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Une Séance de Spiritisme
Chez J.-K. Huysmans

Gustave Boucherr
Niort
1908


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Cette anecdote est un hors-d’oeuvre parmi les ouvrages annoncés d’autre part.

L’auteur, qui fut dans cette circonstance médium involontaire, comme il devint parfois, dans la suite, magnétiseur involontaire, n’a jamais été témoin de phénomènes d’ordre dit « psychique », sans que l’explication naturelle ne lui ait de suite apparue. Ce disant, il tient compte de cette force fluidique, émanation nerveuse de note être, dont le jeu, encore mal défini, sufit généralement à l’explication de faits, matériellement exacts: lévitations, transports sans contact, télépathie, etc. Cette force fluidique, l’auteur affirme en avoir senti le contact et reconnu la température, l’avoir vu agir et opérer le plus souvent sous les commandements conscients ou inconscients d’un magnétiseur et par le moyen de médium, dont la sensibilité nerveuse s’extériorise et exécute docilement les ordres reçus.

En exposant ces banalitiés, l’auteur n’entend nullement se poser en esprit fort ou en rationaliste. Il tient au contraire pour vrais les phénomènes de mystique diabolique ou divine déterminés par l’Église; l’existence des bons et des mauvais esprits; la possibilité des évocations sacrilèges et sataniques; l’intervention des esprits bienheureux dans notre humanité, lorsque Dieu le permet.

Ce à quoi il ne croit pas, c’est à la superstition spirite; c’est au caractère surnaturel de séances médiumniques où la crédulité, la mystification et l’orgueil, tiennent lieu de contrôle scientifique, de bonne foi et de soumission aux lois de l’Église.

C’est sur ce plan que l’auteur entend interpréter les phénomènes dont il a été acteur ou témoin, au hasard des événements, et sans les avoir jamais provoques.

Et c’est aussi dans l’espoir que ces interprétations peuvent être de nature à servir la cause de la Foi catholique, qu’humblement et dévotement, l’auteur dédie ces études à la grande initiée Catherine Emmerich, à l’intercesion de laquelle il se plait à attribuer sa persévérance dans ses croyances recouvrées et la soumission absolue de son esprit aux décisions du Magistère infaillible.



Malgré son particularisme, Huysmans n’était pas dénué d’esprit apostolique. Il était peiné de voir quelques-uns de ses amis les plus proches demeurer réfractaires à l’illumination de la Foi. Il s’ingéniait à provoquer en eux l’étincelle salvatrice. La méthode qu’il avait suivie lui semblait sans doute la plus normale pour avoir raison de cette crise de matérialisme et d’incrédulité dont ils demeuraient atteints, alors que lui-même jouissait des bienfaits de la convalescence. Ses incursions dans le satanisme lui avaient été salutaires; il avait senti le souffle du Malin, du moins il en était persuadé. Son scepticisme amer, plus fait de pessimisme que de philosophie, s’était évanoui devant des phénomènes qu’il tenait pour décisifs, et les mystères de « Là-Bas » lui avaient ouvert l’esprit à la compréhension du surnaturel divin. Il était donc convaincu que ses amis céderaient aux mêmes emprises. Pour les amener à Dieu, il croyait, au début de sa conversion, à la nécessité de leur faire traverser ce qu’il appelait, avec son outrance coutumière, « les latrines du surnaturel ».

C’est sous l’empire de cette fraternelle préoccupation que l’idée lui vint de nous réunir dans son appartement de la rue de Sèvres pour nous faire assister à des expériences dont il augurait de probantes manifestations, espérant en tirer argument pour entraîner l’adhésion aux clairs mystères de la Foi, de ceux d’entre nous qui y demeuraient encore étrangers.

Espoir noble, préoccupation charitable, mais basés sur des moyens singulièrement puérils et décevants.


*
*    *

Le 16 janvier 1892, je recevais de J.-K. le mot suivant, écrit dans la formule familière qu’il affectionnait:

« Mon cher ami, — Vendredi soir doit venir un médium, accompagné, peut-être, d’une voyante. — C’est pas une raison pour qu’on voie quelque chose. — Enfin, si ça vous intéresse, venez voir ces déconcertantes ordures à 8 heures, si elles se montrent!... »

Ce vendredi, un violent accès de grippe m’avait retenu au lit tout le jour. Sans m’être lesté d’aucune nourriture, en dépit de très vives douleurs et d’une faiblesse extrême, j’avais cédé à la curiosité en même temps qu’au désir d’être agréable à Huysmans, et malgré les objurgations de ma maternelle concierge, garde-malade pleine de prudence et de sollicitude, j’avais, méprisant la fièvre, abandonné ma couche, et m’étais dirigé grelottant vers le 11 de la rue de Sèvres.

Quand j’arrivai chez J.-K., le cercle était au complet; j’étais le dernier invité que l’on attendit.

Le groupe se composait de MM. François, Orsat et Bobin, tous trois fonctionnaires du ministère de la guerre; Daniel, de la Préfecture de la Seine, Georges L..., Huysmans et moi.

François, occultiste militant, l’un des fondateurs avec Papus de la loge martinienne de la rue de Trévise, était celui que, par un lapsus inexplicable, Huysmans désignait dans sa lettre, sous le qualificatif de médium. En réalité, c’était un magnétiseur quasi professionnel. Il était venu seul, le médium - « la voyante » — s’étant trouvé empêché de nous rejoindre, à notre grande déception.

Cependant cette absence ne mit pas obstacle, comme on va voir, à la comédie annoncée; elle prit seulement le caractère d’un impromptu.

Sur les six personnes présentes lorsque j’entrai chez Huysmans, deux m’étaient inconnues: MM. Daniel et François.

Celui-ci m’avait de suite dévisagé d’une manière qui m’avait désagréablement impressionné. Après paroles de présentation et de bienvenue, François se montra pour moi plein d’attention. Déjà, il avait, sans nul doute, compris le parti qu’il pouvait tirer d’un malade déprimé par la fièvre, sans résistance nerveuse, et il avait décidé de me faire jouer, au pied levé, le rôle de médium dont l’emploi se trouvait inoccupé. Il déclara donc, avec beaucoup d’assurance et à la surprise générale, qu’il espérait ce soir-la obtenir des résultats satisfaisants.

Un petit guéridon Louis XIII, à pied tors, avait été placé au milieu du salon où nous nous trouvions réunis, et François, tel un virtuose préludant sur son instrument avant le concert, s’essayait à en tirer des ébauches de révélations.

Sur son invitation, nous nous rangeâmes autour de la table, j’occupais une place auprès du magnétiseur, et nous établîmes entre nous le contact des mains.

Georges L..., catholique fervent, avait, seul, refusé cet office, et se tenait à l’écart, s’entraînant aux exorcismes par la prière et les signes de croix.

Des craquements ne tardèrent pas à se faire entendre; puis la table fut agitée de soubresauts violents. Enfin, sur l’ordre de François, elle se calma, et un dialogue s’engagea à la manière ordinaire par l’alphabet conventionnel.

Nous obtînmes d’abord des phrases incohérentes, des apostrophes grossières, des amorces de conversations sur des sujets particulièrement scabreux, donnant une triste opinion de la moralité de « l’esprit » qui nous gratifiait de ses communications.

Huysmans, écoeuré, se faisant notre interprète, pria François de donner congé à ce personnage stercoraire et la table devint aussitôt muette.

Quelqu’un proposa alors l’évocation de l’esprit d’un suicidé illustre, et le nom de Boulanger fut prononcé.

La table manifesta avec un empressement tumultueux son assentiment à cette proposition. Revenant au guéridon que nous avions quitté un instant, à l’exception de François toujours à son poste, nous tentâmes d’aider le magnétiseur à refréner l’exubérance chorégraphique du meuble. Bien entendu, la danse se fit plus désordonnée, et finalement le guéridon se précipita sur le parquet avec une violence telle que ce fut miracle s’il ne se brisa point, et fila vers une porte ouverte.

Remis en place après quelques efforts, François l’interrogea à nouveau.

Le « brav’général », avec qui trois des assistants avaient été en relations par leurs fonctions, allait-il vraiment nous faire l’honneur d’une visite et par quels moyens pouvions-nous espérer ses communications?

La table fut pleine de promesses. Elle déclara qu’il se trouvait dans notre groupe un médium à incarnations, et que le général allait apparaître et converser familièrement avec nous.

On comprend qu’à cette révélation inattendue l’émotion fut à son comble. Georges L... poussa un gros soupir et recommença ses exorcismes muets.

Une pareille cérémonie ne pouvait se passer sans rite. François s’inquiéta donc de connaître les exigences de l’Au-delà.

Nous reçûmes l’ordre de faire l’obscurité et de garder le silence le plus religieux.

Docile, Huysmans transporta la lampe dans la salle à manger, dont il ferma soigneusement la porte.

La table insista:

— Éteignez le feu !

On versa une carafe d’eau sur les bûches.

— Fermez les rideaux !

En effet, une faible clarté s’insinuait de la cour dans l’appartement. On masqua la fenêtre au moyen des épaisses tentures qui l’encadraient.

L’obscurité enfin obtenue, et la table paraissant satisfaite, François nous engagea à nous distribuer autour du salon, sans contact entre nous. Il m’assigna la place en face de lui, dans l’embrasure de la porte faisant communiquer le salon à la chambre à coucher; j’avais devant moi un panneau mural à chaque extrémité duquel était placée une bibliothèque vitrée; entre ces deux meubles, un petit canapé s’insérait, et au-dessus, le panneau était décoré d’une statuette en bois reposant sur son socle, flanquée de chaque côté d’une gravure d’Albert Dürer, sous verre, surmontée d’une assiette en vieille faïence.

Le silence régnait; on entendait seulement le souffle protestataire de Georges L... assis dans un coin.

Mon attention se concentrait toute entière sur l’endroit proche où se trouvait le magnétiseur assis à la table. Un sentiment indéfinissable d’inquiétude me poignait. Mes yeux, habitués maintenant à l’obscurité, commençaient à pressentir la forme vague des gens et des choses. Tout à coup, je vis très distinctement des vapeurs grises monter du guéridon, en émanations continues, s’élever à environ cinquante centimètres, hauteur à laquelle elles cessaient d’être perceptibles. Je fus extrêmement ému par cette constatation, et complètement dominé par les suggestions ambiantes, je me persuadai voir les efforts de matérialisation tentés par le sentimental ami de Mme de Bonnemain pour rendre sa présence sensible. Il dut se produire, à mon insu, quelque mouvement, quelque tressaillement significatif de mon être, trahissant mon état de « voyance », et guetté par François, car celui-ci m’interpella:

— Vous êtes bien en face de moi, monsieur Boucher ?

— Oui!

— Vous ne voyez rien?

Cette question me fut posée sur un mode impératif. C’était un commandement, un ordre. Au même instant, je me sentis comme foudroyé d’une décharge électrique des plus violentes; tout mon être s’effondra, un tremblement me convulsa. En même temps, je sentais ma vie s’échapper de ma poitrine comme si une cheminée d’appel venait d’y être subitement ouverte pour permettre que fut attiré au dehors de moi tout mon souffle. J’agonisais littéralement. Éperdu, je criai: « Je vois! je vois!! » Et ce cri m’entra dans les oreilles, frappa mon cerveau, comme s’il venait d’être proféré par un étranger. Ma volonté n’avait joué aucun rôle dans son émission.

Oh! ce cri! suraigü, inhumain, de râle!

Ce cri, qui affola tout le monde, sauf François, impassible et triomphant.

J’avais cessé de regarder la table. Ce qui m’attirait maintenant, ce qui me rendait fou de terreur, c’était, sur le mur, en face, la vision très nette d’une clarté lunaire, affectant la forme d’une silhouette humaine mobile, vivante.

Le fantôme de Boulanger était là !

Mes amis, perturbés, haletaient.

Huysmans se précipita dans la salle à manger et en rapporta la lampe, malgré les protestations désespérées de François. Le prestige s’évanouit, et j’apparus défaillant et blême entre les mains du pitoyable Georges L... et de son ami Orsat.

François, comprenant que la séance était terminée, vint à mon secours. Il me fit quelques passes sur le visage et sur le corps. Sous l’influence de ces soins bienfaisants, le calme renaissait; l’oppression, qui m’étouffait, cessa; le fluide dont la sortie douloureuse m’avait fait agoniser, rentrait maintenant à flots pressés, refoulé par les efforts de François. Chose étrange! la migraine qui, tout à l’heure tenaillait mes tempes, la fièvre qui me percutait les os, la lourdeur douloureuse des membres, en un mot toutes les particularités de la grippe, tout cela disparaissait comme par enchantement et faisait place à un sentiment de quiétude et d’équilibre reconquis.

François ne cessait cependant de se lamenter, déplorant le geste intempestif de Huysmans.

— Quelle belle séance vous avez interrompue! gémissait-il. Cette crise était sans inconvénient pour M. Boucher et vous voyez avec quelle facilité on en a raison: votre ami ne courait aucun danger. Il allait tomber en transe, et l’esprit du général qui déjà, visiblement, avait aspiré le fluide nécessaire à sa matérialisation, se serait manifesté à nous dans des conditions inespérées, et si rares!

— C’est bon! c’est bon! disait Huysmans, que Boulanger reste au diable! La santé de l’ami Boucher nous est plus précieuse que la présence de ce soudard. Je n’aime pas les visites qui s’annoncent d’une façon aussi bruyante.


*
*    *

Nous quittâmes Huysmans quelques instants après. Au dehors, François me complimenta sur le don que cette expérience avait, disait-il, révélé. Il me demanda mon adresse, me pria instamment de le revoir et de cultiver sous sa direction les qualités médiumniques dont il me gratifiait.

Je ne me sentis nullement disposé à ses avances. Déjà, avec la santé recouvrée, — ce dont je ne me montrais peut-être pas suffisamment reconnaissant envers mon thérapeute — sous l’action de l’air et du froid, la lucidité me revenait, et je comprenais que j’avais dû être le jouet de quelque mystification subtile dont je n’entrevoyais pas très bien la trame.

Je rentrai chez moi, où ma vieille concierge m’attendait, inquiète, pour me faire absorber une tasse de tisane brûlante. Elle ne fut pas médiocrement étonnée en constatant le changement subit survenu dans mon état et en apprenant que la grippe avait été terrassée par un puissant guérisseur.

La nuit fut calme et reposante, bien que mon sommeil fût traversé par le souvenir de cette étrange séance, et que l’obsession me restât, interrogative et sceptique, de ce mur recéleur de fantômes.

Je me réveillais tôt, très dispos, et pris le parti d’aller voir Huysmans avant son départ pour le ministère.

J.-K. s’en montra fort surpris.

— Comment, vous, à cette heure ! je n’étais pas sans inquiétude sur votre santé, et vous m’arrivez tout retapé, voilà un beau succès pour François, dont cette cure proclame les vertus.

— Je reconnais si bien la valeur de François, que je ne lui confierai ni ma raison, ni ma volonté. Je vous assure que la représentation d’hier sera sans lendemain, tout au moins avec mon concours, et que je ne me sens aucun goût pour le rôle d’automate psychique qui m’a été imposé.

— Je vous en félicite, mais en somme que pensez-vous de cette soirée? Quelle impression en conservez-vous?

— Précisément, je suis venu ce matin pour me faire une opinion. Rentrons si vous le voulez dans votre salon. Je veux me nettoyer le cerveau de l’hallucination d’hier.

— Entrez, mon bon!

Je me plaçais dans la position que j’occupais la veille. Huysmans, assis en face de moi sur le canapé, me considérait curieusement.

Alors, montrant l’assiette et le cadre placés à droite de la statuette, j’affirmai en riant:

— Le fantôme, le voilà!

— Comment cela?

— Tenez, François était placé ici, devant moi, exactement au-dessous de ces deux objets. Je voyais distinctement, — et c’est la seule chose intéressante à retenir — émanées de la table, les vapeurs fluidiques dont nos mains l’avaient chargée et dont François entretenait le foyer. Ce nuage me sembla n’avoir qu’une élévation limitée: j’en comprends maintenant la cause. Le corps de François formait écran, un écran obscur qui teintait de gris cette phosphorescence, en en empêchant la dispersion, puis, entre la tête de François et le bas de ce cadre, en raison de la différence des plans, une solution de continuité favorisait la diffusion des vapeurs et leur invisibilité; enfin ce fluide passait devant la vitre du cadre et l’assiette, s’éclairant à la radiance de ces surfaces naturellement lumineuses. Cela se mouvait et donnait l’illusion de la vie spectrale; cette assiette figurait assez bien une tête humaine reposant sur un haut de corps formé du cadre. Voilà tout le mystère de l’incarnation boulangiste!

— Votre explication a le mérité de la simplicité et de la vraisemblance, mais pensez-vous donc que François ait manigancé toute cette mise en scène et voulu nous mystifier?

— Je crois que le premier mystifié, c’est lui. Il m’a vu dans un état de dépression nerveuse qu’il a jugée favorable à ses tentatives. Il a provoqué en moi, par des pratiques inaperçues, mais dont le détail me revient à cette heure, cette suggestionnabilité et cette effroyable sortie fluidique qui allaient me livrer, passif, à ses manoeuvres et me transformer en un psychographe enregistreur de ses pensées et de ses paroles, pensées et paroles qu’il ne restait plus qu’à attribuer à l’esprit du général Boulanger pour nous procurer les sensations d’une conversation avec l’Invisible. François escomptait-il vraiment, dans sa familiarité avec ces phénomènes, cette vision troublante des fluides que ma passivité maladive allait doter de qualités fantomatiques? C’est probable. Mais le résultat dépassa ses prévisions. L’acuité de la crise, la précision des détails que je fournis ensuite, sous l’empire de l’effroi et de la fièvre, sur la nature et la forme de l’apparition, ces faits, soyez-en sûr, ont produit sur son esprit plus d’impression encore que sur le vôtre et sur celui de nos amis. François, ce qui est du plus haut comique, demeure persuadé de la réalité de cette apparition saugrenue; il me proclame un brillant médium à incarnations? Ne pensez-vous pas que la plupart des occultistes, victimes eux-mêmes de ces basses fantasmagories, se prennent les premiers à ces pièges grossiers sur lesquels aucun contrôle n’est possible, si le « médium » est de mauvaise foi ou simplement inconscient?

Supposez que je sois assez simple pour tirer vanité du don prétendu que la crédulité professionnelle de François m’attribue; pour m’entretenir dans l’illusion née de cette pseudo-apparition; ou trop faible pour, l’ayant reconnue, avouer l’erreur dont j’ai tenu à rechercher sans retard l’explication: me voici livré, nerfs et cerveau liés, à ce magnétiseur, et de concert, nous mystifiant l’un l’autre, mystifiant autrui, tantôt à notre insu, tantôt consciemment, quand cela nous paraîtra utile, nous allons, semant la folie dans les salons et les cénacles, cette folie qui est en nous et que nous avons l’outrecuidance de prendre pour la communication, diabolique ou sacrée, de l’Au-delà!

Huysmans me regardait, devenu inquiet et visiblement troublé.

Je compris la cause charitable de cet émoi et j’ajoutai:

— Écoutez, cher ami, je sais dans quelle excellente intention vous avez organisé la réunion d’hier. Vous espériez nous faire toucher l’insaisissable, nous communiquer cette impression qui vous est restée, à la suite d’expériences plus sérieuses, sans doute, que celle d’hier, d’une intelligence étrangère et d’une volonté externe se manifestant aux téméraires évocateurs: en un mot, vous vouliez nous faire entrer par les cercles inférieurs dans le monde spirituel dans l’espoir que comme vous, nous aspirerions bientôt aux clartés d’En-haut!

— Eh bien?

— Eh bien, pour mon compte, je ne veux tromper ni votre attente, ni votre désir. La promesse que je vous ai faite, je la tiendrai. Avec vous, je cheminerai dorénavant dans les jardins de l’Église, non pas en étranger, mais en compagnon eucharistique. Mais je ne veux pas donner au diable le mérite de ma conversion; je veux l’attribuer tout entier à votre amitié et à vos prières fraternelles qui, je crois, m’en ont uniquement valu la grâce.

Une poignée de mains émue scella cet entretien, qui marqua en effet mon retour définitif aux pratiques du catholicisme, auquel, depuis quelques mois, mon intelligence adhérait insensiblement.