cellier

Le Cellier

Pieter de Hooch (1629-1684)


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Le Muséee des Deux Mondes, 15 décembre 1875.

LE CELLIER.

Eau-forte par François Flemeng, d’après Pierre de Hooch.
(Trippenhuys d’Amsterdam)

La scène représente un cellier, dallé de carreaux alternés, jaunes d’ocre et bleu pers. La lumière entre par trois côtés à la fois et sable de sa poudre d’or les lambris, les étoffes, les meubles.

Au premier plan, à gauche, une femme, coiffée d’un bonnet blanc, vêtue d’une casaque brun-rouge, à manches gris-bleuté, à la jupe noire retroussée et jupon de laine bleue, remet un pot de bière à une enfant qui tend les mains pour le recevoir. Derrière elles se trouve l’entrée de la cave. La petite fille est grosse et mal équarrie comme dans le Hollande presque tous les bambins du peuple. Sa tignasse ébouriffée couvre ses yeux de leurs broussailles blondes. J’ai vu quelquefois de petits chiens qui avainent sur la tête des poils couleur de paille tombant en emmêlées frisottantes sur les boutons de jais des yeux. Telle est la figure de la fillette. Elle a, de plus qu’eux, cependant, un chaperon brodé et une robe grise à boutons d’argent et lacets d’azur.

Au second plan, une porte est ouverte donnant accès dans un petit salon. Le soleil se joue de la pièce, accrochant ses paillons de lumière sur le cadre noir d’un portrait d’homme sur une chaise couverte d’une draperie bleue, fouillonnée et fripée au hasard des plis.

Ce tableau a eu bien des aventures. Avant qu d’être acheté 4010 florins par le musée d’Amsterdam, il a successivement fait partie des collections Walraven, J. de Bruyn, P. de Smeth, Hogguer.

C’est avec l’une des quatre toiles du musée Van der Hoop, le plus beau Pierre de Hooch que je connaisse. Mais quelle fut la vie de ce peintre, quels ont étés ses maîtres ? On ne le sait. La date de sa naissance est inconnue, ou du moins celle qui lui est attribuée ne repose sur aucune allégation sérieuse ; l’on ignore également celle de sa mort. Selon les un, il fut élève de Claes Berchem ; selon les autres, il eut Rembrandt pour maître. Le doute ne me semble pourtant pas permis. Il est évident pour moi que Pierre de Hooch fut élève de Van Rhin ; à défaut de renseignements précis, sa manière de faire me semble le démontrer d’une façon irréfutable. Comme le maître invincible, il se complaît dans les jeux de lumière, dans cette fumée d’or que tamisent les vitres. Il n’a ni le grandiose, ni l’étrange poésie du dieu ; ce qu’il a c’est un goût de terroir prononcé, un certain air naïf qui nous charme. C’est là, je crois, son défaut. Ses personnages sont vraiment nés dans le Brabant ou dans la Gueldre : ce sont de braves bourgeois, d’honnêtes ménagères, des enfants pas bruyants, mais qu’il traite parfois un peu gauchement. L’exécution en est souvent lourde, mais, en revanche, quelle science du clair obscur, quelle habileté à distribuer les ombres, à jeter la lumière sur les personnes, sur les objets qu’il veut mettre en évidence !

Les tableaux de Hooch sont rares. Bruxelles, Anvers, La Haye n’en possèdent aucun. Amsterdam en a deux, celui dont nous parlons et un portrait que l’on assure être celui du peintre ; le musée Van der Hoop en montre quatre, et le Louvre deux : une femme qui joue aux cartes fait voir son jeu à un soldat placé derrière elle, et un intérieur de maison hollandaise. Ce dernier tableau ressemble à celui qui nous occupe. Au lieu d’être placées à gauche, la femme et l’enfant sont à droite. Elles viennent de faire la lessive. Une autre femme qui nous tourne le dos passe, en pleine lumière, d’une petite cour ou dans un vestibule qui relie la maison à une autre coiffée d’un bonnet de tuiles rouges. La disposition de l’appartement rappelle un peu celle de Cellier.

W. Burger, qu’il faudrait constamment citer quand on parle de l’école hollandaise, professait pour Hooch un enthousiasme que je ne partage pas toujours, je l’avoue. Il apprécie, dans ces termes, le tableau dont nous avons parlé : « l’effet de lumière est prestigieux...c’est délicieux de naïveté dans les personnages et superbe de simplicité dans l’ensemble. » Sauf les quelques réserves que j’ai faites plus haut, ce jugement pourrait s’étendre à toute l’oeuvre du peintre.


J.-K. HUYSMANS.



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