deffoux

J.-K. Huysmans converti littéraire.
Léon Deffoux et Emile Zavie
Paris: Édition des Ecrits français
1914.

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Huysmans converti littéraire.

(Le groupe de Médan et les écrivains naturaliste)



Ces retours à la croyance, ces appréhensions de la foi le tourmentaient surtout depuis que des altérations se produisaient dans sa santé ; ils coïncidaient avec des désordres nerveux nouvellement venus.

(A rebours.)


Les mystiques sont des anémos-nerveux.

(En Route.)



L’exceptionnelle curiosité qui s’est exercée, depuis vingt ans, sur l’oeuvre de J.-K. Huysmans, la description de son cas dans les moindres particularités, se sont traduites par une prodigieuse quantité de brochures, d’essais, voire de gros livres aux allures de thèses médicales, théologiques, ésotériques et, quelquefois, littéraires.

Parmi les auteurs de ces études, les uns lui furent indulgents jusqu’à le mettre en parallèle avec les Pères de l’Église ou à le rapprocher de Blaise Pascal, les autres rigoureux jusqu’à déclarer son oeuvre désormais indéchiffrable et s’étonner de ne plus même retrouver, « dans les livres qu’il a laissés, leur ancien pouvoir d’ennuyer. »

Notons, en passant, que ses apologistes d’aujourd’hui, furent naguère aussi ardents dans le dénigrement qu’ils le sont dans la louange, et que, chez ses détracteurs, se distinguèrent par leur violence, tels écrivains de piété ancienne et qui, pourtant, vers 1880, n’avaient pas assez de louanges pour saluer l’auteur de Sac-au-Dos.

Au retour à l’Église romaine du romancier dont la sensibilité et l’oeuvre ne furent toujours pas non plus — d’où son intérêt — en état de juste équilibre, il faut probablement attribuer ces variations pour et contre, variations qui attestent la singulière actualitéd’un artiste.

De leur côté, les lecteurs bénévoles, les simples curieux de crises morales ne se sont jamais passionnés bien vivement pour le savoureux écrivain du Drageoir à épices, de Marthe, des Soeurs Vatard ou de En Ménage ; ils demandaient un ragoût plus relevé encore : la conversion de ce même écrivain.

Le tirage des éditions en témoigne ; le dernier livre d’Huysmans, Les Foules de Lourdes, atteint le 40e mille ; il en va de même pour La Cathédrale, pour En Route ; or, les oeuvres qui parurent avant 1890 — A Rebours excepté — ont eu péniblement 9 ou 10 éditions. Huysmans converti littéraire est de meilleure vente que Huysmans exclusivement naturaliste.

Une Conversion ! ce mot pour le public est toujours un peu synonyme de scandale. Toutes les curiosités sont immédiatement en éveil autour du néophyte. Cet arrêt brusque dans une voie qui semblait choisie à jamais, cette direction nouvelle dans un sens opposé sont prétextes à informations indiscrètes, à indiscrétions des mieux informées. L’intérêt est porté à son comble si le converti, venu de loin et tout meurtri par les rudes incidents du voyage, veut bien conter, devant tous, ses aventures et proclamer son exemple.

Ainsi agit ingénument Joris-Karl Huysmans. Le bruit qu’il provoqua le surprit peut-être au début, mais l’incita bientôt à multiplier les actes de contrition auxquels nous devons tant de belles pages.

Comme les gens qui, autrefois, se confessaient sur la place publique, il n’eut pas notion que l’aveu des fautes d’un homme de lettres pouvait se passer de témoins aussi nombreux.

En se rappelant tout à coup les prières de son enfance, en retrouvant son âme mystique sans perdre les habitudes de documentation littéraire qui, avec son style, constituent son originalité, Huysmans venait, comme il le souhaitait, de renouveler sa manière littéraire et de découvrir des sujets qui n’avaient pas été trop traités avant lui. Nul écrivain ne saurait rester insensible à cette considération.

Aussi bien, n’est-il pas amusant d’apprendre, dans un roman, l’existence du plain-chant, de pénétrer la littérature latine de la décadence, de s’initier à la symbolique liturgique, sculpturale, architectonique des cathédrales et à tant d’autres belles choses dont le lecteur ni l’auteur n’avaient jusque-là aucune idée !

N’est-il pas piquant de constater, « avec une pointe d’humour noir » que les hosties, le pain de l’Eucharistie, ce pain qui devrait être de pur froment est, depuis deux siècles, fabriqué avec de la farine de haricots, de la potasse, de la terre de pipe ou de la fécule de pommes de terre ! — On se rappelle la fameuse page d’A Rebours : « Or, Dieu se refusait à descendre dans ia fécule, c’est un fait indéniable, sûr, etc.. »

Les indifférents mêmes, ceux qui observent une attitude sceptique, sinon hostile vis-à-vis de la religion et qui ne croient guère à l’efficacité de son idéal s’intéressent volontiers aux circonstances extérieures d’une conversion, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un écrivain dont maintes pages ne témoignent pas d’une déférence excessive pour l’Eglise et pour son clergé ; écrivain habile, par surcroît, à exposer les impressions contradictoires ressenties au cours de retraites à Igny, à Ligugé ou, plus simplement, à l’audition des Improperes du Vendredi-Saint, dans l’étroite chapelle des Bénédictines de Saint-Louis-du-Temple et du Saint-Sacrement.

L’inquiétude mystique n’étant pas, autant qu’il paraît bannie des intelligences modernes, il arrive que tel « libre-penseur » n’est pas éloigné de rapporter à soi les ferventes angoisses du romancier, ses doutes, ses combats d’âme, son supplice moral... Tel incrédule farouche qui mépriserait cette confession dans un manuel religieux l’accepte et s’en réjouit lorsqu’il la lit dans un in-18 facilement trouvé aux bibliothèques des gares...

Par suite, qui sait s’il ne sera pas tenté, un instant au moins, cet incrédule, de se « pouiller l’âme », à l’exemple de l’artiste qui met au service d’une conviction certaine son étrange éloquence faite des mille contrastes bien humains de la satire et de la crainte du péché, de la raillerie profane et du recueillement, de la crudité de l’écriture et du besoin de sérénité, sérénité conquise enfin définitivement, après tant de passionnantes luttes!

Heureuse vulgarisation d’une foi pleine d’imprévu, de pittoresque et qui, selon l’abbé Mugnier, détermine chaque jour des retours à Dieu et fait éclore des vocations.

On conçoit que l’Eglise se montre jalouse d’une recrue si précieuse dont le talent lui fit gagner, en propagande, ce qu’elle perd peut-être en dogmatisme.

Mais, il est des catholiques qui affectent plus de réserve que le mondain ami de Mme la comtesse Grefîulhe et de M. Anatole France. Ce sont gens trop épris sans doute de pure orthodoxie et qui oublient cette forte parole pourtant si souvent citée : « Prenez garde à l’Absolu... Le Modus est le grand dogme de la raison ! »

Comme certain missionnaire apostolique, fort de l’approbation du Saint-Siège, ils accusent Huysmans « de donner des armes aux ennemis de la religion » (ceci, à propos des Foules de Lourdes). Ou, comme un prêtre du diocèse de Bourges, l’abbé F. Belleville, ils lui reprochent « de s’être attaqué, aussitôt que converti, à tout ce qui, dans l’Église, ne répondait pas à son naturalisme mystique ».

« Le naturalisme est la raison d’être de M. Huysmans dans l’Église, écrivait cet ecclésiastique au lendemain de La Cathédrale ; le naturalisme est le ressort de sa conversion, la grande idée de sa vie. C’est Durtal qui paraît au confessionnal, mais, ne savons-nous pas que la conversion de Durtal n’est autre que la conversion de M. Huysmans ? La confession de même. Or, je vois bien qu’il avoue discrètement à son confesseur les péchés qu’il a détaillés à ses lecteurs avec la plus copieuse indiscrétion tout au long de deux volumes ; mais, je suis bien obligé d’ajouter que cette confession, soit oubli, soit insincérité, n’est pas complète. J’y cherche en vain le péché littéraire ; et j’en conclus que M. Huysmans est entré dans l’Eglise grâce à un subterfuge et, qu’en tout cas, sa confession ne vaut rien. Il a réussi à sauver à la douane des produits qui ne passent jamais. C’est une conversion de contrebande. » — L’Eglise comparée à une douane ! M. l’abbé Belleville est-il bien sûr de ne pas parler comme l’écrivain qu’il réprouve ? — Quoi qu’il en soit, cette dure parole avait, paraît-il, beaucoup peiné le pauvre Huysmans. Dans les livres qui suivirent, il s’efforça tout au moins d’atténuer tant qu’il put le « péché littéraire ». Il accentua le côté inventaire-comptable de ses hagiographies en y multipliant les expressions : en somme, récapitulons, car enfin, en résumé, etc., qui décelaient son embarras.

Vers la fin de sa vie, il était même parvenu, tout comme « les bedeaux et la clique des pécores pieuses » qu’il exécrait jadis, à ne plus dire Dieu, la Vierge, mais le Bon Dieu, la Bonne Vierge. Littérairement, il n’offrait alors plus grand danger pour les bonnes âmes. Ses travaux, ses relations spirituelles ne cachaient plus aucun piège pour ceux qui venaient y chercher sujet d’édification.

En brave homme, tenacement, il continua de se « dénuder l’âme » et de frissonner d’horreur en se dépouillant de ce qu’il jugeait être « ses péchés ». Il l’avoue lui-même: « Ce nettoyage exécuté, d’autres péchés reviennent. C’est toujours à recommencer ! » — On croirait entendre une réflexion de ménagère dans un roman naturaliste : « Ici, plus on nettoie, plus c’est sale ! »

En dépit de cette bonne volonté évidente, jointe à la crainte d’être mis à l’Index, Huysmans n’inspire encore qu’une demi-confiance à son dernier éditeur qui, sur le catalogue, ne fait précéder aucun de ses livres de l’astérisque * indiquant que V ouvrage peut être mis dans toutes les mains !

La littérature qui reflète cet état d’esprit est forcément bornée. Après avoir touché au « mur du fond » avec le naturalisme, Huysmans touchait au mur d’en haut avec la religion.

Sa fin fut pleine de noble amertune, de dignité dans la souffrance et son ami, l’abbé Fontaine, put dire, en toute justice, le soir du 12 mai 1907 : « Seigneur, vous lui aviez donné beaucoup de talent, il va fait servir pour votre gloire ; vous lui avez donné beaucoup de douleur, il l’a acceptée pour votre bénédiction ! »

Huysmans s’ingénia à combattre longuement les répugnances de son caractère pour les dogmes catholiques et les pratiques de soumission qu’ils entraînent. Pour deux ou trois intimes seulement, de condamnables laïcs, il garda, comme chose défendue, cette verdeur de langage dont il sentait bien qu’il lui était impossible de se départir complètement. Il resta fidèle aussi à certaine tournure de duplicité railleuse qui, dans le même temps, lui fit adresser, à de vieux camarades, des lettres sans indulgence pour les pieuses personnes (l’évêque de P[oitiers], notamment), intéressées à sa conversion et, à ces pieuses personnes, d’édifiants billets par quoi il célèbre, dans un style bien différent, « la douce affection que lui porte la Bonne Vierge ».

Pas un jour, de 1893 à 1906, où il n’écrivit au moins une lettre de ce genre ; beaucoup furent brûlées, mais il en reste assez pour constituer un énorme volume qui ne serait pas le moins suggestif de son oeuvre, qui l’expliquerait, la suivrait et montrerait un Joris-Karl bien différent de celui de la légende !

La Correspondance de J.-K. Huysmans ! avec la date des lettres, quelques aperçus sur les correspondants, quelques notes de biographies en marge, mais voilà le bréviaire obligé de tout fervent du grand naturaliste catholique !

Hélas ! cette correspondance ne sera pas publiée de sitôt !... Longtemps encore, selon toute apparence, il ne sera pas même possible d’en donner le moindre aperçu... Il convient d’observer, sur ce point, la sage réserve que commande la crainte du papier timbré...

Résistons donc aux offres diaboliques de certains marchands d’autographes et revenons à l’écrivain naturaliste.

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*      *

Le peintre Cézanne, féru du procédé littéraire cher a Zola et à ses amis, ne manquait pas, lorsqu’on lui présentait un livre nouveau, de demander : — « Y a-t-il de l’analyse, là-dedans ? » Et il se défendait d’accorder un seul instant d’attention à l’ouvrage qui n’offrait pas un caractère exclusif d’observation directe et nettement analytique de la première page à la dernière.

Huysmans avait, pour son travail personnel, adopté un parti pris semblable. — « Je ne fais que ce que je vois, ce que je sens, ce que j’ai vécu », inscrit-il en tête d’une réédition de Marthe en 1879. Jusqu’au bout, il demeura fidèle à cette esthétique ; et, même lorsqu’il tenta d’expliquer, après Creuzer, la symbolique chrétienne, il ne fit que reproduire, par l’analyse persévérante, ce qu’il avait vu, lu ou senti, ce qui s’offrait à son observation extérieure avec un relief assez apparent. C’est pourquoi, du Drageoir à épices aux Foules de Lourdes, ses livres sont autant de chapitres de l’examen de conscience scrupuleux d’un seul personnage qui, devant la vie, ne cesse de considérer lui-même et toutes choses du point de vue analytique. Il fut ainsi fidèle à la discipline que s’étaient imposés tacitement les naturalistes : être les transcripteurs rigoureux de la vie du moment. Il a, pour sa part, exprimé en émotif, en anémo-nerveux, avoue-t-il lui-même vers 1884, dans les Hommes d’Aujourd’hui — (sous la tendre signature de A. Meunier ) — l’esprit de son époque et le sien propre.

D’où il résulte que, sous ses apparences de complexe et paradoxal personnage, il n’est pas difficile à surprendre dans l’intimité de sa pensée. De plus, il est sympathique comme ces êtres qui, dès la première entrevue, se devinent tout d’une pièce. Le style de la plupart de ses livres le montre aussi naturaliste après qu’avant la conversion et, chez le naturaliste du début on peut aisément discerner les manifestations d’un mystique qui ne s’ignore pas complètement.

« Le ciel s’étendait comme un surplis immense. » Vous pensez que cette métaphore est extraite de La Cathédrale ou de l’Oblat. Point ; elle se trouve dans les Soeurs Vatard (édition de 1879, page 111).

Un écrivain catholique, M. Raymond Vroncourt, a pu, judicieusement, constater que le peintre Cyprien Tibaille (ce personnage qui, dans les mêmes Soeurs Vatard et dans En Ménage, parle souvent au nom de l’auteur) avait « une manière bien chrétienne d’envisager les sites » lorsque, dans la banlieue parisienne, « dans cette campagne dont l’épidémie meurtri se bosselé comme de hideuses croûtes, dans ces routes écorchées où des traînées de plâtre semblent la farine détachée d’une peau malade, il voyait une plaintive accordance avec la douleur du malheureux, rentrant de sa fabrique, éreinté, suant, moulu, trébuchant ».

Cette manière jugée bien chrétienne par un érudit critique, Huysmans la reconnut toujours pour sienne. Il ne consentit jamais à renier complètement son passé, non plus qu’à sacrifier ses premiers livres.

« Comment apprécier, d’ailleurs, l’oeuvre d’un écrivain, si on ne la prend pas dès ses débuts, si on ne la suit pas à pas », écrit-il dans la préface d’A rebours ( édition illustrée 1903 ), « comment surtout se rendre compte de la marche de la grâce dans une âme si l’on supprime les traces de son passage, si l’on efface les premières empreintes qu’elle a laissées ! »

Suivant le conseil qu’il nous donne lui-même, prenons donc Huysmans à ses premières empreintes, en 1874, alors qu’il prélève sur ses économies de petit fonctionnaire les frais d’édition du Drageoir à épices.

En une journée de flâne, le voici musardant dans les rues d’un village de Picardie, au bord de la mer. Il remarque avec émotion, sur la route « les lumières des petites chapelles élevées par les marins à la Vierge protectrice ».

C’est son premier salut littéraire à la Notre-Dame des Sept-Douleurs qui, par la suite, doit se rappeler à lui de façon singulière, mais, « dans un but plus précis, plus nettement déterminé ». Pour l’instant, il se contente, après cette rapide vision, de proclamer « son dégoût des bouges de Paris où s’agitent, comme cinglés par le fouet de l’hystérie, un ramassis de naïades d’égout et de sinistres riboteurs ».

En 1877, il se souvient, lorsqu’il écrit Sac-au-Dos, qu’il avait, en quittant l’hospice d’Evreux, au lendemain de l’armistice, en janvier 1871, adressé à une religieuse, soeur Angèle, un adieu plein de reconnaissance : « — O chère soeur, je pars : comment pourrai-je jamais m’acquitter envers vous ? » Qui aurait cru qu’il s’acquitterait un jour avec une ferveur que soeur Angèle elle-même n’aurait pas osé espérer ? L’oblat Huysmans devait parfois prier pour soeur Angèle, dans la maison Notre-Dame, à Ligugé, vingt-cinq ans plus tard... Mais, en attendant cette échéance, il montre la charitable soeur pleine de compassion et d’indulgence pour les tristes militaires de son genre. « Soeur Angèle faisant sa ronde, le soir, se détournait pour ne pas voir le point de feu des pipes qui scintillait dans l’ombre. »

Soeur Angèle lui demandait avec intérêt de ses nouvelles : « Quand je lui exprimais l’effroyable ennui que j’éprouvais, perdu dans cette troupe, au fond d’une province, loin des miens, elle ne répondait pas, mais ses lèvres se serraient, ses yeux prenaient une indéfinissable expression de mélancolie et de pitié. »

Après quoi Huysmans, errant « comme une âme en peine » sous les arcades du cloître transformé en hospice, trouvait, comme par hasard, tracés sur la muraille, les vers suivants qu’il publiait dans la première édition de Sac-au-Dos :


O croix qui veut l’austère, ô chair qui veut le doux,

O inonde, ô évangile, immortels adversaires,

Les plus grands ennemis sont plus d’accord que vous

Et les pôles du ciel ne sont pas plus contraires.


On monte dans le ciel par un chemin de pleurs.

Mais que leur amertume a de douceurs divines !

On descend aux enfers par un chemin de fleurs,

Mais, hélas ! que ces fleurs nous préparent d’épines !


La fleur qui, dans un jour, sèche et s’épanouit.

Les bulles d’air et d’eau qu’un petit souffle casse,

Une ombre qui parait et qui s’évanouit

Nous représentent bien comme le monde passe.


Dans A vau l’eau, M. Folantin, entre deux déboires d’ordre culinaire, ne peut s’empêcher de constater que « ceux-là sont heureux qui acceptent comme une épreuve passagère toutes les traverses, toutes les souffrances, toutes les afflictions de la vie présente. Quelle occupation que la prière ! s’écrie-t-il, en regrettant de ne pas avoir la foi; quels débouchés que les pratiques d’un culte ! Le soir, on va à l’église, on s’abîme dans la contemplation, et les misères de la vie sont de peu ; puis les dimanches s’égouttent dans la langueur des offices, dans l’alanguissement des cantiques et des vêpres, car le spleen n’a pas de prise sur les âmes pieuses ».

Par dégoût de ce qu’il appelait le monde matériel, la vie ambiante, par mépris apparent de ses contemporains, il aspirait à la foi, mais avec cette obscure crainte (l’a-t-elle jamais quitté ?) que le catholicisme ne fît qu’aggraver le spleen dont il souffrait.

Pourtant, à l’époque où Zola lui reprochait — et cela ne manque pas d’un certain comique sous la plume de l’auteur de La Terre — la recherche du cas pathologique, le goût pour les plaies humaines, en 1880, sortant de la boutique du coiffeur des Croquis parisiens, les démangeaisons que procurent les cheveux coupés tombés dans la chemise lui étaient déjà prétexte inattendu pour admirer — « l’éternel héroïsme des religieux dont les chairs sont, nuit et jour, volontairement grattées par l’âpre crin des durs cilices ».

Obscur pressentiment de l’oblature ou simple trait de bougon méthodique se plaisant à augmenter sans cesse son bagage de déconvenues ? — L’un et l’autre, peut-être ! Huysmans se réjouissait de trouver, dans l’analyse outrée de ses ennuis quotidiens, ce sens aigu de curiosité qui soutenait sa furieuse éloquence contre la vie moderne.

A la longue, cependant, il semble trop attentif à donner aux raisons de sa lassitude la parure littéraire, trop soucieux de les présenter dans une note plus volontiers pittoresque qu’émue. Cela devient comme une jouissance à rebours, un goût de déformation caricaturale.

Il pensait que la littérature seule y trouvait son compte ; mais c’est alors que Notre-Dame d’Igny n’était pas loin ! Car « la grâce » marque de plus en plus son empreinte dans une âme qui pousse à ce point l’amour spéculatif de la misanthropie !

L’art est souvent la voie tortueuse, mais sûre, que choisit la religion pour arriver à ses fins.

Comme le Léo de Marthe « à force de tourmenter l’idée, d’essayer de rendre les bizarreries qui le hantaient, les nerfs se tendirent et une immense fatigue l’accabla ».

Cette curiosité, toujours reportée sur soi et assez semblable à celle du névropathe qui étudie sa lésion, devait aboutir au formidable ennui que l’on sait et à la recherche d’autre chose. Le romancier naturaliste dut se réveiller un jour apeuré du néant de son attitude intellectuelle.

La tentation lui vint un moment de chercher un dérivatif dans la magie. C’est l’époque, profitable encore pour sa littérature, du séjour à Lyon et des offices étranges célébrés rue de La Martinière, par le directeur des Annales de la Sainteté. Là-Bas paraît dans l’Echo de Paris. Grand succès, même chez les gens de lettres! « C’est bien tout à fait ce roman, note, à la date, du 18 février 1891, Edmond de Goncourt dans son Journal... C’est de la plantureuse écriture, avec derrière de la pensée outrancière... » Et, le 15 mars, « au Grenier » on cause de Huysmans qui « se dit inquiété par des espèces d’attouchements frigides le long de son visage, presque alarmé par l’appréhension de se sentir entouré par quelque chose d’invisible. Est-ce qu’il serait, par hasard, victime du succubat qu’il est en train de décrire dans son roman ? Puis, une terreur secrète est en lui de ce que son chat, qui couchait sur son lit, ne veut plus y monter, et semble fuir son maître.

Le chanoine de Lyon, qui lui a donné des renseignements sur la messe noire, dit-il, lui a écrit que ces choses devaient lui arriver, et chaque jour, il lui mande ce qui suivra le lendemain, avec accompagnement d’ordonnances anti-sataniques pour s’en défendre. »

O ces ordonnances anti-sataniques ! — Hosties marquées de stigmates sanglants ! hosties consacrées contre les menaces des méchants- Rose-Croix ; luttes ésotériques avec le marquis de Guaita, Joséphin Peladan et Oswald Wirth ; envoûtements, chocs en retour, tables tournantes, diableries, duels !... Et Boullan-Johannès ; et Ledos-Gevingey ; et Rocca-Docre; et Mme Laure ; et « Maman » Thibaut ; et toutes les grosses parades de ceux qu’il traitait, en 1877, de « Kabbalistes toqués » l’ébahissent durant quelques mois puis, finalement, lui apparaissent comme les moyens détournés choisis par le Dieu de ses pères pour le ramener à lui.

Il cherchait autre chose. Mais ne l’avait-il pas en lui, le salut ! La religion qui s’imposa pendant vingt siècles ne peut-elle pas encore relever et diriger une énergie ? Ce raisonnement provoqua l’explosion : Huysmans pria...

Ainsi, huit ans plus tôt, sans se rendre compte qu’il lançait déjà au ciel une prière, Des Esseintes avait demandé au Seigneur de prendre pitié de l’incrédule qui voudrait croire. Il fut tout de même surpris, lorsqu’en 1892 le ciel l’exauça. Voyant que cette fois c’était sérieux il tenta de se rebiffer !...

Suivant l’amusante observation d’un de ses critiques « il s’approcha de la pénitence avec les arguments et les retards d’un malade qui tâche de se dérober au traitement et s’éloigne tant qu’il peut de la piscine salutaire dont il affecte toujours de trouver la température ou trop froide ou trop chaude ».

Malgré les affectueux encouragements que lui prodiguaient maints maîtres-nageurs apostoliques accourus à son aide, il s’obstinait à rester sur le bord.

Des liens de sentiment rendus plus vivaces par le malheur, des habitudes chères à son coeur de vieil homme casanier retenaient son élan...

Cependant, après bien des reculs, bien des hésitations, un jour de détresse plus vive, il fit un signe de croix, — et plongea.

*
*      *

Il avait renouvelé sa manière littéraire sans renouveler son coeur ; et, dans le catholique éperdu, l’homme s’affligea lorsqu’il s’aperçut que rien de ce qu’il chérissait, en dehors des livres et des autels, ne l’attachait plus au monde.

Oui. Les voies de Dieu demeurent impénétrables et leur obscurité est, pour le croyant, le caractère providentiel de leur attirance. Pourtant...

Ne peut-on pas concevoir que, chez Huysmans, le culte d’hyperdulie était déterminé surtout par des souvenirs féminins dont l’évocation sensuelle, à travers la prière, s’épanouissait en pureté...

Qui sait si Huysmans n’avait pas perdu l’inspiratrice terrestre d’une partie de sa littérature, le témoin de sa vie, la petite Notre-Dame d’Amour à laquelle, au détriment de « notre mère Marie », il avait adressé d’abord ses dévotions ?

Les grands actes humains, les gestes héroïques, n’ont parfois pas d’autre cause qu’une porte qui s’ouvre ou qui se referme sur un cercueil.