieurs de pinceaux que nous évoquions tout à l’heure. Comme eux, il s’attache aux minuties de l’àme. De son âme qui lentement quitta les joies profanes pour les joies mystiques, sans cesser d’être aussi éperdûment esthéticienne.


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Nous savons donc à peu près exactement où habitèrent Huysmans-Folantin, Huysmans-Tybaille, Huysmans-Marle, Huysmans-Durtal. . . Exception faite pour En Route où l’on ne trouve jamais Durtal chez lui puisqu’il est toujours à l’église. Mais l’église est ici le second habitat du converti, qu’elle s’appelle Saint-Séverin ou Saint-Sulpice, préfigurant en somme la cellule d’igny.

Au reste, le puissant descripteur agit selon la formule naturaliste. Il aime à préciser où il est. La probité des Daudet, des Zola, le hante. Point de tableaux faits de chic. S’il parle de la cathédrale de Chartres, il va écrire à Chartres. Habitant proche du Quartier Latin, il part en tournée, note avec soin ce qu’il voit, puis l’exprime avec une originalité savoureuse. Méthode qu’on peut ne point appliquer ou aimer, qu’on ne peut pourtant déclarer anti-artistique et banalisante. D’autres ont recommencé, sans les répéter, les promenades de Huysmans. La plume, comme le pinceau, dans les mains d’un homme de tempérament, ne plagie, ne parodie. ne copie jamais. Chacun a son optique, ses tours de phrase, son vocabulaire. Fromentin et Loti font des pages admirables et différentes sur le même désert. La guerre en ses mois les plus monotones inspira des chefs-d’oeuvre sans autre fraternité entre eux que la souffrance et l’espoir.

Un jour, il nous arriva d’entendre un habitué des livres de Huysmans, remarquer après une visite aux quartiers de la Bièvre et de Saint-Séverin : « C’est commode, il met les numéros des maisons ! » Traduisons : « Mon plaisir de promeneur fut double et j’ai cru souvent voir déboucher d’un coin de rue la figure singulièrement grave, troublée, soucieuse — d’aucuns ont dit : quasi-satanique, — du noble émule des premiers pensionnes du Grenier Goncourt. »

Il met les numéros! Rien pourtant du catalogue. Relisez le dernier ouvrage ci-dessus nommé. Quelle verdeur de langue ! Quel riche vocabulaire ! Quel pittoresque d’expressions ! On n’a rien fait de mieux dans le genre. Voilà comme nous souhaiterions qu’écrivissent les archéologues. Du style pour sauver le document de la sécheresse ! Hors de la, on obtient de gros ouvrages illisibles, pénibles, — travail de rat de bibliothèque depourvu de grâce et force.

Bref. Huysmans est un intimiste étonnant et délicieux. Son charme, sa puissance sont là. Il accorde le décor — intérieur ou paysage — à son état d’àme. Ses logis sont des états d’âme, dirons-nous donc, en nous rappelant certain aphorisme d’Amiel.

Il nous a semblé vme tâche agréable de composer cet index des logis du Maître, mais en les dépeignant comme il l’eût fait, — avec un effort d’art... Des logis parisiens surtout, les plus importants d’ailleurs ; sans nous interdire toutefois une pointe vers la province, de temps en temps, par exemple pour aller rêver sur les bords du Clain que nous fit connaître aussi Rachilde dans son Meneur de Louves et qu’immortalisa un Hégésippe Moreau, du nom d’Ernest Chebroux.


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En son introduction aux Pages Choisies, Lucien Descaves écrit que Huysmans demeura toujours fidèle à la Rive gauche. Il avait raison, le Maître, d’aimer notre bonne Rive gauche dont Coppée disait qu’elle est du côté du coeur. Nous, qui en restons également d’amoureux habitants, ressentons particulièrement cette atmosphère adorable et studieuse qui au fond se restreint au vieux Quartier Latin légèrement débordé. Au-delà du boulevard Raspail, en effet, et de la place d’Italie, ce n’est plus guère cette chère Rive gauche que borne en somme la série des boulevards joints en arc du Jardin des Plantes aux Invalides en touchant la gare Montparnasse. Là vécurent et rêvèrent des multitudes d’écrivains dont plusieurs passaient diflicilcment les ponts.

Huysmans ne hantait point, lui non plus, la Rive droite. On se rend compte aisément de ses raisons. En faisant Titinéraire de ses logis, nous les comprenons de mieux en mieux, tant il nous arrive souvent d’apercevoir se profiler, au bout d’une rue, les clochers des oratoires aimés du grand converti. Tantôt, c’est la poivrière de Saint-Germain-des-Prés, tantôt les « deux grosses clarinettes » — selon l’expression d’Hugo — de Saint-Sulpice. Tous ces quartiers sont encore charmants dans leur vétusté pourtant bien dévastée par les percées sans respect qui sabrèrent leurs merveilleux fouillis, bien déshonorée par les méfaits dc> architectes modernes inliabiles à modeler la pierre à l’instar des vieux bâtisseurs de villes.

Des coins adorables subsistent encore néanmoins sur la Rive gauche où flâna notre Ami. Et sans aller jusqu’aux Gobelins dont il fit d’immortelles eaux-fortes, ou jusqu’aux campagnes valgirardaises tout récemment envahies de plâtre sculpté, que de coins aimables aux régions qui lui furent familières : la rue du Dragon où l’immense poète des Contemplations eut sa mansarde, les rues des Canettes et des Ciseaux si vieillottement sulpiciennes, les pâtés de maisons de la rue de Sèvres où se trouve compris le classique no. 11, et, entre les rues de Vaugirard et de Saint-Sulpice, « l’ecclésiastique rue Garancière », charmant sentier de ligne ophidienne où l’on eut tort de replacer de façon trop géométrique la simple et jolie fontaine Palatine.

Des coins adorables subsistent encore... .Mais déjà l’âme des temps nouveaux les habite. On s’est habitué aux démolitions. Le nombre diminue de jour en jour de ceux qui aiment vraiment Paris, qui veulent ou peuvent le défendre contre iinvasion des nouveautés hygieniquement enlaidissantes. Il y avait moyen de ménager la santé publique et le pittoresque de la ville. On n’a point voulu d’adaptation. L’indifférence des édiles jointe à la rapacité des constructeurs et loueurs d’immeubles, a préfère jeter bas des splendeurs qui ne les rentaient point. Des générations se lèvent avec des yeux neufs et sans souvenirs. Une beauté nouvelle certainement jaillira de ce saccage. Mais nous ne la verrons pas pour nous consoler de ce que nous perdons. Huysmans concevait déjà une grande amertume de ce malaise éprouvé par les vrais Parisiens.


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Comment n’aurait-il pas adulé les ruelles adorables de la Rive gauche ? Il est né dans l’une d’elles.

La maison natale du maître — porche bas et cour humide, écrit Foiret dans son essai sur les domiciles de Huysmans — portait en effet le no. 11 (devenu no. 9) de la rue Suger, Nous y souhaiterions une plaque. Elle a deux étages et possédait autrefois une vieille porte ronde à double vantail vert, peinte et martelée de gros clous. D’autres portes à clous ornent la rue, et précisément le Il actuel. Celle du 9 a disparu; c’est dommage; rien ne garde un aspect moyen-âgeux amusant à ce coin du vieux territoire de Laas, comme ces huis cloutés dont plusieurs heureusement sont pieusement conservés.

Comme on pourrait se tromper quant au numéro exact du logis où Huysmans vit le jour, il nous faut dire comment ce 11 est devenu 9, et, puisqu’aussi bien nous parlons d’une très cocasse vieille rue du Qiiartier, d’en conter en passant l’histoire.

Au XIIIe siècle, la rue Suger (ouverte avec ses voisines en 1179 sur le lieudit de Laas, clos de vignes qui s’étendait le long de la Seine) portait le nom de rue des Sachettes. (Les Sachettes étaient des religieuses vêtues par humilité de robes en forme de sacs, d’où leur désignation populaire). Au siècle suivant, elle devint rue des Deux-Portes, parce que deux portes la fermaient aux extrémités, mais ce nom ne lui resta que quelques ans. Dès 1356, à cause du voisinage du cimetière de Saint-André-des-Arcs, elle prit celui de ce charnier. En 1844, elle devient enfin rue Suger. Suger l’habita-t-il donc ? Nous ne le croyons pas en dépit de tous les dictionnaires des rues du Vieux-Paris. Sans doute, les abbés de Saint-Denis possédaient à peu de distance, rue des Grands-Augustins, un hôtel; mais Suger n’y logea point pour la bonne raison que c’est le délicieux poète du xii^ siècle, Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, qui le fit construire un siècle et demi après que fut mort le ministre-historiographe de Louis-le-Gros.

En 1848, quand naquit Huysmans, la rue Suger avait quatre ans tout juste de baptême et portait encore les numéros de l’ancienne rue du Cimetière Saint-André. L’immeuble était dans la censive de Saint-Germain-des-Prés, Chose curieuse : de cette censive aussi faisait partie la rue Saint-Placide, où mourut l’écrivain... Notons encore que le 11 de la rue Suger serait une ancienne maison capitulaire de l’église Saint-André. Diverses coïncidences régissent ainsi la vie du Maître. Elles ne furent peut-être pas sans influence sur lui...


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Voici les années d’enfance. Joris-Karl fréquente la pension Hortus, le lycée Saint-Louis, I’école de Droit.

Seule nous retiendra la pension. Huysmans y manifeste ses velléités d’indépendance. Il la maudit et n’en veut entendre parler, moins pour elle reconnaissant que le bon Coppée qui passa, lui aussi, chez Hortus. Cette institution, sise au 94 de la rue du Bac, en un immeuble datant de quelque cent cinquante ans, n’a de curieux que sa porte massive. Au fond de la cour on aperçoit pots de fleurs et plantes grimpanles au long d’un second corps de bâtiment auquel on accède par un petit perron. Cela suinte l’ennui, la monotonie des classes... Pauvres scolarités honnies en gênerai de tous les esprits originaux qui se sentent des ailes et craignent les ciseaux ! Pauvres magisters si malhabiles en général à deviner les essors prochains !

Rue Saint-Sulpice, au 38, autre logis d’enfance. Là le père passe de vie au trépas. C’est un banal immeuble de nos jours, pas même rendu pittoresque par la crasse de ses murs noircis, dirait-on, aux fumées usinières, et morne à l’égal des statues sulpicardes moulées à la grosse en ces parages bondieusards. Ce fut un presbytère autrefois. Toujours les coïncidences ; elle fait face à l’ancienne entrée septentrionale de Saint-Sulpice; elle est à l’ombre des tours fameuses dont la silhouette apparaîtra dans des romans futurs : En Rade, Là-Bas. Ombre portée jusque sur l’àme, certes! de celui que la foi un jour incendiera.

Toutes ces rues et ruelles sulpiciennes, — celles-ci savoureusement décrites par Aubault de la Haulte-Chambre (1) — ont d’ailleurs une curieuse atmosphère catholique à odeur de renfermé. Cela sent le curé de campagne. Aussi bien nombre de nos braves abbés provinciaux de passage à Paris viennent loger dans les hôtels du Quartier. Maintes soutanes errent aux alentours de l’église servandonienne. Ces bonnes gens viennent aclieter chez les Bouasse de la région les affreuses effigies de saint Antoine, de l’Immaculée, de la Vierge de Domrémy, du Sacré-Coeur, qui déshonorent les églises si souvent jolies de nos villages et villes de France. Ils font de singuliers commerces de messes pour s’acquitter. Ils versent aux poches des fabricants le saintes pâtes de guimauve les libéralités châtelaines de leur patelin. Huysmans, on le sait, enrageait de tout cela, de ces trafics, de cette statuaire qui marquent la décadence de l’art magnifique d’où jaillirent les cathédrales. Cet homme en acceptant la foi gardait jalousement le culte de la beauté. Et la beauté catholique n’est plus que dans la vie intérieure que cultiva ce héros du mysticisme aimé des prêtres élevés, des nobles croyants, et si incompris du pauvre troupeau qui n’a retenu du sublime Evangile que les balbutiements de lèvres et les gestes caducs...


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Le 114 de la rue de Vaugirard est le premier logis de Huysmans homme de lettres, et se trouve sur la route de Là-Bas, — car gît là-bas, en effet, au fin fond de Vaugirard, rue Olivier de Serres, le logis mystérieux où Durtal assistait à la terrible Messe Noire. Le 114 de la rue de Vaugirard est un coin bien connu du monde artiste. Les chevaliers de la palette et de l’ébauchoir ont habité, liabitent et habiteront ses maisonnettes à ateliers de fortune. Cranek, le sculpteur, y mourut en 1908. Vers ce temps, nous y connûmes le pâle et beau )osé de Charmoy. tête hugolienne, génie certain, talent moins sûr, et qui aurait succombé sous le sot encensoir d’amis maladroits s’il n’avait été terrassé par la phtisie. Huysmans apportait là un estomac rébarbatif, hostile à l’enthousiasme des printemps littéraires. Cadre peu artistique d’ailleurs. L’immeuble est im banal deux-étages, dans le genre caserne clier au Second Empire. Toutefois l’aspect de la cour reste obligeant parce que provincial avec ses jardinets qui, bien que souffreteux, séduisaient toujours Huysmans comme il séduit la plupart des intellectuels anti-bourgeois. Dans ce morceau de faubourg il écrivit le Drageoir à Épices, un de ses tout premiers ouvrages.

Nous aurons achevé le premier cycle des habitats de notre homme en redescendant vers la rue du Cherche-Midi. Au 73 : une maison encore très simple à quatre superpositions de logements, avec porte d’entrée à fronton adorné de consoles contournant un vague blason.- Atmosphère conventuelle. A l’angle de la rue de Bagneux, non loin, comme à l’angle des rues de Sèvres et Saint-Placide, une vierge. Celle-ci jouit des belles formes dont les artistes enveloppent les madones au XVIIe siècle. Ce 73 vit aussi le Ludo de Marthe. « ...Ce fut au troisième étage de ce logis qu’ils choisirent une chambre tapissée de papier à fleurs, éraillé par endroits, laissant couler par d’autres une pluie fine de plâtre. »


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Notre liste de logis huysmanesques à Paris comprend onze maisons ou lieux, mais en réalité, dans la vie de notre héros, il y a, telle une trilogie symbolique, trois demeures... Rue Suger où il naît. Rue de Sevres, où, selon son propre témoignage, il fui en partie élevé, et où il haibita le plus longtemps. Rue Saint-Placide lui il meurt...

La demeure de la rue de Sevrés synthétise en quelque sorte, dans sa pittoresque physionomie, toutes les autres demeures qu’illustra l’écrivain... C’est là que se trouvait, au rez-de-chaussée, dans la cour, l’atelier où travaillaient Céline et Désirée : les Soeurs Vatard... Sur la porte on lit toujours : Relieur-brocheur... Dans un recueil, De Tout, Huysmans parle de tout cela non sans une certaine émotion, et moins à cause de l’atelier de brochure qu’il exploitait avec un associé, qu’à cause surtôut de ses souvenirs d’enfance, et de l’ancien Cloitre de Prémontrés devenu, — quelle belle destinée ! — son propre home !...

Au 11 de la rue de Sevres habitait aussi un architecte de Saint-Augustin, voisinage imprévu pour Huysmans qui comparait un jour les églises de ce genre à des sofas ! Foiret, dans ses Domiciles, précise que Huysmans habita d’abord, dès son enfance, avec sa famille, le bâtiment des Prémontrés, lequel se dresse à droite dans la cour, et, ensuite, jusqu’en 1900, le bâtiment moderne, au fond, à gauche, dans la cour, l’appartement muni d’un petit balcon.

Vu de la rue des Saints-Pères, l’ancien monastère apparaît comme une maison villageoise un peu gênée parmi le brouhaha moderne. Il garde encore la jolie porte d’entrée du XVIIe délicatement sculptée; et si l’on avance, on reconnaît bientôt les fenêtres monastiques à leur belle coupe.

C’est certainement rue de Sèvres que le Maitre écrivit la meilleure partie de son oeuvre. Gustave Coquiot, dans Le Vrai J.-K. Huysmans, a donné d’exactes descriptions du 11, notamment sur l’agencement de la « cellule » après les livres de la conversion. On y retrouve, mêlés à la profusion des reliques, les souvenirs de Là-Bas avec le Mathaeus Grünewald, et d’A Rebours, avec « l’appartement tout tendu de rouge », — répétition évidente des fantaisies de Jean des Esseintes à Fontenay-aux-Roses « faisant tapisser de rouge vif le boudoir pour y accrocher dans des bordures débène des estampes de Jan Luyken »...

C’est rue de Sèvres également qu’eut lieu la fameuse séance de spiritisme dont Gustave Boucher a fait un si curieux récit. Le guéridon évocatoire est actuellement chez Jean de Gourmont dont un échotier a dit qu’il traitait ce « guéridon convertisseur » — et c’est une anodine plaisanterie — « un peu comme un meuble ordinaire... ». C’est rue de Sèvres que l’on aperçoit la silhouette du Chat Barre-de-Rouille célébré dans Là-Bas. Huysmans a aimé cette bête fière et tranquille, comme Baudelaire, comme Rémy de Gourmont...

C’est rue de Sévres qu’habita Mme Thibault... Elle y vint, après la mort de l’abbé Boullan, pour tenir le ménage de l’écrivain qui l’appelait familièrement « maman Thibault ». C’était une bonne peu ordinaire, quasi aussi servante que « Madame Bavoil » qui en est, comme on sait, le portrait vivant. Elle a, dans l’oeuvre du grand littérateur, une autre presse que la terrible Mme Mesurât !...

Joanny Bricaud, en sa précieuse plaquette Huysmans occultiste et magicien relate : « Une fois installée rue de Sèvres, elle avait organise, dans sa chambre, une petite chapelle où, chaque matin et chaque soir, revêtue des insignes de son sacerdoce féminin, en robe blanche, en manteau vert, elle célébrait, à l’autel de la Vierge Marie, le Sacrifice Provictimal...»


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Du 11 de la rue de Sèvres, Huysmans partit pour Ligugé, en 1899. Il allait y habiter cette Maison Notre-Dame, — le culte d’hyperdulie fut toujours très grand chez lui, — près du monastère bénédictin . Alors il devient Tertiaire de Saint-Benoît. La Maison Notre-Dame fut édifiée à la suite de cette idée commune à l’écrivain et à quelques-uns de ses amis, de créer une manière de petite abbaye d’artistes où, tous, en communauté, vivraient et prieraient dans une ambiance mystico-esthétique. On retrouve cette chimère aimable développée dans l’Oblat. M. et Mme Léon Leclaire, les amis et compagnons de Schiedam et de Ligugé, à qui est dédiée l’hagiographie de Sainte-Lydwine, offrirent les fonds pour la construction. Mais Huysmans voulut y participer pour une moitié. Un architecte qui, antérieurement, déjà dessina divers bâtiments conventuels, traça les épures. Puis vint la dédicace à Notre-Dame. Huysmans comptait beaucoup aller vivre la en compagnie de l’abbé Gabriel Ferret et de Charles-Marie Dulac dont les noms se retrouvent dans la Cathédrale, ceux du premier placés en dédicace, ceux du second, louanges aux dernières pages. Mais la mort ne permit poijit ce doux souhait...

Une reproduction photographique de la Maison Notre-Dame a été donnée, en 1908, dans la Revue hebdomadaire, pour illustrer le J.-K. Huysmans intime d’Henry Céard et Jean de Caldain. On peut voir que ce logis est admirablement situé et merveilleusement agencé pour la vie qu’on y voulait. Cela tient du roi-qan par le péristyle à lourdes colonnes, du gothique par de grands pignons, de la renaissance par la coupe des fenêtres et par les cheminées ; mais l’ensemble est cependant sobre, sans décoration tapageuse, et du meilleur goût. Huysmans vint là deux années et habita au premier étage. Il y composa l’Oblat, et c’est durant ce séjour qu’il fit le voyage de Schiedam. Il acheva, à Ligugé, son hagiographie de la sainte hollandaise, et corrigea les épreuves de De Tout...

En 1901, il était de retour à Paris, mais on a noté qu’il y revint très abattu. Son tempérament lui voulait ces affaissements terribles. François Coppée, à ce moment, lui proposa un appartement dans la propre et célèbre maison qu’il illustrait, 12, rue Oudinot. Malheureusement on se heurta — rien de moins rare — à un propriétaire grippe-sous qui, dès qu’il eut vent qu’il s’agissait d’avoir pour locataire un homme de renom, augmenta démesurément le prix du loyer. Logis bien connu, bien charmant, d’ailleurs idoine à abriter le poète délicieux du Reliquaire et de la Bonne Souffrance, comme à abriter le romancier original d’A Rebours et d’En Route ; Sur la rue. certes, une simple façade à double étages. Mais si l’on franchit le porche, en découvre une cour intérieure, très province. avec ses jardinets minuscules, son deuxième corps de bâtiment recouvert de tuiles patinées. Sans doute, le rapace immeublier eut tort de ne pas accepter, même au prix d’un léger sacrifice, un locataire comme Huysmans — à coup sûr de tout repos !

Voyant ces choses, la Mère Abbesse des Béfiédictines du Monastère de Saint-Louis-du-Temple, rue Monsieur, proposa un appartement dans son annexe. La, écrit Descaves, « il n’avait qu’à descendre un escalier pour assister aux offices ». Le pieux laïque prenait ses repas dans le réfectoire des hôtes des Bénédictines... Il resta là un an et y corrigea les épreuves de l’Oblat.

Puis il déménage... à la suite d’un feu de cheminée, a-t-on dit par simplification. Nous tenons d’un de ses secrétaires (et ceci s’accorde bien avec le caractère mystico-nerveux de notre homme) que ce fut plus compliqué, et, au vrai assez extraordinaire. Feu de cheminée, oui, mais aussi grande peur à la suite d’un violent orage et grand ennui k la suite d’une inondation causée par la rupture d"un tuyau de water-closet. Il n’en fallait pas plus, et l’on avouera que c’était assez, pour que le dyspepsique écrivain souvent fasciné par l’Au-Delà crût à une action de celui-ci. Il affirma bel et bien que des larves hantaient son domicile, et qu’il leur devait ce triple effort à le harceler, du Feu, de la Foudre et de l’Eau, car en effet il manque d’être incendié, d’être foudroyé quand tomba le tonnerre non loin, et d’être noyé quand eut lieu le troisième accident.

Il regretta un peu néanmoins la rue Monsieur, point bruyante, et qui vous a, soeur cadette de la rue Garancière, une odeur bien ecclésiastique. Elle garde, malgré ses pierres nouvelles, les airs un peu dédaigneux du temps de Monsieur... Mais Huysmans devient de plus en plus triste... Il écrit à Mme Myriam Harry, en novembre 1901 : « ... Je suis à Paris, non installé encore, dans la tristesse d’un logis claustral qui me semble d’autant plus mélancolique qu’a Ligugé j’étais en plein soleil et en pleine verdure..». Pourquoi quand il s’agit de la rue Monsieur, certains, à propos de Huysmans, parlent-ils du no, 19, d’autres du no. 20 ? Foiret mentionne la situation exacte : « ...Chez les Bénédictines du Saint-Sacrement, dit-il, hors la clôture d’un des derniers couvents qui subsistent aujourd’hui sur la rive gauche... »


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Le maître abandonne donc la rue Monsieur pour la rue de Babylone (no. 60 . Ici un domicile fort bourgeois, — et un 4e étage. Il y restera du mois d’octobre 1902 au mois d"avril 1904. Dèjà longtemps auparavant, le duc Jean des Esseintes y passa, un jour, à la suite d’une étrange aventure. Il s’y plaisait. Beaucoup de ses amis parlent encore aujourd’hui de ce coin où Mme Myriam Harry fit connaissance avec l’auteur de la Cathédrale. Cette noble romancière a donné, dans la Revue de Paris, d’admirables impressions, sur ses visites d’alors « dans la lanterne de la rue de Babylone » (expression de Huysmans) et a la rue Saint-Placide. Et ces pages : En mémoire de J.-K. Huysmans, d’une beauté, d’une douceur presque tragiques, peuvent soutenir le parallèle avec celles de Pierre Loti, sublimes et pas assez connues, écrites sur la mort de l’Amiral Courbet...

Qu’il fait bon relire cette première entrevue, rue de Babylone : « Dans l’escalier suintant d’une vieille maison où des odeurs de sacristie se melaient aux effluves des latrines installées à mi-étage, mon coeur battait... ». Il faut dire que Huysmans ignorait le sexe de la personne qui venait. II lui avait écrit comme à un confrère masculin... « ...J’hésitai, un moment, sur le quatrième palier carrelé, avant de tirer le pied de biche qui pendait mélancoliquement le long du vantail unique... ». Une femme ouvre... Est-ce Maman Thibault ? Et Huysmans apparaît, accueillant... Croquis de l’intérieur : « ...une pièce confortable et claire, rétrécie par les hautes murailles de livres. Quelques meubles gothiques; une table en vieux noyer, dont le plateau reposait sur quatre têtes d’anges sculptées à même le bois, et, sur la cheminée, entre deux vases de Delft débordés par des bouquets de buis, une primitive statue de Saint-Sébastien au visage douloureux...»

Vers cette époque, l’Académie Concourt gagnait son procès, obtenait la validation des testaments d’Edmond de Goncourt. Huysmans fut choisi comme premier Président de l’Association, et c’est au 60 de la rue de Babylone qu’eurent lieu les premières réunions des Dix.

Maigre tout, le maitre se lassa de sa « lanterne... » Il cherchait encore un local... A quelqu’un qui lui demandait ce qu’il ferait si les Bénédictines venaient à disparaître, il répondit ’en 1902, qu’il demeurerait bien tranquille au logis occupé à leur porte... Il est las de déménager... Mais il va lui arriver, plus tard, de se iilaindre du bavardage féminin, des pianos. Il est de fait, aussi, qu’il était installé dans un endroit des plus vivants, donc des plus remuants et bruyants, non loin de la vieille caserne du XVIIe où logèrent les Gardes Françaises... Et le voisinage de l’aristocratique rue Barbct-de-Jouy n’empêchait point les potinières de cette partie de la rue de Babylone, — rue pourtant sacrée, puisque, à mi-chemin, entre la rue Vaneau et la rue du Bac, on passe devant l’ancien lavoir de sainte Jeanne de Chantl...


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Le dernier logis de Huysmans fut au 31 de la rue Saint-Placide, dont Tarchitecture est de la plus parfaite médiocrité... Il y occupait l’apparment avec balcon au 5e étage, à droite, sur la rue. De cette rue, divisée en deux parties, une seule témoigne de quelque intérêt, comprise entre la rue de Sèvres et la rue du Cherche-Midi... La rue Saint-Placide a conservé des maisons obsolètes, achalandées, toutes mignonnes et serrées, veillées à l’angle de la rue de Sèvres par une adorable Vierge nichée... L’une de ces demeures vit naître Hégésippe Moreau, — ce poète qui attendrit tout de même, dans En Rade, Jacques Marie en promenade sur les bords de la Voulzie... Elle porte le nom du poète, en enseigne, et d’une orthographe terriblement écorchée... Autre coïncidence : Huysmans, oblat de Saint-Benoit, a son dernier domicile dans la rue qui porte le nom de saint Placide, moine bénédictin, fidèle ami de saint Maur au Mont-Cassin. Du haut de ses fenêtres, Huysmans pouvait aperce\oir les tours de Saint-Sulpice, et encore le clocher de l’ancienne abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et, aussi, un cloître... Banale maison !... Elle a pourtant contenu les heures les plus émouvantes de la vie du Maître... Elle fut le reliquaire de ses dernières pensées... Elle l’a regardé mourir... Elle a vu cette scène touchante, et qui arrache les larmes quand on en lit le récit par Myriam Harry qui en fut le témoin : « Quelquefois nous parlions de l’amour. Et je connus ainsi les tristesses passées de Huysmans et sa présente tendresse inassouvie.

« Un soir, — c’était rue Saint-Placide — nous nous oubliâmes à causer. L’ombre flottait déjà dans la pièce. « Mme Bavoil » ne vint pas avec sa lampe.

« Nous nous étions tus. fe voyais luire les guillochures d’or des livres, Témail des vases de Delft, et soudain, sur les joues cireuses de mon maître, deux lourdes larmes qui descendaient lentement.

« Je me levai, bouleversée. Alors la tête lasse s’abattit sur la table angélique, et, dans le silence crépusculaire, Huysmans sanglota... »,

C’est rue Saint-Placide que Huysmans mit péniblement, la dernière main aux Foules de Lourdes. Sa santé devenait mauvaise. On lui conseilla la campagne. Il avait une idée fixe. II voulait un jardin de curé avec une allée. Il fit un voyage à Clamart, avec Jean de Caldain. On trouva une habitation, mais le loyer en était trop onéreux. On alla, une autre fois, à Issy-les-Moulineaux, et par un miraculeux hasard, Huysmans put sous-louer, à un abbé qui s’absentait, maison et jardin. Il resta dans cette banlieue six semaines... Après, hélas, ce devait être la maison de santé de la rue Blomet, puis le retour a la rue Saint-Placide ... Et puis la catastrophe, le 12 Mai 1907. Les funérailles furent célébrées à Notre-Dame-des-Champs, le mercredi is. Le pauvre grand homme allait au pas très lent du corbillard vers la dernière et ténébreuse demeure.


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Nous ne prétendons pas donner plus qu’une sorte de géographie des principaux locaux habités par Huysmans. II y en a évidemment d’autres que ceux qu’on a cités ici, des secondaires... Le Maître par exemple habita Evreux, du temps de Sac an Dos, dans un ancien cloître où il composa d’étranges vers pleins d’une mysticité un peu puérile... Il séjourna à Saint-Wandrille, au moment d’En Route, a Solesmes (durant la rédaction de la Cathédrale) où l’on conserve, rapporte Dom J.-M. Besse, aux archives du trésor, un petit cahier vert manuscrit sur les Gemmes.

Mais ce sont là lieux de séjour. Tout au plus pouvons-nous mentionner encore la rue de la Martinière à Lyon, où l’on trouve notre auteur chez l’abbé Boullan.

En certaines lettres publiées par André du Fresnois, dans une plaquette devenue aujourd’hui introuvable parce que les héritiers ont fait interdiction formelle de la mettre en vente, Huysmans parle de cet habitacle lyonnais : une superbe chambre du XVIIe (voir : Une Etape de la Conversion de Huysmans, chez Dorbon). Nous l’avons dit, les logis de Huysmans se confondent avec les logis de Durtal, de même que les coins aimés de l’écrivain sont toujours cadres précis où se meuvent ses personnages. Ainsi les Gobelins, aux alentours de la Bièvre, nous sont chers d’avoir vu Huysmans rêver, dans ces ruelles fantastiques, délices encore, quoique s’en allant en lambeaux, des artistes d’aujourd’hui.

C’est peut-être en cet extraordinaire Saint-Séverin et la Bièvre que se révèlent le mieux les dons descriptifs de l’admirable écri\ain. Là vraiment il détient le record du style pittoresque, habile à dire les lèpres de la pierre, les fanges des cours, les puanteurs des eaux sales, la détresse des habitats miséreux, les silhouettes fantastiques dressées au bord d’une rivière à tanneurs — et aussi tout ce que peut contenir une église de beauté mystique enclose entre ses murs. Sa plume est d’une saveur inouïe. Elle se fait pinceau, burin, ébauchoir. Elle sculpte, et crayonne, et enlumine. Elle a des vulgarités certes, et des négligences, des audaces, des caprices qui éloignent de la ligne classique l’homme qui la tint, et le met du côté des impressionnistes, à côté des Goncourt, et, plus près de nous. d’un Tailhade : mais cette richesse, cette verve, ces trouvailles font un indiscutable apport à la littérature française.


D’autre part, napparait-elle pas étrange, cette fameuse tour nord de Saint-Sulpice où le sonneur Carhaix meurt à la suite d’un refroidissement, « après qu’il eut sonné l’angelus du soir » et où se déroulèrent les curieux dîners de Là-Bas ?

S’il faut en croire M. Aubault de la Haulte Chambre, qui approcha souvent le Maître et lui servit même un moment de secrétaire, il y a beaucoup de romance dans ces histoires sulpiciennes... Huysmans lui avoua, nous dit-il, n’avoir qu’une fois ou deux grimpé l’escalier du sonneur qui d’ailleurs le reçut assez mal, ne le connaissant pas, le confondant avec le troupeau de curieux qui le venaient déranger, voire le détestant, paraît-il, quand il se sut, plus tard, un héros de bouquin.

Romancées aussi, les fameuses messes noires... Quelqu’un nous affirme que leur description dans Là-Bas est inexacte. Il n’importe. La littérature huysmanesque ne gagne ni ne perd à un sacrilège de plus ou de moins, mais, pour nous, jeunes gens qui entreprenions des promenades passionnées à la suite de ces lectures troublantes, comme nous cherchions avec des frissonnements cette maison de la rue Olivier de Serres où s’accomplissaient les rites démoniaques ! Nous avons bien cru l’avoir trouvée, et nous la revoyons encore derrière ses murs valgirardais... Encore une illusion qui s’en va !...


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On pourrait établir une sorte de Chemin de Huysmans, avec des croquis des paysages qu’il traverse et des types qu’il crayonne... Là où il passe il laisse un charme, une impression qui s’ancre, — bonne ou mauvaise, peu importe. — mais qui se fixe dans l’esprit de ceux qui suivent, comme Dante, la trace de « pieds chéris ». Nous avons l’exquise souvenance d’un matin, devant le Portail Royal de Chartres... De gros nuages dévalaient sur la plaine, s’amoncelaient sur la ville, tourbillonnaient, chargés parles vents qui, habituellement, soufflent sur la plaine beauceronne... Et ceci est le début de la Cathédrale... Un visiteur, — anglais, — son exemplaire de la Cathédrale en mains, allait et venait devant les statues, les observait avec mysticité, de profil, de face, de trois-quart, et, méticuleusement. se reportait au texte... Ayant alors remarqué que nous éprouvions une hésitation dans notre lecture, il s’approcha, offrit des renseignements... Cela était très beau... Et nous songions à quelque John Ruskin venu des bords de la Tamise pour écrire ses Sources de l’Eure...

Après Notre-Dame-des-Champs, cette banale église qui n’aurait jamais dû connaître l’honneur des funérailles d’un Huysmans, nous avons voulu voir le dernier logis, — celui de tous ! — où dans sa robe d’oblat, repose le Maître. C’était par une journée novembrienne, embrumée, mélancolique infiniment. Au hasard de notre marche, d’autres grands visages apparaissaient, l’étrange Baudelaire de José de Charmoy, un peu théâtral, malgré que l’artiste ait voulu la simplicité, — ou Sainte-Beuve, front immense... Le gardien qui nous indiquait l’emplacement de la tombe, nous dit ; « On devait lui élever un monument... Et puis la guerre est venue... »... Voici, dans la 2e division, la simple tombe. Une pierre au bout de laquelle s’érige une petite stèle surmontée d’une modeste croix, le tout avec l’entourage classique... Sur la pierre et sur la stèle on peut lire les noms des diflférents membres de la famille... On songe, devant cette simplicité, au tombeau de Gustave Flaubert. — une stèle d’enfant, — au Cimetière Monumental, à Rouen.

Un bouquet de violettes achevait de se faner et d’autres lleurs pourrissaient sur des couronnes en faïence coloriée. Cette tristesse évocatrice est à la lisière d’un boqueteau de petits sapins, arbres familiers des nécropoles et dont le tronc aime à s’enlacer de la caresse du lierre immortel... En se plaçant derrière la grande stèle du libraire Pierre-Théophile Barrois, à droite on a le profil doré d’Hégésippe Moreau, vraie silhouette dix-huitième, et, à gauche, la tombe de notre héros (car il le fut aux jours douloureux d’agonie). Ceci, à titre de point de repère pour les pèlerins huysmanciens... La stèle s’exprime ainsi :


Charles Marie Georges

- HUYSMANS -

Né à Paris

- le 5 Février 1848 -

Décédé à Paris

le 12 Mai 1907

De Profundis


Il est attendrissant et curieux de lire parmi les noms qui figurent sur la pierre tombale :


Marie Agathe Flore BAVOIL


On veut, paraît-il, rendre hommage à J.-K. Huysmans dans le lieu même où il repose, hommage discret, que nous ne réprouvons pas, encore que cette simple tombe soit le plus beau des monuments... Au surplus cet acte de piété est accompli, et dans un endroit admirablement choisi... A Saint Séverin, après avoir médité sous le Palmarium, allez jusqu’au cloître, et vous trouverez, après avoir traverse une jolie piece où demeurent les portraits des anciens curés de la paroisse, et quelques armoires peintes, — près de la porte qui donne accès au cloître, à gauche, en entrant, un médaillon fidèlement modelé : c’est J.-K. Huysmans...

On a donné le nom de l’écrivain à une horrihle rue, toute neuve... Etait-ce nécessaire ?.. La rue Huysmans traverse l’emplacement d’une ancienne habitation de Victor Hugo ; elle forme un froid trait-d’union entre le boulevard Raspail et la rue Duguay-Trouin... Nous ne sommes pas d’avis qu’il faille débaptiser les rues... C’est une iconoclastie... Mais puisque l’ancienne rue du Cimetière Saint-André-des-Arcs fut appelée par erreur, — la Topographie du Vieux-Paris est formelle à ce propos, — rue Suger, n’eût-il pas été plus logique d’inscrire le nom de Huysmans sur de vieux murs, et à un endroit, tout au moins, où le sol parisien se charge d’histoire médiévale ?

Mais il importe peu... Huysmans est mort, et les logis qu’il aima n’existent plus que dans son oeuvre... « Mon appartement était vide. Je ne le reconnus guère. Plus rien de moi n’y était. Tout de suite il fut lui-même », fait dire à un de ses personnages, Georges Rodenbach... Et les plus beaux logis sont maintenant les bibliothèques, — notre bibliothèque où les livres d’avant la conversion, et d’après, sont à portée de la main, — et de l’âme...



APPENDICE


Nous tenons à enrichir la nouvelle édition de ce petit livre qui a paru plaire aux fidèles de Huysmans et qui nous valut tant de jolies lettres et d’aimables articles, de quelques observations amusantes ou précieuses faites à son propos.

Jean Ajalbert nous dit que nous avons oublié le principal domicile de Huysmans, qui est... le Ministère où il fut si longtemps et qui mériterait entre tous les autres logis une plaque commémorative. C’est assez juste et voilà pour l’amusant. Francis Baumal, et ceci est dun charme émouvant et d’un souvenir précieux, nous rappelle que J.-K. Huysmans, avant 1870, habitait, comme étudiant, certaine modeste chambre de la rue du Dragon, où se déroula une de ces idylles qui parfument chez presque tous les jeunes gens le temps heureux de la vingtième année.

L’avant-dernière guerre sépara les amoureux qui se retrouvèrent et vécurent ensemble aux environs de 1878. Lorsque, plus tard, l’éditeur Vanier demanda des indications biographiques à l’écrivain pour un fascicule des Hommes d’aujourd’hui, Huysmans rédigea lui-même ce texte, où il se loue et se dénigre avec verve, et le signa d’un pseudonyme A. Meunier, qui était le nom même de la muse de la rue du Dragon.

A cette douce enfant il garda l’affection la plus fidèle, l’allant visiter quand elle tomba malade, l’assistant jusqu’à la mort, jusqu’à cette mort qui brisa les derniers liens rattachant au monde le futur chrétien.

Bonne vieille rue du Dragon, qui connut aussi Victor Hugo jeune et pauvre, partageant une mansarde avec son cousin Trébuchet ! Elle est restée intacte, et l’une de ses artères double encore son pittoresque : cette Cour du Dragon, si étrange, si médéviale, avec une Vierge ancienne derrière un grillage que vient quelquefois encore fleurir une main pieuse... Le mystique auteur de la Cathédrale sans nul doute a dû revenir souvent en ces parages, et devant cette image et près de la demeure bénie où il eut la révélation de l’amour, rêver à la fois à l’amante de la Terre et à l’lmmaculée des Cieux.

M. C. P. G. U. L



Notes

(1) Voir Les Ruelles Saint-Sulpice (Petite Bibliothèque Pittoresque).