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La République des Lettres, 26 novembre 1876.


DIAZ.


Diaz fut un étrange artiste qui s’inspire tour à tour d’Allegri, de Tiépolo, de Watteau, de Prudhon, d’Eugène Delacroix, et de Descamps. A Delacroix, il a pris ses pourpres et ses ors, délaissant les tons orageux de sa palette, les violets mornes, les vert livides, les bleus de phosphore ; à Descamps, il a emprunté sa lumière aveuglante, ses écrasements du couteau, ses maçonnements de blanc; au Corrége ; il a demandé le secret de sa grâce et sa belle coulée de pâte ; à Watteau ses éblouissements, à Prudhon son type de femme aux grands yeux noyés et au nez droit.

Et cependant ce peintre qui a été hanté par tant de souvenirs, a su ajouter à cette fonte des qualités si diverses et si multiples de ses maîtres, un sentiment personnel, une facture si brave, dans ses bons moments, que son oeuvre est, entre toutes, reconnaissable, et que quiconque a vu l’ensoleillement d’une de ses toiles criera devant son plus piètre tableautin : c’est un Diaz !

Et chose étrange, quoi qu’il peigne, des Dianes ou des Vénus, des almées ou des nymphes, dans ses toiles où la figure semble devoir être le principal objectif, la forêt sur laquelle il la veut détacher usurpe la place dominante. L’accessoire empiète sur le sujet même. Qu’il enveloppe ses déesses de manteaux éclatants, qu’il fasse couler sur leurs bras nus les gouttes étincelantes des pierreries, n’importe, le rideau mouvant des arbres, les trouées de ciel amortiront, quoi qu’il fasse, et relégueront au loin le scintillement de ses bijoux et la splendeur de ses robes. Diaz est un paysagiste, et bien qu’il ait trop souvent sacrifié au goût du jour, surtout dans ses figurines dont le visage est exactement calqué sur ceux des femmes de Prudhon avec un surjet de couleurs tapageuses en plus, il restera malgré ses fredaines de peintre de genre comme in des plus remarquables paysagistes de notre époque.

C’est principalement à ce point de vue qu’il mérite d’être étudié. Diaz n’a point compris la nature de la même manière que Rousseau, notre plus grand maître en ce genre avec Claude Gelée ; le réalisme puissant de ce peintre, cette mélancolie si intense de ses soleils couchants, ne pouvaient séduire un affamé des rejouissements de lumière, un amant des paysages criblés de soleil. Si Diaz a parfois aimé l’automne, il n’a jamais su en dégager cette tristesse profonde qui fit écrire à Charles Baudelaire en tête de Confiteor de l’artiste : « Les fins des journées d’automne sont pénétrantes, ah! pénétrantes jusqu’à la douleur ! »

A-t-il compris la nature avec la sincérité de Daubigny, la grandeur de Millet, le factice de Corot, la vigeur de Courbet ? pas davantage. Pour lui, la nature n’a jamais connu le linceul des neiges et le voile brumeux des pluies ! La nature, telle qu’il l’a rendue, c’est un plutage de poudre d’or au travers d’une dentelle verte de feuillées, c’est une envolée de lumière sur les velours des mousses. Ni la sérénité des soirs d’août, ni les levers pluvieux de novembre, ni le trouble des bois, la nuit, ni l’alerte du réveil le matin, ni la désolation de l’hiver, ne l’ont tenté. A-t-il, dans cette forêt de Fontainebleau où il fit tant d’études, su dégager l’éloquente grandeur des rocs et des chênes ? Je ne le crois pas. Pour lui, la nature est une éternelle fête, une kermesse de soleil, une liesse de beaux jours !

Avouer que je préfère Rousseau et Millet ? Certes, Diaz n’a jamais atteint la grandeur du grand rustique, et encore qu’il ait parfois essayé d’empourprer de franges rouges les plis mouvants de ses nuages, jamais, lui, dont la palette rutilait pourtant, n’a su rendre l’admirable opulence et la mélancolique splendeur des grands ciels de Rousseau !

Et pourtant, quoi qu’il en soit, ce fanatique de la couleur est, malgré son dessin trop souvent lâché, malgré ses papillottages de tons, malgré toutes ses défaillances enfin ! un artiste d’une réelle valeur. Comment méconnaître, en effect, les charmes de ce peintre, qui, ainsi que l’a fait justement observer Théophile Silvestre, a le mérite d’avoir conservé entre Delacroix et Descamps (et j’ajouterais : malgré la hantise de ses autres maîtres), la force et l’originalité ; comment ne pas se laisser prendre à la pipée de ses éblouissements, à ce magisme du feu d’artifice qu’il tire dans chacune de ses toiles ?

Cet enfant gâté de la couleur, ce peintre de joies, n’exposait plus depuis longtemps déjà ; le paysagiste avait cédé aux exigences des amateurs qui s’arrachaient à prix d’or ses houris et ses nymphes. Mais à quoi bon rappeler les pochades médiocres qu’il a commises ? Sa réputation qui commença au salon de 1844, par une descente de Bohémiens, bonne toile picaresque, avait grandi et lui valait de pouvoir faire couvrir d’or ses moindres ébauches. Les oeuvres qu’il a laissés sont innombrables, mous ne pouvons songer à les passer en revue, les pages du journal n’y suffiraient point; citons seulement entre toutes : le Jardin des amours, l’Orientale, l’Abandon, un paysage exposé en 1846 et qui appartient, je crois, à M. Meissonnier, un Souvenir de Fontainebleau, les Délaissées, la fin d’un beau jour et le Plateau de la mare.


J.-K. Huysmans