leclair

’La Phamacologie, le Thérapeutique dans J.-K. Huysmans.’
Edmond Leclair
Bulletin des Sciences Pharmacologique,
janvier 1919.

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Extrait du Bulletin des Sciences Pharmacologiques.

(Janvier 1919. — Tome XXVI, p. 33.)

La pharmacie, la thérapeutique dans J. K. HUYSMANS (1).


JORIS KARL HUYSMANS (2) est, de l’avis de tous les critiques, un des écrivains les plus originaux.

« Dans toutes ses oeuvres, dit E. FRANCK, on retrouve les mêmes traits caractéristiques de l’auteur, l’acuité de la vision, le relief et le coloris de ses peintures, la richesse exubérante de son style, son parti pris de bizarrerie, l’âpreté outrancière de son esprit critique (3). »

Après la lecture de l’Oblat et de la Cathédrale, nous avons eu la curiosité de rechercher dans les autres publications de cet auteur s’il parlait de pharmacie et de thérapeutique.

Nous n’avons pas été déçus, et nous avons trouvé dans tous les livres de HUYSMANS, sauf dans Marthe (4), des allusions pharmaceutiques.

En 1870, à l’hôpital mixte d’Arras, « il obtient une côtelette, grâce aux étiquettes de pharmacie qu’il écrit pour les soeurs » (5), et, dans cette même ville, visite « tous les boulangers et tous les pharmaciens qu’il rencontre. Tout le monde mange du pain et boit des potions; il est impossible que l’un de ces industriels ne connaisse pas l’adresse » (6) qu’il cherche.

Malgré les services qu’ils ont pu lui rendre, ils n’ont pas toujours ses faveurs: « Ce sont les plus voleurs des fournisseurs, comme les relieurs sont les plus inexacts » (7).

Il leur accorde de se lever tôt et de se coucher tard. Avant l’arrivée de Claudine au marché de Saint-Maur (8) la boutique du pharmacien est déjà ouverte. Et le soir, les couples qui « marchent dans les feux jaunes et verts sautant des bocaux » (9) d’une officine ne voient derrière le comptoir « qu’un potard somnolant le nez sous des bésicles et sur un livre » (10).

Nous ignorons pour quel confrère original CYPRIEN achève un dessin pharmaceutique que vient examiner son ami ANDRÉ et devant lequel il demeure avec raison interdit.


Un buste en plâtre d’HIPPOCRATE sur un socle au-dessous duquel deux tour terelles se débattent dans les anneaux d’un boa, est flanqué, comme la tige d’une lunette marine l’est par ses deux verres, de deux médaillons représentant: l’un, un ballet d’opéra et l’autre, un dessous de bois où se bécotent deux amoureux. Deux autres figures s’élèvent à gauche et à droite de ces médaillons, une jeune fille pleurant dans une jupe blanche et un jeune homme se désolant dans une robe de chambre. Derrière et devant eux, sous leurs pieds et sur leurs têtes, des serpents enroulés autour (le palmiers ou dressés sur leurs queues, à terre, sifflent, et se tortillent en dardant la langue.

Un fronton par là-dessus, murmure CYPRIEN à son ami, quelques matras, quelques fioles, et, brochant sur le tout. un caducée dans les nuages et deux seringues en sautoir, et cette oeuvre symbolique sera terminée.

Puis il dit à ANDRÉ: Ceci n’est pas, comme tu peux le croire, le projet d’un grand tableau. Non, c’est tout bonnement un prospectus de pharmacie qui sera gravé sur bois et enroulé autour d’une bouteille ornée de l’étiquette sacramentelle de papier rouge: Médicament pour l’usage externe. Tu y es, n’est-ce pas? Veux-tu que je t’explique la portée philosophique de cette oeuvre? écoute:

Ça prouve tout d’abord que, si on a le moyen de lever des personnes appartenant à l’école des danses ou à tout autre école d’ailleurs, que si on se livre à de coûteuses ripailles, on tombe malade. Et c’est la juste punition infligée par le ciel à la débauche.

Ensuite, ça prouve encore que si, au lieu d’être paillard et d’être riche, l’on a l’âme éthérée et qu’on est pauvre; que si, au lieu de godailler avec des sauteuses, on aime une jeune personne que l’on croit sage, eh bien, l’on tombe également malade. Et c’est là encore la juste punition infligée par le ciel à la naïveté.

Ce prospectus est donc, comme tu le vois, une oeuvre moderne et humanitaire au premier chef. C’est de la morale en action. La demoiselle et le monsieur qui geignent sont destinés à servir d’exemple à la jeunesse et à lui démontrer que, quoi qu’elle fasse, elle écopera (11).


HUYSMANS n’ignore pas les propriétés thérapeutiques des medicaments. Nous verrons d’abord ce qu’il dit de certains produits chimiques ou de préparations galéniques, nous réservant de parler plus loin des plantes et de vieilles formules.

Suivons d’abord cet employé de ministère, M. FOLANTIN:


A force de ne pas se nourrir, sa santé déjà frêle chavirait. Il se mit au fer, mais toutes les préparations martiales qu’il avala lui noircirent, sans résultat appréciable, les entrailles. Alors, il adopta l’arsenic, mais le FOWLER lui éreinta l’estomac, ne le fortifia point; enfin, il usa, en dernier ressort, des quinquinas qui l’incendièrent; puis, mêla le tout, associant ces substances les unes aux autres; ce fut peine perdue; ses appointements s’y épuisaient; c’étaient, chez lui, des masses de boîtes, de topettes, de fioles, une pharmacie en chambre, contenant tous les citrates, les phosphates, les protocarbonates, les lactates, les sulfates, les iodures et les protoiodures de fer, les liqueurs de PEARSON, les solutions de DEVERGIE, les granules de DIOSCORDE, les pilules d’arséniate de soude et d’arséniate d’or, les vins de gentiane et de quinium, de coca et de colombo (12). M. FOLANTIN n’ignorait pas non plus le quassia qui marinait à son bureau dans une carafe (13).

Enfin, avec le froid qui commençait, l’appétit agissait plus régulièrement, et il attribuait cette amélioration aux vins créosotés et aux préparations de manganèse qu’il absorbait (14). Mais le manque d’appétit lui revint, il constata une fois l’inutilité des stomachiques, des stimulants, et les remèdes qu’il avait tant prônés allèrent rejoindre les autres dans une armoire (15).


Voulons-nous connaître les effets des purgatifs: allons voir l’auteur du projet de prospectus pharmaceutique « qui vit défiler toute la série des purges ».


Des limonades gazeuses qui emplissaient CYPRIEN de vent sans rien produire, des eaux de PulIna aigres et doucereuses qu’il rendait par le haut, des sels de Sedlitz qui l’échauffaient cruellement, puis l’abominable ricin, que le docteur prescrivit en dernier ressort. Alors, CYPRIEN jeta des cris de merlusine, l’odeur(16) seule de cette drogue lui retournait l’estomac; MELIE dut, un matin après avoir soigneusement battu l’huile dans du café tiède, enfourner le tout dans la bouche du peintre; il consentit à s’abreuver de bouillon aux herbes, à s’ingurgiter, jusqu’à plus soif, des potées d’eau verte (17).


Ailleurs, HUYSMANS nous transporte à Fontenay, chez DES ESSEINTES. Là on y trouve un « ménage habitué à un emploi de garde-malade, à une régularité d’infirmiers, distribuant d’heure en heure des cuillerées de potion et de tisane, à un rigide silence de moine » (18). C’est lui qui prépare de l’eau de mer artificielle « en faisant saler l’eau de sa baignoire et en y mêlant, suivant la formule du Codex, du sulfate de soude et de l’hydrochlorate de magnésie et de chaux » (19). DES ESSEINTES sait « qu’en s’ingérant de la santonine à certaine dose l’on voit violet, et qu’il lui est dès lors facile de changer, et, sans y toucher, la teinte de ses tentures » (20).

Souffrant de dyspepsie, le médecin lui ordonne d’abord des lavements nourrissants, composés:


Huile de foie de morue..........20
Thé de boeuf .........................200
Vin de Bourgogne.................200
Jaune d’oeuf..........................No 1 (21)

Puis on parvint peu à peu à dompter les vomissements et à lui faire avaler, par les voies ordinaires, un sirop de punch à la poudre de viande dont le vague arome plaisait à sa réelle bouche. Des semaines s’écoulèrent et l’estomac se décida à fonctionner; à certains instants, des nausées revenaient encore, que la bière de gingembre et la potion antiémétique de RIVIÈRE arrivaient pourtant à réduire.

Enfin, peu à peu, les organes se restaurèrent; aidées pal’ les pepsines, les véritables viandes furent digérées.

...Des essais infructueux ralentirent, il est vrai, la cure; pas mieux, le quinquina, le fer, même mitigé de laudanum, n’était accepté, et l’on dut les remplacer par des arséniates (22).


A une époque qui correspond à peu près à son évolution religieuse, HUYSMANS clame son scepticisme sur la science médicale et la pharmacie; écoutons du reste DES HERMIES:


Ah, elle est bien la science médicale, tout le monde découvre une maladie nouvelle ou perdue, tambourine une méthode oubliée ou neuve et personne n’en sait rien ! au reste, quand bien même que l’on ne serait pas le dernier des ignares, à quoi cela servirait-il puisque la pharmacie est tellement sophistiquée qu’aucun médecin ne peut être sûr que ces ordonnances sont exécutées à la lettre? Un exemple, entre autres le sirop de pavot blanc, le diacode de l’ancien Codex n’existe plus, on le fabrique avec de l’opium et du sirop de sucre, comme si c’était la même chose. Nous en sommes arrivés à ne plus doser les substances, à prescrire des remèdes tout faits, à nous servir de ces surprenantes spécialités qui encombrent les quatrièmes pages des feuilles.

C’est le petit bonheur de la maladie, la médecine égalitaire pour tous les cas; quelle honte, quelle bêtise!

Non ce n’est pas pour dire, la vieille thérapeutique qui se basait sur l’expérience valait mieux; elle savait au moins que les remèdes ingérés sous formes du pilules, de granules, de bols étaient infidèles et elle ne prescrivait qu’à l’état liquide.

Puis maintenant c’est le gâchis;... mes honorables confrères s’engouent de médications qu’ils ne savent même pas employer. L’antipyrine, pour en citer une, c’est un des seuls produits vraiment actifs que les chimistes aient depuis longtemps trouvés. Eh bien, quel est le docteur qui sait qu’appliquer en compresse avec les eaux iodurées froides de Boudonneau (23), l’antipyrine lutte contre ce mal réputé incurable, le cancer?

Ces anciens thérapeutes guérissaient mieux, car ils connaissaient merveilleusement les effets des remèdes immuables et préparés sans dols. Il est bien évident qu’AMBROISE PARÉ guérissait parce qu’il possédait la science des simples qui est maintenant perdue.

En thérapeutique on marche à l’aventure, néanmoins avec un peu d’expérience et beaucoup de veine l’on parvient à ne pas trop dépeupler les villes. (24)


Après ce discours, HUYSMANS ne parle plus, dans les oeuvres qu’il a publiées par la suite, de pharmacie moderne. Il s’occupe surtout des simples et cite deux vieilles formules.

Dans A Rebours, la Cathédrale, l’Oblat, il nous indique les principaux auteurs qu’il a consultés: « Je suis savant avec les livres et je vous confesserai que, sorti de la flore pharmaceutique, mes connaissances eu botanique ordinaire sont nulles » (25).

Celui qu’il préfère est WALAFRID STRABO ou STRABUS, qui signifie le louche, nom ou plutôt surnom d’un moine disciple de RABAN MAUR, qui fut, au IXe siècle, abbé du monastère de Reichenau, situé dans une île du lac de Constance. Il écrivit de nombreux ouvrages dont deux vies de saints envers, celle de saint Blalmais et celle de saint Mammès; mais un seul de ses poèmes a surnagé, l’Hortulus, celui juste où il décrit le jardin de sou abbaye; cet auteur serait parfaitement oublié s’il n’avait composé que des poésies religieuses et des études liturgiques, et c’est au poème pharmaceutique seul qu’il doit sa gloire (26).

Un autre auteur qu’il a consulté est MACER FLORIDUS « dont le poème De viribus herbarum le délectait particulièrement par ses recettes poétiques et les étranges vertus qu’il prête à certaines fleurs » (27).

Dans la Cathédrale, il cite PETRUS CANTOR (28), sans autre indication.

Il fait deviner aussi, comme auteur qui l’intéresse, M. le Dr P. DORVEAUX :


Cet inventaire que je dépouille d’un apothicaire de Dijon du XVe siècle est des plus curieux. Nous retrouvons là ces médicaments périmés qui avaient certainement leur raison d’être et n’empoisonnaient point, entout cas, comme les alcaloïdes des chimistes de notre temps; mais tout n’est pas clair dans ce grimoire. Je découvre bien, parbleu, que la conserve dite Anthos n’est autre qu’une conserve de fleurs de romarins, que le golialenum est le bol d’Armenie, mais le Samenduc qu’est ce que c’est? A quoi servait le Samenduc (29)?

Ce dialogue se tenait dans la pharmacie d’une abbaye, située près de la porterie, hors de la clôture.


C’était bien le capharnaum le plus bizarre que l’on pût rêver, ce réduit, badigeonné au lait de chaux, était une ancienne cuisine munie encore de son fourneau sur lequel mijotaient en des casseroles de cuivre d’inquiétants bouilions. Sur toute une partie des cloisons, des rayons de bois blanc contenaient des paquets étiquetés et des fioles; en face de la fenêtre dont les blessures des vitres étaient pansées avec des étoiles de papier, une courtine de cretonne grasse, ainsi qu’un torchon, cachait un petit lit de fer auprès duquel, sur le coffre d’une machine à coudre hors d’usage, était posée une cuvette et audessous une cruche de grès, calée par un bout de bois sur le carreau creusé; mais où l’ingéniosité du père pharmacien se remarquait, c’était dans une série de détails cocasses. D’une ancienne balance à fil qu’il avait suspendue à une latte de bois sortant du mur, il avait fait un porte-savon; il mettait un morceau égal sur chaque plateau et il usait alternativement les deux morceaux, un jour l’un, un jour l’autre pour conserver l’équilibre. La tige fixée dans la pierre de la muraille par un adroit système de pitons et de pointes, était hérissée de clous à crochets auxquels séchaient des serviettes. Aucun espace n’était perdu dans cette cahute; des planches grimpaient en des étages incohérents sur destraverses; elles formaient en face des rayons remplis de paquets et de bocaux, des casiers dont aucun ne se ressemblait; elles tenaient, on ne savait comme, sur des tasseaux rafistolés, se rejoignaient parfois, lorsqu’elles n’étaient pas trop éloignées les unes des autres, par des lames ajoutées de carton. Et c’était un méli-mélo de flacons, de statues pieuses ; d’antiques gravures et modernes images étaient collées sur la hotte du fourneau, si enfumées que l’on ne distinguait plus les figures; et des ustensiles baroques, des matras, des cornues, des lampes avariées, des bouteilles en vidange, des mortiers et des bassins traînaient avec du charbon, sous une couche de poussière dans tous les coins (30).


Celui qui exerçait dans cette officine était:


Un ancien gérant de pharmacie qui habitait Paris avant de se révéler bénédictin, il dépassait quatre-vingt-deux ans, et ainsi que sur la souche oubliée d’un très vieil arbre, des lentilles, des lichens, des loupes lui poussaient sur le crime; ses yeux évoquaient l’idée de vitres passées au blanc d’Espagne, car ils étaient obscurcis par les pellicules blanches des taies. Le nez se recourbait sous une bouche restée ferme et crénelée de dents; le teint était frais et pas trop craquelé, sur les joues, de rides. A part sa vue qui se voilait et ses jambes qui fléchissaient, il se portait à merveille. L’ouie était intacte, la parole demeurait facile; aucune des infirmités des octogénaires ne l’avait atteint.

Il était, à la fois, d’aspect vénérable et burlesque. On l’appelait dans le cloître Dom Alchimiste, non qu’il cherchât la pierre philosophale à laquelle il croyait pourtant, mais la bizarrerie de ses allures, sa façon d’être constamment dans la lune, ses études sur la pharmacie du moyen âge, sa colère contre les ordonnances des médecins modernes, le mépris des nouvelles substances justifiaient jusqu’à un certain point ce nom (31).


Il n’aimait pas les spécialités; écoutons plutôt ce dialogue:


J’ai la voix fatiguée, dit dom RAMONDOUX au Père MINÉ, et comme celui-ci haussait les épaules, écoutez, fit-il. Il arrondit une immense bouche et il en sortit des sifflets d’alarme. J’ai vu dans ce journal que voici, reprit-il, quand il eut arrêté sa machine, une annonce de pastilles destinées à tonifier les cordes vocales et à guérir l’enrouement des chanteurs; est-ce que vous pourriez m’en procurer.

Des pastilles, s’exclama dom Miné d’un ton méprisant, des pastilles! qu’est-ce que cela, des bonbons à la créosote, sans doute. Je ne tiens pas ce genre d’articles et sous aucun prétexte, mais si vous désirez absolument vous traiter, ce dont je ne vois pas l’utilité, du reste, je vous préparerai de la limonade nitrique.

Si vous croyez que j’ai envie de m’empoisonner avec vos vieilles drogues, s’écria le père RAMONDOUX (32).


Dans cette abbaye HUYSMANS « songea à organiser un jardin liturgique et un petit clos médicinal copié sur celui que WALAFRID STRABO avait autrefois planté dans les dépendances de son couvent » (33).

Ce jardin (34) comprenait vingt-quatre plantes:


Sauge, rue, abrotone, (sic), cornichon (sic), melon, absinthe, marrube, fenouil, iris, livèche, cerfeuil, lys, pavot, sciarea (sic), menthe, chasse-puce (sic), ache, bétoine, aigremoine, eupatoire, éphèdre (sic), menthe de chat, radis et rose (35).


Après nous avoir dit que « le chasse-puce n’était autre que le plantain (36) et la menthe de chat, le népéta » (37), HUYSMANS nous indique les propriétés thérapeutiques de certaines plantes. Nous nous occuperons d’abord de quelques-unes citées par STRABO, nous parlerons ensuite d’autres qui, « bien qu’elles ne figurent pas sur les listes de ce moine, sont, elles aussi, des fleurs médicinales » (38).


Le melon, les cornichons, les concombres, toute la famille des cucurbitacées possédaient selon les apothicaires du moyen âge des propriétés qui ne sont pas peut-être tout à fait inexactes. Ils croyaient qu’un emplâtre de chair de melon guérissait l’inflammation des yeux; que le jeune cornichon était apte à apaiser les vomissements causés par la chaleur du ventricule; que leurs feuilles appliquées avec du vin, en liniment, mataient les accès de la rage. Quant aux vertus du radis, elles sont douteuses (39); par contre, le cerfeuil est noté tel qu’un diurétique et résolutif dont on usait pour résoudre l’engorgement des seins; le melon était, en tout cas, en dehors de ses autres qualités, déjà reconnu comme laxatif (40). Le fenouil stimule chez la femme les siestes du sang (41).

Au XVIe siècle l’on apprenait qu’un enfant ne pouvait avoir ni chaud ni froid pendant toute sa vie, si on lui avait frotté les mains avec du jus d’absinthe (42).

Le lys est souverain contre les brûlures (43). Pulvérisé et mangé par une jeune fille, il permet de s’assurer si elle est vierge, car, au cas où elle ne le serait point, cette poudre acquiert les irrésistibles vertus d’un diurétique (44). ALBERT LE GRAND assigne cette qualité à la mauve; seulement la patiente ne s’ingère pas le résidu de cette fleur, mais se tient simplement dessus et cela suffit; néanmoins pour que l’épreuve soit décisive, il sied que la mauve reste quand même sèche (45).


Parmi les plantes qui ne sont pas dans le clos médicinal de STRABO nous citerons:


La chélidoine ou grande éclaire qui n’est pas si miteuse qu’on semble le croire; ses feuilles d’un vert sourd très nourri de bleu sont élégamment découpées, puis sa fleur en étoile est d’un jaune vif et son fruit est une minuscule gousse qui renferme tel qu’un écrin, quand on l’ouvre, d’éblouissantes rangées de petites perles; en cassant sa tige blanche et poilue, il en sort un sang du bel orange qui est plus actif que le lait de l’euphorbe pour cautériser les verrues. Au moyen âge, elle fut le sujet des plus bizarres des légendes; l’on était convaincu que posée sur la tète d’un malade, il chantait s’il devait trépasser et pleurait s’il devait guérir.

Les renouées aux tiges roses, aux feuilles allongées, tachées d’encre, sont pleines de tannin et elles sont, par conséquent, excellentes contre les paniques du ventre.

Les euphorbes ou laits du diable ou petites éclaires, qui balancent au bout de leur petit pédoncule couleur de chair des paupières vertes avec des prunelles d’un vert plus jaune, sinapisent la peau ou corrodent les verrues.

Les vipérines hérissées de cils blancs, et dont les fleurs violettes s’effilent en de longs épis dans des abris de feuilles rudes, contiennent du nitrate de potasse, et on peut les consommer en infusion sudorifique comme la bourrache.

La fausse ortie, appelée le lainier pourpre qui pue la cave, lorsqu’on écrase la feuille entre les doigts, était employée au moyen âge contre les contusions (46).


Il nous faudrait citer pour être complet les propriétés thérapeutiques attribuées à l’ail, à la joubarbe, à la menthe pouliot, à l’armoise, à la valériane, à l’aristoloche, à la tanaisie, etc.

Les deux formules de pharmacie ancienne sont d’abord celle que SAINTE-HILDEGARDE employait pour guérir la lèpre:


Prenez l’extrémité de la racine de lys, écrasez-la dans la graisse rance, chauffez cet onguent et frottez-en le malade atteint de la lèpre rouge ou de la lèpre blanche et tôt il guérira (47).


L’autre est la formule des cataplasmes ordonnés à SAINTE LYDWINE pour guérir ses plaies « devenues un nid de vermines ».


Ils étaient faits de froment frais, de miel, de graisse de chapon auxquels on ajoutait, soit de la crème de lait, soit du gras d’anguille blanche, le tout saupoudré de chair de boeuf desséchée et réduite en poudre dans un four (48).


Outre la pharmacie proprement dite dont nous venons de faire quelques citations, HUYSMANS a souvent employé des mots pharmaceutiques comme termes de comparaison.

C’est ainsi que dans le quartier de Saint-Séverin il a rencontré dans certains établissements « un amas de vieilles drogues sur les crânes à clairière desquelles courent des chenilles de cheveux » (49).

A Lourdes, il s’écrie: « Quelle laus de pacotille, quelle louange de drogue, c’est l’En revenant de la revue et le Père la Victoire de la piété » (50).

En parlant de la liturgie « c’est comme un antiseptique supraterrestre, comme un thymol extrahumain; la liturgie épure, désinfecte la laideur impie » (51). C’est de lui qu’il dit: « Je me suis inoculé le savoureux poison de la liturgie...je suis le morphinomane de l’office » (52).

En terminant nous espérons que nos lecteurs ne nous feront pas le reproche que HUYSMANS fait à l’auteur de l’histoire de Notre-Dame du Bon-Espoir d’avoir été « un tantinet mucilagineux » (53).


EDMOND LECLAIR.


1. Ce travail a été commencé aux Armées, loin de toutes bibliothèques publiques et de collections particulières. Nous avons donc dù nous contenter de faire nos recherches dans les toutes dernières éditions que les libraires nous envoyaient avec difficulté.

Nous l’avons achevé à Paris, quant au Drageoir eux épices, et quant aux notes. Nous avons mis à contribution, une fois de plus, l’inépuisable amabilité de M. le Dr P. DORVEAUX.

2. Né à Paris, le 11 février 1848, d’une famille de peintre hollandais, HUYSMANS fit ses études à la pension Hortus, puis au lycée Saint-Louis; il commença alors son droit, pour l’interrompre aussitôt et entrer au ministère de l’intérieur, où il demeura trente-deux ans. Tous les loisirs que lui laissa l’Administration, il les consacra à la littérature.

Tout le monde connaît son évolution religieuse et son émigration à Ligugé pendant deux ans. Après le départ des Bénédictins, il revint à Paris et s’installa 31, rue Saint-Placide. C’est là qu’il mourut, au mois de mai 1907, au milieu de ses collections de livres, de peintures et de gravures.

3. FRANCK. J. K. HUYSMANS (L’illustration du 18 mai 1907).

4. Marthe, 7e édit. Paris, G. Crès, 1914.

5. Sac au dos, dans les Soirées de Médan, 31e mille. Paris, CHARPENTIER, 1914; p.116. (Ouvrage en collaboration de ZOLA, GUY DE MAUPASSANT, H. CÉARD, L. HENNIQUE, P. ALEXIS.)

6. ibid., p. 137.

7. En ménage, 7e mille. Paris, CHARPENTIER, 1916, p.156.

8. Le Drageoir aux épices, chap. Claudine, Paris, G CROS, 1916, p. 56.

9. Les soeurs Vatard. Paris, CALMANN-LÉVY, 1912, p. 53.

10. Ibid., p. 121.

11. En ménage, pp.152, 153.

12. Croquis parisiens, A vau l’eau, Un dilemme, 4e édit. Paris, Plon, 1913, chap. A vau l’eau, p.189.

13. Ibid., p. 200.

14. Ibid., p. 215.

15. Ibid., p. 216.

16. L’odeur le cette huile semble être particulièrement désagréable à HUYSMANS: "Ce qui caractérisait cette loge de portier, c’était une odeur nauséabonde, atroce l’odeur de l’huile de ricin tiède." (La Cathédrale, 39e édit. Paris, Plon, 1916, p.265.)

17. En ménage, p.292.

18. A rebours, 22e mille. Paris, CHARPENTIER, 1918, p.24.

19. Ibid., p.130.

20. Ibid., p.19.

21. Ibid., p.279. La formule de ce lavement se trouve sous le titre de Lavement nourrissant dans BOUCHARDAT. Formulaire magistral, 23e édit., Paris, ALCAN, 1881, p.306. D’après cet auteur, on s’en sert dans les dyspepsies chroniques, les vomissements incoercibles des femmes enceintes.

22. Ibid., p.280.

23. Boudonneau, écart de la commune d’Allan (Drôme), arrondissement et à 5 kilomètres de Montèlimar (50 hab.). Les eaux minérales étaient connues dès l’époque romaine, elles disparurent et furent retrouvées en 1854.

24. Là-bas, 35e édition.. Paris, Plon, 1917, pp.143 et 144.

25. L’Oblat, 24e edition. Paris, Plon, 1916, p.80.

26. Ibidem, p.77. Le bénédictin STRABO est né en Angleterre, suivant d’autres, en Allemagne, mort en 758, suivant d’autres à Paris en 849. Il fit ses études à l’abbaye de Saint-Gall sous GRIMGALD, puis à celle de Fulda sous RABAN MAUR. Il revint ensuite à Saint-Gall et fut nommé abbé de l’abbaye de Reichenau. Plus tard, c’est lui que LOUIS LE GERMANIQUE envoya comme ambassadeur auprès de CHARLES LE CHAUVE.

Son travail l’Hortulus est cité en 1477 dans un poème sur les plantes publié par MACER FLORIDUS. Il fut édité pour la première fois en 1512, à Nuremberg chez Wisssembourg, sous le titre: Hortulus ornatissimus carminis elegantia delectabilis.

27. A rebours, p.52. Cet ouvrage parut pour la première fois en 1477 à Naples. Dans la suite le poème de MACER FLORIDUS et celui de STRABO furent imprimés en un même volume.

28. p.285. Dans ULYSSE CHEVALIER, Répertoire des sciences historiques du moyen âge (Nouvelle édition, Paris, 1907, colonne 3702), on trouve: "Bienheureux PIERRE DE BEAUVAISIS? professeur 1171, grand chantre de Paris, 1184, élu évêque de Tournai 1191, de Paris 1197, doyen de Reims, mort cistercien à Longpont le 22 Septembre 1197, honoré le 19 mai."

29. L’Oblat, p.68. Le travail auquel ii est fait allusion est: Inventaires d’anciennes pharmacies dijonnaises, XVe siècle. Extrait du Bulletin no. 10 de la Société Syndicale des Pharmaciens de la Côte-d’Or. Dijon, 1892, avec tirés à part. la-8, 29 pages.

30. L’Oblat, pp.63-67.

31. Ibidem, p.67.

32. Ibidem, p.69.

33. Ibidem, p.12.

34. Dans l’enclos de la villa qu’il fit bâtir à Saint-Martin de Ligugé, HUYSMANS créa ce jardin de WALAFRID STRABO. (DOM BESSE, Eloge de J.-K. Huysmans, Paris, 1917, p.23.)

35. L’Oblat, p.55. Dans l’Hortulus, ces plantes sont citées sous les noms: salvia, ruta, abrolanum, cucurbita, pepones, absinthium, marrubium, foeniculum, gladiola lybisticum, cacrefolium (sic), lilium, papaver, sclarea, mentha, puleium (sic), apium, bettonica, agrimonia, ambrosia, nepota, raphanus, rosa.

36. Ce pulcium de STRABO, que HUYSMANS appelle « chasse-puce », plantain, est le psyllium vulgare encore dénommé plantago caulifera psyllium dicta, l’herbe aux puces.

37. L’Oblat, p.76.

38. Ibidem, p.80.

39. Le radis, raphanus de STRABO, est plutôt la rave employée comme incisive, apéritive, etc.

40. L’Oblat, p.58.

41. La Cathédrale, p.214.

42. Là-bas, p.291.

43. La Cathédrale, p.285

44. Ibidem, p.274.

45. Ibidem, p.275.

46. L’Oblat, p.80.

47. La Cathédrale, p.278.

48. Sainte Lydwine de Schiedam, 20e édition Paris, Pion, I9I7, p.80.

49. La Bièvre et Saint-Séverin, 6 édition. Paris, Plon, 1908, p.144.

50. Les Foules de Lourdes, 34e édition, Paris, PIon, 1905, p128.

51. En route, 40e édition, Paris, Plon, 1917, p.18.

52. L’Oblat, p.89.

53. Ibidem, p.35.